Walter Raleigh est un personnage énigmatique, à l’instar de son portrait exposé dans l’escalier central du château d’Hardelot. Qui est cet homme assis, fumant la pipe, dans une position bien étrange ?
Parce que son histoire est incertaine, elle fait l’objet de nombreuses rumeurs et anecdotes, dont nombre d’entre elles sont apocryphes. Il n’en est pas moins certain que Raleigh a eu un parcours exceptionnel et une vie riche d’aventures.
De son enfance, on ne sait que peu de choses car elle n’est pas documentée. Sa date de naissance est estimée à 1552 ou 1554. Il grandit dans le Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre.
On sait pour sûr que sa famille est très protestante. Elle doit fuir et se cacher durant le règne de Marie Ière, très catholique. Son attitude envers les protestants lui vaut le surnom Bloody Mary (Marie La Sanglante). On raconte notamment que son père a dû se cacher dans une tour pour éviter d’être exécuté.
Raleigh développe ainsi une haine certaine à l’égard des catholiques. Cette haine l’amène à quitter l’Angleterre. A partir de 1569, il séjourne deux ans en France pour servir la cause protestante dans les guerres de Religion qui divisent la France dans la seconde moitié du XVIème siècle. Il combat aux côtés des huguenots sous François de Coligny, un des chefs protestants, à Jarnac, en Charente.
A son retour en Angleterre, il étudie à Oriel College, Université d’Oxford mais en ressort sans diplôme. Il continuera son éducation aux Inns of Court avant que son demi-frère, sir Humphrey Gilbert, l'introduise à la cour et lui donne le goût de la mer avec un premier voyage de découverte en 1578.
« Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même »
Cette phrase de Walter Raleigh résume son apport à l’Angleterre, et plus particulièrement au futur Empire britannique. En effet, Gilbert et Raleigh participent aux débuts de la colonisation britannique outre-mer, en Amérique du Nord notamment. C’est un élément essentiel dans l’histoire anglaise car c’est grâce à cette politique expansionniste que le Royaume-Uni deviendra la première puissance industrielle au XIXème siècle.
En parallèle de ses aventures outre-Atlantique, le nom de Raleigh est aussi associé à l’histoire de la Manche, dans le cadre de la tentative d’invasion de l’Angleterre entreprise par l’Espagne en 1588. La flotte espagnole, qualifiée d’Invincible Armada, transporte par la Manche soldats, munitions et vivres. Raleigh donne son navire, l’Ark Royal, à la Royal Navy pour attaquer les hispaniques. Ils connaissent une première défaite lors de la bataille de Gravelines. Quelques mois plus tard un de leurs bateaux, le San Lorenzo, amarre à Calais après un difficile combat perdu contre les anglais. Les Espagnols seront finalement capturés par les français.
Raleigh participe également à la suppression des rebelles irlandais qui luttent contre l’extension de l’autorité d’Elisabeth Ière dans le sud du pays.
Tout au long de sa vie, il jouira d’une grande influence politique et géopolitique de par sa position à la cour – il a les faveurs de la reine Elisabeth Ière – et parce qu’il est élu plusieurs fois membres du Parlement.
Accessoirement, Raleigh est aussi connu en Angleterre pour avoir popularisé le tabac. Pour l’anecdote, son nom est cité dans un morceau des Beatles, I’m so tired, où John Lennon lui reproche son addiction à la cigarette… Il est aussi connu pour avoir importé de ses voyages dans les Amériques la pomme de terre.
L’héritage de Raleigh ne se limite pas là. Sa position privilégiée lui permet non seulement d’explorer le monde mais aussi d’écrire. Poète, il nous laisse une œuvre riche. Son nom est également associé à l’œuvre de Shakespeare. En effet, des œuvres attribuées à Shakespeare auraient été écrites par d‘autres auteurs, dont Raleigh. Les spécialistes shakespeariens en débattent encore.
Pour les équipes du château d’Hardelot, avant de pouvoir répondre à ce débat, il existe bien d’autres questions. En effet, ce qui est aussi mystérieux et intéressant que son parcours, c’est le tableau qui le représente. On le voit assis, fumant la pipe, comme un hommage. Sur sa table, on peut voir un poisson, une cruche. Il est dans une position étrange, qui pose question : il n’est pas correctement assis sur sa chaise et il effectue un drôle de mouvement avec sa main.
C’est la restauration de ce tableau en 2014 qui apportera des réponses. En effet, elle met au jour un certain nombre de repeints : c’est-à-dire que l’on est venu repeindre par-dessus la composition originale. Les repeints et autres modifications d’œuvres sont courantes.
Dans le cas de ce tableau, l’un des repeints venait masquer…les fesses de Raleigh ! On parle donc ici d’un « repeint de pudeur ». Cette position étrange tient du fait qu’à l’origine Raleigh nous montre ses fesses. Lorsqu’on lui a rajouté du tissu sur le postérieur, il n’est pas possible de changer sa position à moins de réaliser de trop grosses transformations du tableau. Il hérite donc d’une position étrange qui a perdu tout son sens. Reste à découvrir pourquoi le navigateur anglais nous montre ses fesses...
La restauration a également permis de redécouvrir le monocle de Raleigh qui avait presque disparu sous l’ancienne couche de vernis.
Mais de nombreuses autres questions restent en suspens : qu’évoque la note en haut à gauche du tableau ? Pourquoi l’artiste a-t-il disposé le chandelier sur le sol au premier plan ?
Figure majeure de l’ère élisabéthaine, Raleigh nous laisse pour héritage de nombreuses questions sur son parcours hors de commun. A la fois écrivain, poète, courtisan, explorateur, il reste aux yeux des anglais une personnalité marquante de leur histoire. En 2002, il fait partie des « 100 plus grands britanniques » listés par la BBC. Outre-Manche, il a été complètement oublié alors qu’il n’est pas complètement un inconnu dans notre propre histoire. Souvenez-vous de son nom la prochaine fois que vous mangerez des frites et laissez-vous inspirer par son esprit vagabond !