Le Noël des réfugiés
La réunion de famille organisée pour les réfugiés à l’occasion des fêtes de Noël a eu lieu dimanche matin au Kursaal prêté gracieusement par M. Coucheman, directeur.
Mille réfugiés environ étaient présents à cette fête de solidarité à laquelle assistaient Mmes Briens, Certeux, Coppin, Péron ; Mlles Briens, Aubrun, Voisin, Gerbore ; M. le gouverneur de Boulogne, MM. Haffreingue, adjoint au maire, Coppin, conseiller municipal, Gerbore, vice-président du conseil de préfecture, Desfontaine, président du tribunal, Bordenave, receveur des finances etc. etc.
La Musique militaire a exécuté à la perfection les hymnes des Alliés, l’ouverture de "Si j’étais Roi" et "Frisson d’Avril" de son chef M. Carpentier, puis nous avons entendu des amateurs dévoués de grand talent […].
M. Matthys, poète belge, réfugié, a déclamé aux applaudissements de tous les réfugiés "Un lambeau de Patrie" du grand Verhaeren.
Le concert s’est terminé sur l’apothéose des Alliés, mise en scène par M. et Mme Goudal avec le concours des jeunes filles de l’Amicale Eurvin qui prêtait une fois de plus son concours à une œuvre de bienfaisance.
Au début de la cérémonie, M. Certeux, Sous-Préfet, a excusé M. le Préfet du Pas-de-Calais, retenu au dernier moment à la Chambre, et a lu en son nom le beau discours suivant qu’il se proposait de prononcer.
Discours de M. le Préfet
"Qui n’a pas assisté à l’exode lamentable des populations fuyant devant l’envahisseur, qui n’a pas vu ces longues théories de malheureux poussant devant eux ou traînant péniblement ce qu’ils avaient pu sauver du désastre, qui n’a pas vu l’impressionnant spectacle des vieillards, femmes et enfants cheminant sur les routes encombrées, ne s’arrêtant que pour tromper leur faim, égarer leur angoisse en essayant de dormir dans les fossés, au pied des haies et des meules dans les champs voisins et pauvres loques humaines plus pitoyables que la veille reprenant le lendemain leur long défilé de misères, ne peut se rendre compte des cruelles épreuves de nos pauvres réfugiés.
Et les uns sont partis vers des régions lointaines de France où ils ne sont arrivés qu’au prix de souffrances nouvelles, après des voyages sans fin ou des traversées pénibles sur des navires rapidement affrétés et que souvent guettaient au passage des pirates allemands ; d’autres ont pu éviter l’exil en demeurant dans la zone des Armées où l’existence difficile qu’ils étaient menacés d’y vivre était compensée par l’espoir d’un retour plus prochain à la maison familiale quittée en hâte.
Deux années ont passé depuis lors. Ceux-là sont restés, loin du ciel gris d’Artois, que n’a pu leur faire oublier l’éclatant soleil qui dore là-bas les pampres verts et les garrigues sauvages, ceux-ci ont continué d’attendre plus près que sonne l’heure de la rentrée au logis… peut-être dévasté.
Certains ont eu la chance de trouver des toits accueillants où l’on s’est ingénié à atténuer la rigueur de leur infortune, c’est votre cas à vous qu’une bonne étoile ̶ la seule peut-être qui brillât encore en votre ciel ̶ a conduit ici dans une grande et belle ville, hospitalière entre toutes, tandis que d’autres ont dû hélas ! vivre comme des "indésirables" à côté de gens qui n’ont jamais pu s’élever au niveau de leur patriotique sacrifice…
Mais qu’importe son degré, votre détresse mérite d’éveiller toutes les sympathies et c’est pour vous marquer la nôtre que vous nous voyez tous aujourd’hui près de vous. Autorités civiles et militaires qui savent l’étendue de vos douleurs amicales et dames charitables venues vous apporter une part de leur cœur…
C’est pour cela qu’à la veille de cette journée de Noël, évocatrice traditionnelle de rêves de bonheur, idéalisée par les plus merveilleuses légendes de cette journée qui jadis vit luire au fond d’un berceau le signe de rédemption d’un peuple opprimé, nous avons voulu venir chanter avec vous un hymne d’espoir en des lendemains prochains de délivrance.
C'est pour cela que M. le Sous-Préfet de Boulogne a apporté le meilleur de lui-même à l’organisation de cette fête avec le concours aussi empressé que généreux d’artistes qu’il n’a pas fallu solliciter deux fois et que je me fais un devoir de remercier cordialement d’avoir, comme toujours, mis leur talent au service d’une bonne œuvre.
C’est pour vous réconforter que nous sommes venus vous prouver que vous n’êtes point seuls, que nous sommes accourus vous dire qu’un jour viendra où vous descendrez de votre calvaire et que vous connaîtrez à nouveau les douceurs de la famille reconstituée, du foyer restauré".