La moralité publique : La vignette du diplôme national
Sous ce titre "Impossible d’encadrer", un groupe de familles indignées de la région nous invite dans la "Croix du Pas-de-Calais" à donner notre appréciation sur l’envoi d’un diplôme d’honneur aux familles qui ont eu la douleur de perdre un ou plusieurs membres à la guerre.
L’idée était heureuse, l’exécution l’est moins.
L’image que le gouvernement envoie aux familles des morts pour la patrie représente un des bas-reliefs de l’arc de triomphe de l’Étoile à Paris : "Le Départ des Volontaires" du grand sculpteur Rude.
Au premier plan du groupe de personnages, qui ne manque pas de souffle patriotique, se détache une "académie".
Dans l’ensemble du colossal monument, ce groupe ne forme en quelque sorte qu’un motif décoratif, et vu à distance dans la grisaille de la pierre, il ne se fait pas autrement remarquer. Il n’a rien d’absolument choquant, au point de vue sculptural, architectural. Tout au plus, quand on ne tient pas compte du genre statuaire, peut-il paraître étrange, que sous notre climat refroidi, des volontaires partent à la guerre dans un costume aussi primitif.
Mais détailler l’image de ce bas-relief, la mettre en saillie, concentrer sur elle toute l’attention, c’est là une idée malheureuse.
Les auteurs de ce choix fâcheux ont oublié que cette vignette était destinée surtout aux mères, aux veuves, aux orphelins et orphelines de la guerre, et qu’il serait indécent de mettre perpétuellement sous leurs yeux une nudité, quelque artistique qu’elle soit : non erat hic locus
, ce n’était pas la place, ni le moment, dirait le proverbe.
Nous avons sous les yeux des lettres de familles qui expriment leur surprise et leur mécontentement sous des formes… qui ne sont nullement académiques.
Qu’on ne les accuse pas d’excès de pruderie, car leur réserve est parfaitement comprise et partagée par le Président de la République lui-même. À la suite de protestations nombreuses qui lui ont été adressées par des familles bretonnes, dont notre excellent confrère la "Croix des Côtes-du-Nord" s’est fait, pendant que nous menions la même campagne, l’éloquent écho et l’intermédiaire près de la plus haute autorité publique de l’État, le Président de la République lui a répondu par la lettre suivante :
"Présidence de la République
Monsieur le Directeur,
M. le Président de la République me charge de vous faire connaître que les observations qui font l’objet de votre lettre du 13 de ce mois, au sujet des diplômes commémoratifs des militaires morts au champ d’honneur, ont été signalées à l’attention de M. le Ministre de la Guerre et que des épreuves d’un modèle différent ont été mises en tirage pour les familles qui les préfèrent.
Veuillez agréer, M. le Directeur, l’assurance de ma considération distinguée.
Le Secrétaire général civil de la Présidence de la République,
(Signature illisible)
à M. le Directeur de la « Croix des Côtes-du-Nord".
Comme on le voit, les critiques étaient fondées, et cette lettre donne satisfaction aux protestations de familles froissées dans leurs sentiments de piété envers les morts et de délicate pudeur.
Honneur au vaillant journal qui, au nom des familles, a obtenu ce résultat.
G. D.