Les images d’Epinal à l’époque napoléonienne
Epinal, une petite ville des Vosges, a révolutionné l’industrie de l’image. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le succès des ateliers tient surtout à la diffusion d’images religieuses. L’un des artisans les plus connus de cette époque est Jean-Charles Pellerin, fondateur de l’imagerie du même nom. Son succès vient d’une part de l’obtention dès 1800 d’un brevet d’imprimeur et du recrutement de dessinateurs et de graveurs au style épuré et coloré. L’entreprise fait également preuve d’un renouvellement de sa production dans le contexte anticlérical de la fin du XVIIIe siècle. En effet, Pellerin a l’idée de produire des représentations de Napoléon Ier. Dès lors, la petite entreprise va servir le mythe napoléonien et dominer l’imagerie populaire en France. Napoléon au camp de Boulogne est issu de cette production.
Le camp de Boulogne
Comme l’avait soupçonné l’Anglais James Gillray dans l’une de ses caricatures, la Paix d’Amiens, signée en 1802, ne permet pas un apaisement des relations entre la France et l’Angleterre. Dès 1803, Napoléon constate que les Anglais brisent les accords conclus. Il projette alors d’envahir la « perfide Albion[1] » pour la forcer à la paix.
Pour se faire, il rassemble la majorité de son armée de terre, près de 100 000 soldats, autour de Boulogne-sur-Mer, au sein de camps toujours plus nombreux. La capitale de la Côte d’Opale est aussi choisie pour être le point de départ de l’expédition. Pendant plus de deux ans, les soldats se préparent à l’invasion, pratiquant des manœuvres et construisant des navires. L’objectif est de permettre à un maximum de soldats bien entrainés de monter sur un maximum de navires pour espérer marcher sur Londres. En effet, Napoléon, ne sous-estime pas la puissance anglaise qui, avec la France, est l’autre grande puissance européenne de l’époque.
C’est pourquoi il demande à son vice-amiral de Villeneuve, en charge de la flotte impériale, de remonter de Méditerranée avec ses navires afin de venir gonfler les rangs boulonnais. Malheureusement, Villeneuve croise sur sa route l’amiral Nelson et la flotte anglaise au large de Trafalgar. Nelson n’est pas là par hasard. Les Anglais connaissent bien les projets de Napoléon et n’ont pas l’intention de le laisser faire. Nelson est envoyé pour bloquer le retour de la flotte impériale dans la Manche. Plus que la bloquer, il va l’anéantir. Cette cuisante défaite condamne l’expédition en Angleterre. Par ailleurs, une troisième coalition contre l’empereur se met sur pied et marche sur les territoires conquis. Le camp de Boulogne est levé afin de permettre à la Grande Armée de diriger ses forces vers l’Est de l’Europe et notamment Ulm et Austerlitz.
Durant les deux années que durent le camp de Boulogne, Napoléon vient régulièrement voir ses hommes et assister aux manœuvres. Il loge souvent au château de Pont-de-Briques mais aussi dans ce qu’on appelle, depuis son passage, la maison impériale à Boulogne-sur-Mer. Il y signe des décrets (plus de 1000) et récompense aussi ses soldats. Le 16 août 1804, il remet à plus de 2000 soldats et civils la médaille de la Légion d’honneur, qu’il a créée deux ans auparavant. C’est cette scène qui est représentée sur cette image d’Epinal. Comme toutes les images produites par l’imagerie Pellerin, les personnages sont représentés de trois quarts, les couleurs sont vives et les traits simples. Napoléon est au centre de la composition en train de décorer de la Légion d’honneur le soldat face à lui. Une dizaine d’hommes l’entourent directement. Ils se tiennent tous devant la tente impériale. En contrebas, on distingue un orchestre rythmant la remise des décorations. Derrière eux, les troupes et les navires sont rassemblés dans le port. L’arrière-plan est dominé par la jetée du port de Boulogne, la mer et le ciel.
Cet événement sera commémoré par la construction de la colonne de la Grande Armée, commencée en 1804 et achevée en 1840, sous le règne du roi des Français Louis-Philippe Ier.
Même si Napoléon est le personnage le plus important de l’image, ce n’est pas lui qui est au centre de la composition. C’est le soldat décoré par l’empereur qui attire tous les regards.
La petite histoire franco-anglaise des bonnets à poil d’ours
Le soldat décoré par Napoléon porte un uniforme tout à fait reconnaissable. Il s’agit d’un grenadier à pied de la Garde impériale. Ces soldats portent un caractéristique et imposant bonnet à poils sur leur tête afin de paraître plus grand et effrayer leurs adversaires.
Les grenadiers impériaux ont été battu à Waterloo par les grenadiers anglais. En tant que vainqueurs, les Anglais ont été autorisés à porter l’uniforme des grenadiers français et notamment leur bonnet à poils. Aujourd’hui, ce bonnet est devenu un élément typique de l’uniforme rouge de la Guard division, chargée de protéger le monarque britannique. Les touristes se pressent aux grilles de Buckingham Palace pour photographier cet impressionnant couvre-chef sans savoir qu’il est d’origine française !
[1] Expression péjorative donnée par la France à l’Angleterre depuis le XVIIe siècle à chaque fois que les relations entre les deux pays ont été tendues. Albion, signifiant « blanc » en latin, fait référence aux falaises blanches anglaises visibles depuis les côtes françaises. Perfide signifie sans foi et fourbe.