La Grande Collecte lancée durant les commémorations a permis de recueillir auprès des Français des milliers de documents inédits sur la Première Guerre mondiale. Parmi eux figure la montre à gousset présentée ci-dessous, ayant appartenu au soldat Ulysse Carnel. Interpellant sa curiosité, cet objet a poussé notre stagiaire Alexandre Blondel à se pencher davantage sur le parcours de son propriétaire à travers une recherche dans les archives familiales de ses descendants.
Ulysse Carnel, un jeune engagé frugeois de 22 ans
Ulysse Carnel est né à Fruges le 15 juin 1892. Cet employé de bureau est détenteur du certificat d’études primaires. Lorsqu’il souscrit un engagement volontaire pour trois ans le 16 septembre 1911, c’est un jeune homme de 19 ans, mesurant un mètre soixante-dix. Il est sur le point de quitter l’armée lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Il n’en reviendra jamais.
Après avoir signé son engagement à la mairie de Fruges, Ulysse Carnel part rejoindre le 12e régiment d’artillerie de campagne à Vincennes. Il devient brigadier le 2 juin 1913, puis maréchal des logis le 5 novembre et maréchal des logis fourrier le 22 mars 1914.
Un artilleur hors pair
Lorsque la guerre éclate, son régiment se trouve à Bruyères et à Saint-Dié, à proximité de la frontière. Le 12e régiment d’artillerie de campagne connaît le baptême du feu en Alsace, puis prend part aux combats dans la Marne. En octobre, il part pour l’Artois, où il combat aux villages d’Ablain-Saint-Nazaire et de Carency. Le 3 octobre, il arrive en Belgique et participe aux affrontements autour du Mont Kemmel, puis autour d’Ypres jusqu’en décembre 1914.
Le régiment regagne alors l’Artois pour stationner un an devant Notre-Dame de Lorette. Le 9 mai 1915 est lancée une offensive d’envergure qui déclenche la deuxième bataille d’Artois. Les combats sont particulièrement violents dans le secteur. L’historique du régiment précise que :
[...] l’ennemi résiste avec une énergie farouche. Il faut plus de cinq semaines d’attaques pour arriver à le déloger du bois carré, et surtout du fond de Buval dont nous ne restons définitivement les maîtres que le 19 juin, après une série d’efforts formidables. Les pertes, pendant toutes ces attaques ont été très lourdes. La colline de Lorette se transforme chaque jour en un immense cimetière où tous les corps et toutes les armes sont, hélas ! largement représentés.
Durant ces combats, le 30 juin 1915, Ulysse Carnel constate qu’une ligne téléphonique risque d’être coupée. Il part la ramasser sous le feu de l’artillerie ennemie, mais est atteint par un éclat d’obus qui touche dans son avant-bras droit. Son comportement et son acte de bravoure lui valent d’être cité au corps d’armée le 18 septembre 1915 et d’obtenir la croix de guerre :
S’est distingué fréquemment au feu dans la surveillance du service téléphonique du régiment, a été blessé grièvement le 30 juin 1915.
Il est évacué vers un hôpital à Fougères jusqu’au 30 août 1915, puis vers le dépôt de convalescents de Vitré dont il sort le 3 septembre 1915 avec une convalescence de 7 jours. Il est de retour aux armées dès le 13 septembre et rejoint son régiment juste à temps pour prendre part à la troisième bataille d‘Artois lancée le 15 septembre 1915. Les tentatives de déloger l’ennemi dans le secteur occupé par le régiment se solderont par des échecs mais se poursuivront jusqu’au 11 octobre 1915.
Le 11 janvier 1916, le régiment quitte l’Artois pour se rendre à Verdun. L’offensive allemande est déclenchée le 21 février. Le régiment d’Ulysse Carnel est impliqué dans les combats à partir du 7 mars, entre les forts de Souville et de Tavennes. Lorsque le régiment est relevé le 18 mars, les pertes sont lourdes : vingt-huit canons sur trente-six ont été mis hors de combat. Le régiment part alors pour combattre en Champagne. C’est à cette période, le 18 avril 1916, qu’Ulysse obtient le brevet de chef de section.
Les combats de la Somme, sa dernière bataille
Fin-juillet, Ulysse Carnel quitte la Champagne avec son régiment pour rejoindre le front de la Somme, où l’offensive bat son plein depuis le 1er juillet. Les combats sont incessants jusqu’à l’hiver. Le 20 août, le 12e régiment d’artillerie se trouve devant Vermandovillers et Soyécourt. Ce dernier est repris le 4 septembre par les troupes françaises. Le 10 octobre, Bovent est reprise et les premières maisons d’Ablaincourt sont atteintes. Ce village n’est complètement reconquis que le 7 novembre.
Pendant ce temps, le 12e régiment d’artillerie qui appuie l’offensive subit des bombardements incessants et de lourdes pertes. Le 16 octobre, Ulysse Carnel est à son poste de combat à Combles. Il commande ses hommes quand il est tué par un tir de contre-batterie ennemi. Il avait alors 24 ans.
Son comportement exemplaire lui vaut d’être cité une dernière fois à l’ordre de la brigade à titre posthume, le 1er décembre 1916 :
Sous-officier modèle, d’une haute valeur morale de par sa tenue et son exemple a su gagner le cœur de ses hommes et l’estime de ses chefs. A été tué à son poste de combat le 18 octobre 1916 en dirigeant le tir de sa section avec calme et courage sous un bombardement violent.
Dans la poche de son uniforme, Ulysse Carnel avait emmené cette montre à gousset. Elle fut restituée à sa famille avec ses effets personnels, qui la conserve encore précieusement. Son corps repose aujourd’hui à la nécropole nationale d’Albert.