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La vignette du diplôme national

Parmi les marques de la reconnaissance nationale due aux combattants, à la mention "Mort pour la France", officialisée dès 1915, la loi du 17 avril 1916 a ajouté le diplôme d’honneur, intitulé "Aux morts de la Grande Guerre, la Patrie reconnaissante", décerné à tous les militaires décédés pendant le conflit et remis à leurs familles.

Si l’objectif semble faire consensus, le journal La Croix se fait en revanche le porte-parole d’un groupe de familles indignées par l’image choisie en illustration. Il s’agit de la sculpture de haut-relief réalisée par François Rude pour l’Arc de Triomphe de l’Étoile, Le Départ des Volontaires de 1792, communément appelée La Marseillaise.

Ce diplôme étant destiné aux mères, veuves et orphelins de la guerre, certains estiment en effet que la nudité présente sur la vignette est indécente, aussi artistique soit-elle. Ils obtiennent satisfaction, selon le journal, avec le tirage d’épreuves d’un modèle différent pour les familles qui le souhaiteraient.

L’œuvre de François Rude est toutefois l’une des représentations symboliques de la France combattante les plus reproduites aux 19ième et 20ième siècles. Réalisée pour l’inauguration de l’Arc de triomphe en 1836 lors de la célébration du sixième anniversaire des Trois Glorieuses, Le Départ des Volontaires de 1792 entend rappeler les révolutionnaires partis combattre les monarchies européennes. Rude a cependant souhaité supprimer tout repère historique, pour aboutir à une scène plus allégorique et intemporelle – ce qu’on a pu d’ailleurs lui reprocher.

On découvre sur cette composition un chef déterminé entraînant un jeune guerrier à la nudité fragile, tandis qu’un vieillard à l’arrière-plan semble plus prudent. Tous les âges sont ainsi réunis en un même élan. Une figure féminine ailée domine ce groupe d’hommes : elle incarne le génie de la guerre, de la victoire (les ailes) et de la liberté (le bonnet phrygien) ; son cri galvanisant est interprété comme un chant de guerre : la Marseillaise.

La dimension universelle donnée par Rude explique sans doute la postérité de l’œuvre, la plus célèbre du sculpteur. Durant et après la Grande Guerre, elle est fréquemment reproduite, sur des affiches ou des cartes postales, des médailles et des diplômes commémoratifs ; elle figurera à partir d’août 1917 sur le timbre émis au profit des orphelins de guerre. 

La moralité publique : La vignette du diplôme national

Sous ce titre "Impossible d’encadrer", un groupe de familles indignées de la région nous invite dans la "Croix du Pas-de-Calais" à donner notre appréciation sur l’envoi d’un diplôme d’honneur aux familles qui ont eu la douleur de perdre un ou plusieurs membres à la guerre.

L’idée était heureuse, l’exécution l’est moins.

L’image que le gouvernement envoie aux familles des morts pour la patrie représente un des bas-reliefs de l’arc de triomphe de l’Étoile à Paris : "Le Départ des Volontaires" du grand sculpteur Rude.

Au premier plan du groupe de personnages, qui ne manque pas de souffle patriotique, se détache une "académie".

Dans l’ensemble du colossal monument, ce groupe ne forme en quelque sorte qu’un motif décoratif, et vu à distance dans la grisaille de la pierre, il ne se fait pas autrement remarquer. Il n’a rien d’absolument choquant, au point de vue sculptural, architectural. Tout au plus, quand on ne tient pas compte du genre statuaire, peut-il paraître étrange, que sous notre climat refroidi, des volontaires partent à la guerre dans un costume aussi primitif.

Mais détailler l’image de ce bas-relief, la mettre en saillie, concentrer sur elle toute l’attention, c’est là une idée malheureuse.

Les auteurs de ce choix fâcheux ont oublié que cette vignette était destinée surtout aux mères, aux veuves, aux orphelins et orphelines de la guerre, et qu’il serait indécent de mettre perpétuellement sous leurs yeux une nudité, quelque artistique qu’elle soit : non erat hic locus , ce n’était pas la place, ni le moment, dirait le proverbe.

Nous avons sous les yeux des lettres de familles qui expriment leur surprise et leur mécontentement sous des formes… qui ne sont nullement académiques.

Qu’on ne les accuse pas d’excès de pruderie, car leur réserve est parfaitement comprise et partagée par le Président de la République lui-même. À la suite de protestations nombreuses qui lui ont été adressées par des familles bretonnes, dont notre excellent confrère la "Croix des Côtes-du-Nord" s’est fait, pendant que nous menions la même campagne, l’éloquent écho et l’intermédiaire près de la plus haute autorité publique de l’État, le Président de la République lui a répondu par la lettre suivante :

"Présidence de la République

Monsieur le Directeur,

M. le Président de la République me charge de vous faire connaître que les observations qui font l’objet de votre lettre du 13 de ce mois, au sujet des diplômes commémoratifs des militaires morts au champ d’honneur, ont été signalées à l’attention de M. le Ministre de la Guerre et que des épreuves d’un modèle différent ont été mises en tirage pour les familles qui les préfèrent.

Veuillez agréer, M. le Directeur, l’assurance de ma considération distinguée.

Le Secrétaire général civil de la Présidence de la République,

(Signature illisible)

à M. le Directeur de la « Croix des Côtes-du-Nord".

Comme on le voit, les critiques étaient fondées, et cette lettre donne satisfaction aux protestations de familles froissées dans leurs sentiments de piété envers les morts et de délicate pudeur.

Honneur au vaillant journal qui, au nom des familles, a obtenu ce résultat.

G. D.

La Croix, dimanche 31 décembre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.