Chez Nous
Le tocsin a retenti ! Son glas lugubre n’a surpris personne.
Les clairons ont sonné, les tambours ont battu ! Leurs plaintes étouffées ont trouvé les enfants d’Hénin, debout, déjà prêts à voler à la frontière.
On s’attendait aux plus graves évènements.
Le lieutenant d’artillerie chargé de la réquisition des chevaux en temps de guerre était ici depuis vendredi à l’aurore : il nous était dévolu, personnellement, de l’avoir pour hôte.
Dans les banques, les retraits de fonds se faisaient considérables.
Quelques soldats de métier, maréchaux-ferrants, etc., avaient été appelés.
Vendredi, dans la nuit, nous savions que les troupes de couverture étaient en mouvement.
"Ce sera pour demain", nous disait-on.
Effectivement ! Tout-à-coup, dans l’après-midi de samedi, vers quatre heures et demie, le public, massé dans le bureau de poste, fut invité à sortir…
… Quelques minutes plus tard, le crieur communal, dans un calme impressionnant, rendait la nouvelle officielle : la mobilisation était décrétée.
Les affiches couvrirent les murs : la foule courut les lire. On se serrait les mains ; on criait : "Vive la France !".
Le sort en était jeté.
Chacun avait immédiatement accepté le sacrifice. Chacun avait juré de faire son devoir. Sans tarder, samedi soir, plusieurs mobilisables l’accomplirent sans délai.
Les enfants d’Hénin-Liétard iront de l’avant.
Gloire à eux.
Dimanche aux premières heures du jour, l’affiche suivante fut apposée :
Mes chers concitoyens !
À peine prévenus de la mobilisation générale par le tocsin, par les publications, par les tambours et les clairons, tous vous vous êtes dit : "Nous sommes prêts !".
Au nom de la Patrie, je vous remercie de votre bonne volonté, de votre dévouement, de vos sacrifices. Pas un de vous ne s’est dérobé au devoir. Il serait trop long de signaler, ici, les bonnes volontés qui se sont manifestées à la Mairie. Hommes non appelés ; femmes ; jeunes filles, tous et toutes entendent défendre leurs droits et leurs libertés. Nous n’avons pas attaqué, nous ne sommes pas des massacreurs, mais nous entendons conserver ce qui est à nous. C’est pourquoi vous ferez votre devoir ! Partez, mes amis ; partez, avec courage, et ayez confiance en nous. Vos femmes et vos enfants seront sous notre protection : soyez tranquilles. Partez, et si le Destin veut que vous alliez au feu, que la Victoire soit avec vous. Nos lauriers seront prêts à votre retour. De toutes façons, le souvenir sacré restera gravé dans nos cœurs.
Au revoir, mes chers amis, et non adieu.
Le Maire : Léon PRUVOT
Il a fallu des chevaux.
Lundi, mardi et mercredi, la commission de réquisition en a pris près de deux cents venus de tous les points du canton.
M. le lieutenant d’artillerie Lequette, de Billy-Montigny ; M. le lieutenant d’infanterie Fontaine, de Béthune ; M. l’adjudant Savaete, vétérinaire de Saint-Martin-au-Laërt, dirigent les opérations.
Les artilleurs de Douai les aident. Sur la place Carnot, c’est, pendant trois jours, un défilé incessant et pittoresque. Parmi les conducteurs qui, par la route, mènent les bêtes choisies aux lieux d’affectation, on se montre les figures amies. Et l’on ne trouve pas drôle de voir, ici, un de nos meilleurs professeurs de musique, là, un employé de banque de la région, conduire, à Lille, leur cheval par la longe.
Plus d’un des propriétaires des chevaux au sabot desquels le maréchal marque, au fer rouge, le numéro matricule, a la larme à l’œil.
Mais il se raidit : "C’est pour la Patrie" dit-il.
Le Journal de Carvin, dimanche 9 août 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 11/3.