Compte-rendu de la session du Conseil général, 12 avril 1915
L’an 1915, le lundi 12 avril, à deux heures de l’après-midi, le Conseil général du Pas-de-Calais s’est réuni dans l’une des salles de l’hôtel de ville de Boulogne-sur-Mer, en exécution de la loi du 10 août 1871, modifiée par la loi du 12 août 1876.
M. Charles Guyot, Vice-Président, occupe le fauteuil de la Présidence, assisté de M. Boulanger, l’un des secrétaires.
Il est procédé à l’appel nominal. […]
M. le Président prononce l’allocution suivante :
Messieurs, j’ai à vous présenter les excuses de notre Président M. Jonnart. Il m’a télégraphié qu’il était retenu à Paris et qu’il serait ici ce soir ou demain matin. (Applaudissements).
Depuis sa dernière session, le Conseil général a perdu trois de ses membres les plus estimés : MM. Lebleu, Caron et Quandalle.
Nos collègues sont morts, au bruit du canon, à l’aurore de la victoire de nos armées. Ils n’ont pas eu la suprême consolation de voir les Allemands définitivement chassés du Pas-de-Calais et aujourd’hui nous ne pouvons qu’associer nos vifs regrets au deuil des familles de nos collègues, d’amis dont le souvenir restera présent dans nos cœurs.
Au mois de septembre, Messieurs, nous avons délibéré à Arras à portée de fusil de détachements allemands.
La vaillance de nos troupes n’a pas permis d’entrer une seconde fois dans le chef-lieu du Pas-de-Calais. Mais les Allemands se sont bassement vengés en bombardant furieusement la ville, en tuant de paisibles habitants, des femmes et des enfants ! Ils ont montré un acharnement inouï, et ces Vandales ont détruit les merveilles qu’étaient le beffroi, l’hôtel de ville d’Arras, et ses admirables places.
La ville est en ruines, les dépendances du Conseil général saccagées et nous ne pouvions y siéger, malgré le grand désir que nous avions d’aller saluer l’héroïsme des habitants d’Arras, des fonctionnaires, qui sont restés à leur poste, et de celui qui a donné à tous un exemple admirable, Monsieur le Préfet Briens, qui ne s’est momentanément éloigné de sa Préfecture isolée, que sur un ordre formel du Gouvernement [1]. (Applaudissements).
Au nom du Conseil général, je remercie la ville de Boulogne, qui veut bien nous offrir l’hospitalité et nous recevoir à l’hôtel de ville de sa vieille cité. Je lui exprime nos sentiments de vive reconnaissance.
J’ai à présenter les excuses de M. Lemoine, qui ne peut arriver à temps, de M. Briquet, actuellement sous les drapeaux, et de M. Delbende, retenu à Aire pour affaires administratives.
Bon nombre de nos collègues sont derrière les lignes allemandes ; ils ont eu le courage de ne pas abandonner leurs concitoyens. Ils sont de ceux qui pensent que le maire doit être le dernier à quitter sa commune, et les connaissant, cette noble attitude ne me surprend pas.
Un de nos collègues est prisonnier de guerre.
Permettez-moi, Messieurs, de vous lire ce que m’écrivait, il y a quelques jours, notre ami, le commandant Quettier [2], prisonnier, interné dans la forteresse de Torgau, depuis le mois de septembre :
"Remerciez, je vous prie, me disait-il, les collègues qui m’ont écrit. Tous ceux que vous connaissez ici sont en bonne santé. Ils supportent la captivité avec courage et résignation, ayant conscience d’avoir fait leur devoir. Ils regrettent seulement de se sentir impuissants et d’être condamnés à l’inactivité, mais on ne choisit pas sa destinée, on la subit, et on s’efforce de la subir avec dignité".
Quettier, Messieurs, a fait plus que son devoir, et au nom de vous tous, j’envoie le plus cordial souvenir à notre infortuné collègue, lui souhaitant bonne santé et prochain retour en France.
Nous devons, il me semble, Messieurs, entourer plus que jamais de notre amitié, ceux de nos concitoyens, dont les enfants, en servant la Patrie, sont blessés, prisonniers ou morts au champ d’honneur.
Déjà d’autres conscrits sont partis et ils vengent tous les jours leurs aînés tombés avant la victoire.
La République et notre département peuvent être fiers de leurs soldats, des héros qui depuis huit mois joignent à l’intrépidité dans les combats, le calme courage des longues patiences et des durs séjours dans les tranchées.
Enfin, j’adresse l’hommage du Conseil général à nos cantons du Pas-de-Calais brutalement occupés par les Allemands.
Nos compatriotes y sont ruinés, maltraités, misérables, les fermes et les chaumières démolies par les obus trop souvent criminellement allumés. L’ennemi croit venger son impuissance par un système de meurtres et de pillages collectifs. Mais l’État a proclamé lui-même le droit à la réparation au profit de ces victimes de la barbarie allemande et tous nous avons pris acte de cet engagement solennel. (Vifs applaudissements).
M. le Préfet :
À mon tour, je tiens à remercier la municipalité de Boulogne d’avoir mis gracieusement à la disposition de mon administration des locaux donnant asile au personnel de mes bureaux. Elle a pratiqué, comme il est de coutume dans cette ville accueillante entre toutes, les lois de la plus parfaite hospitalité. Je luis sais personnellement le plus grand gré d’avoir ouvert si aimablement les portes de sa maison aux pauvres réfugiés que nous sommes, qui s’attachent à se faire pardonner leur misère peut-être importune en mettant au service de leur département et de leur pays ce qu’ils ont de meilleur en eux, tout leur cœur. (Applaudissements).
M. Chochoy :
M. le Président et M. le Préfet ont bien voulu remercier la ville de Boulogne pour le bienveillant accueil qu’elle a réservé aux services administratifs. Toute autre ville, dans des circonstances analogues, aurait fait la même chose. Quant aux locaux, nous avons donné ceux que nous avons pu ; ils sont peut-être un peu restreints, mais ne mesurez pas la grandeur de notre cœur à la superficie des salles que nous avons mises à votre disposition. (Applaudissements).