Archives - Pas-de-Calais le Département
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Le Kaiser devant Arras

Pendant les quatre années de guerre, les chefs de l’état-major allemand parcourent à maintes reprises les routes du Pas-de-Calais : on note la présence du Kronprinz à Gomiécourt en septembre 1914, celle du prince Auguste-Wilhem de Prusse, du roi de Wurtemberg et du duc de Bade à Bapaume en août 1915, etc.

En février 1915, le Kaiser Guillaume campe quant à lui devant les portes d’Arras, sondant les défenses de la ville pour en pénétrer les failles, en vain.
Durant tout le conflit, l’armée allemande n’aura de cesse de convoiter la cité atrébate ; durant tout le conflit, les Français et leurs alliés tiendront héroïquement leurs positions, sous le pilonnage incessant des obus.

Sur le front occidental

Comment l’empereur allemand dut battre en retraite à Arras

Arras continue à être soumis à d’infructueuses attaques de la part des Allemands, qui, malgré la destruction des remparts, de l’Hôtel de ville, du Beffroi, par leur artillerie, n’ont pu entrer dans la capitale artésienne.

Il y a quelques jours, une animation inusitée fut remarquée dans les lignes ennemies, depuis l’entrée de Blangy jusqu’aux alentours du petit village de Saint-Laurent. Le mouvement de troupes fut signalé pendant la nuit, et à l’aurore les postes avancés observèrent que les tranchées allemandes avaient été renforcées.

À dix heures, les batteries allemandes ouvrirent un feu terrible sur la partie de Blangy occupée par les Français, et sur les Poids publics d’Arras.

Les canons français répondirent en tonnant, et les troupes françaises attendirent à couvert jusqu’à ce qu’une pluie de grenades les atteignît. Au même moment, l’ennemi arriva au pas de course sur 600 mètres, en formation dispersée, et attaqua les Français à la baïonnette.

Sous le nombre, les Français durent reculer. Une tranchée fut perdue, puis une autre ; dans une mêlée furieuse, les Français juraient, les Allemands beuglaient.

Plus il tombait d’Allemands, plus il en apparaissait de toutes parts, s’encourageant les uns les autres, braillant "Arras !", et avançant en une masse énorme comparable à une batterie humaine contre une muraille d’acier.

Pendant un moment, il y eut quelque inquiétude du côté français. Les Allemands gagnaient du terrain ; peut-être ont-ils cru à ce moment, qu’ils coucheraient cette nuit-là à Blangy. Triomphalement une colonne ennemie s’avança vers les Poids publics, sur rangs de quatre, comme à la parade, en chantant.

Soudain, les Allemands aperçurent, à travers les crevasses des murs de l’usine, les gueules de canons et de mitrailleuses qui bougeaient. Ils les aperçurent trop tard. Ils tombèrent en tas ; les premiers rangs, bouleversés d’une panique irrésistible, jetèrent leurs armes et détalèrent. Ils se heurtèrent à ceux qui arrivaient. C’était le commencement de la fin pour l’entrée triomphale projetée. Et l’empereur qui attendait sur un cheval blanc caparaçonné de pourpre !

Les Français reprirent l’offensive ; le terrain perdu fut repris. Les Français gardèrent Blangy, et les Allemands furent déçus dans leur espoir d’entrer à Arras.

Le Kaiser dut se résigner à plier bagage. Il annonça à ses troupes qu’il reviendrait et ajouta : J’avais apporté des croix-de-fer pour les attacher sur vos poitrines ; mais c’est là-bas, sur la place des Poids publics d’Arras, que je veux le faire. Rappelez-vous qu’il vous faut les mériter davantage .

Ces paroles ont été recueillies dans une lettre qu’un soldat allemand, fait prisonnier deux jours plus tard, écrivit à sa famille.

Il ajoutait ce commentaire : Le Kaiser n’avait pas l’air content. Il monta dans son automobile sans rassembler autour de lui ses officiers, comme il le fait habituellement. On nous dit qu’il allait à Lille. Cependant, nous nous étions bien battus .

Le jour suivant, sur la grand’place de Blangy, deux bataillons se rassemblèrent, et après les roulements de tambour et les sonneries de clairon règlementaires, le général de la division française décora un sergent et plusieurs territoriaux.

Ces hommes étaient restés derrière les canons dans le hangar adjoint à l’usine. Ils s’étaient fortifiés dans le bâtiment dévasté, pour attendre l’ennemi.

Leur tir habile et leur feu rapide jetèrent le désordre parmi les Allemands qui s’étaient crus déjà vainqueurs. Leur brillante action avait contribué au succès français, et à la sauvegarde d’Arras.

La France du Nord, mercredi 3 février 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/91.