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Sur le plateau de Lorette

En 1915, le front ne cesse de se développer. Chaque armée construit son propre système de tranchées, en fonction de ses choix stratégiques. D’abord simples lignes, les tranchées se transforment en véritables systèmes avec de nombreux boyaux qui ressemblent, vus du ciel, à une gigantesque toile d’araignée.

Le 10e bataillon de chasseurs à pied (BCP) a pris une part active et souvent prépondérante dans les combats de Notre-Dame de Lorette en 1915. Paul Gaudillière, sergent de la 1e compagnie de ce bataillon, a recueilli les témoignages de ses frères d’armes pour relater ce qu’ils ont personnellement vécu au cours des attaques auxquelles ils ont pris part. Il s’est également appuyé sur l’ouvrage du capitaine Joseph Joubert (du service historique de l’état-major), intitulé Les combats de Notre-Dame de Lorette (Paris, 1939), récit confirmé par le journal de marche du 10e BCP (Service historique de la Défense, 26 N 819/3 : journal de marche du 10e BCP, 1er janvier 1915-4 janvier 1916), publié sur le site du Ministère de la Défense "Mémoire des hommes".

En voici quelques extraits, à propos de l’attaque du 3 mars 1915 :

Du sergent Marque

Nous ne sommes plus retournés à Noulette. C’est le plateau que nous avons défendu ensuite. Notre cantonnement de repos était Bouvigny et nous montions en ligne en suivant la lisière nord-est du bois de Bouvigny, après être passés à Marqueffles. Il fallait emprunter des boyaux boueux au fond desquels étaient placées des claies ou caillebotis.

Pendant les mois de janvier et de février 1915, ce secteur n’était pas très dangereux, mais pénible à cause du froid et du mauvais temps. Les tranchées n’avaient comme abris que des trous de renard. Pas d’attaques, mais seulement des coups de fusils, des fusants, des éclatements de grenades, avec la nuit des fusées éclairantes se balançant au-dessus du no man’s land et des tranchées.

Du chasseur Jean Drillien (1re compagnie)

Cependant, au cours de la nuit du 21 janvier 1915, la 3e compagnie du 10e B.C.P. a été faite prisonnière. La 1re compagnie, dont le commandant était alors le capitaine Perrin, venait de descendre au repos. Elle reçut l’ordre de reprendre la tranchée perdue. Surpris, les Boches ont été faits prisonniers à leur tour avec la 3e compagnie intacte.

Du sergent Marque

Le génie creusait des boyaux considérables et aussi des mines destinées à faire sauter les ouvrages avancés allemands et principalement leurs sapes. Le génie allemand faisait de même et la question qui se posait tous les jours était de savoir lequel des deux adversaires ferait sauter le premier ses mines. Les coups de pioche souterrains s’entendaient parfaitement. Le moment angoissant était toujours celui où l’on n’entendait plus rien. Puis, le bruit recommençait et on se mettait à espérer.

Paul Gaudillière, L’enfer de 14 et de 15 vécu par des chasseurs du 10e B.C.P. Témoignages. Témoignages complémentaires, Mâcon, 1974, p. 33-34. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3277.

Le chef de bataillon n’eut pas le temps de terminer son inspection ; à 6 heures, une explosion se produisit au sud de la sape VII, entre la parallèle et la tranchée de première ligne, et une violente attaque ennemie accompagnée d’un bombardement intense surgissait sur tout le front.

Service historique de la Défense, 26 N 819/3.

Le 3 mars, à six heures, la colline tremble tout entière. Du bois 5 à l’éperon des Arabes, de sourdes explosions projettent d’énormes blocs de boue, des pierres, de fils de fer, du matériel et des membres humains. Des mines. Sur le sol qui frémit, les hommes vacillent. De larges entonnoirs s’ouvrent, anéantissent les réseaux, bouleversant les ouvrages au sud de la sape VII, entre la parallèle et la tranchée de première ligne, et entre les sapes VIII et IX. […]
En même temps, le bombardement ennemi s’intensifie : minen, 77, 150 et 210 tombent plus dru ; les arrières sont violemment pris à partie. Les explosions des mines à peine terminées, brusquement, les Allemands sortent de leurs tranchées et avancent, sur deux lignes, en rangs serrés, les officiers en tête, sabre au clair. Immédiatement la défense ouvre le feu ; malgré les pertes l’assaillant ne s’arrête pas. Trois régiments se heurtent à trois bataillons, et bientôt c’est un duel du fusil, à la mitrailleuse, à la grenade, puis le corps à corps ; notre artillerie, de tout son pouvoir, aide ses fantassins. Dans ce chaos de boue, de silex, de claies et de madriers brisés, de sacs de terre éventrés, de matériel déchiqueté, abandonnant les blessés et les morts, au milieu d’un tel désarroi, chacun s’est placé comme il a pu pour faire front, pour se défendre, pour barrer le chemin à cette attaque massive. […]

La 1re compagnie du 10e tient d’abord tête à l’ennemi entre les sapes VIII et X, puis résiste autour du poste de commandement, enfin, ses deux officiers, les sous-lieutenants Merlin et Giraud, étant tués, elle doit se replier. […]

À 8 heures, les Allemands, qui dans la partie nord du plateau et au centre ont pu pénétrer par endroit jusqu’à 600 mètres à l’intérieur de nos lignes, tiennent le boyau de la Haie et le boyau 6 qu’ils prolongent jusqu’à la lisière du bois, le Grand Boyau et la majeure partie du boyau 7 le long de la haie […].

Capitaine Joseph Joubert, Les combats de Notre-Dame de Lorette, Paris, 1939, p. 128-130. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3649.

Les pertes furent importantes, tous les officiers des 4 compagnies de 1re ligne pris, tués ou blessés, et on ne put rallier pour l’ensemble que 250 hommes environ.
Pourtant, le moral de nos chasseurs resta si haut, qu’ils purent reprendre l’offensive dans les journées du 3 et du 4 et s’emparer d’une grande partie du terrain perdu.

Service historique de la Défense, 26 N 819/3.

Les premiers moments de surprise passés, dès que l’on peut se rendre compte aussi exactement que possible de la situation, de petites contre-attaques locales sont déclenchées. D’abord, la section du sous-lieutenant Léonard de la 6e compagnie du 10e parvient, après un vif engagement à réoccuper une partie du boyau 7 : mais bientôt bousculée par l’ennemi, elle doit revenir jusqu’au boyau Laprade. En même temps, […] la 1re section de la compagnie Fromenty (3e du 10e) pénètre dans le boyau 7 ; encerclée, elle est tout entière détruite ou prise. […] La section de l’adjudant Tozza rejette l’ennemi du boyau 7, et celle du sergent Ducrot refoule l’adversaire dans le boyau Laprade jusqu’à hauteur du boyau 6 […].

Capitaine Joseph Joubert, Les combats de Notre-Dame de Lorette, Paris, 1939, p. 131. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3649.

Carte postale noir et blanc montrant des soldats portant un assaut sur une cote.

Un épisode de l'assaut du 15 avril sur l'éperon sud-est de Notre-Dame de Lorette. Édit. à Berck-Plage, s.d. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 001/34.

Retour offensif de 16 heures

Le commandant de Laprade avait pris le commandement du sous-secteur vers 10 heures ; une contre-attaque générale fut ordonnée pour 16 heures ; le 10e bataillon de chasseurs, encadré à droite par le 3e bataillon de chasseurs et à gauche par le 31e, avait pour objectif le boyau de la Haie. […] L’attaque devait être précédée par une préparation d’artillerie. La 2e compagnie était à l’heure dite disposée dans le boyau 7.

Service historique de la Défense, 26 N 819/3.

À peine "sorties", les unités sont décimées par un feu violent d’infanterie et des rafales d’obus, et ne peuvent progresser au-delà d’une centaine de mètres ; bien plus, la 2e compagnie du 10e est clouée sur place dès que les chefs de section essaient de franchir le parapet.

Capitaine Joseph Joubert, Les combats de Notre-Dame de Lorette, Paris, 1939, p. 132. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3649.

L’échec de l’attaque est dû au manque d’entente entre l’infanterie et l’artillerie. […]
L’attaque des 3e et 31e bataillons de chasseurs échoua également.

Service historique de la Défense, 26 N 819/3.

Les ordres pour la journée du 4 prescrivent de reconquérir nos anciennes positions. […]
Dans la nuit [du 5 au 6 mars], les 10e et 31e bataillons de chasseurs sont relevés par le 3e bataillon du 21e d’infanterie.
Pertes du 10e B.C.P. pendant les journées des 3, 4, 5 mars : 12 officiers, 460 chasseurs ou sous-officiers.

Capitaine Joseph Joubert, Les combats de Notre-Dame de Lorette, Paris, 1939, p. 133, 139. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3649.