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Le port de Boulogne

La ville de Boulogne est sans conteste un lieu de première importance dans le conflit qui déchire les nations. Devenue chef-lieu de la zone libre du département du fait du déménagement des administrations ( préfecture, conseil général ou encore archives départementales), la ville fourmille également d’une intense activité industrielle.

L’industrie boulonnaise travaille en effet à plein rendement pour la guerre. À la demande de l’intendance militaire, le ferblantier Pierre Vanheeckoet et l’industriel Marcel Tilliette fabriquent des boîtes d’emballage de graisse et des gamelles pour les troupes, et la Société des produits céramiques et réfractaires crée des grès spéciaux antiacides pour les poudreries. En 1916 est construit à Capécure, quartier économique de la ville, le premier entrepôt du nord de la France d’une entreprise se lançant dans l’industrie du froid.

Les chantiers de constructions navales se reconvertissent également, notamment dans l’aménagement de trains blindés dont la protection et l’armement sont montés sur place. Plusieurs dizaines de hangars et d’entrepôts – pour une superficie totale de trois hectares – sont construits sur le port.

De 0,9 million de tonnes en 1914, le trafic de marchandises dépasse les 2 millions en 1916 et 1917, mais cette augmentation est surtout due à l’acheminement des approvisionnements militaires britanniques qui représentent les deux-tiers des entrées de navires et plus de 80 % du tonnage débarqué. Pourtant, les bénéfices liés à cette activité ne connaissent pas la même envolée puisque les navires affectés au transport des troupes, des vivres, des munitions et du matériel de guerre ne paient pas de droits.

Toutefois, le flux humain provoqué par le débarquement de dix millions de passagers, civils et militaires, draine une relance de l’activité économique.

Au printemps 1916, Boulogne devient la base principale des flottilles de la Manche. Elle comprend des escadrilles de patrouille, de dragage et d’harenguiers, six torpilleurs et même une base d’aviation. L’ensemble du dispositif assure la sûreté du détroit qui conduit aux côtes anglaises. C’est pourquoi de 1914 à 1918, on recense plus de 55 000 mouvements de navires transportant près de 10 millions de tonnes de fret et autant de voyageurs.

Le 23 mars 1921, le ministre de la Marine écrit à M. Baheux, administrateur délégué des chantiers maritimes du Boulonnais :

[…] Les chalutiers du Boulonnais ayant rendu les plus grands services pendant la durée des hostilités lors de leur incorporation dans la flotte auxiliaire, il serait intéressant qu’un modèle de l’un d’entre eux pût figurer en bonne place au Musée de la Marine…  

Nos ports du Pas-de-Calais : le mouvement du port de Boulogne 

De La Dépêche :

Exagérations

L’animation du port a certainement augmenté, le trafic a triplé ; on prétend même que les pilotes réalisent des bénéfices considérables, mais en examinant attentivement la question, on s’aperçoit que les résultats ne sont pas aussi brillants qu’ils le paraissent et que, depuis la guerre, les recettes de la chambre de commerce sont en déficit de près d’un million par an.

Au début des hostilités, la chambre de commerce de Boulogne venait de terminer à grands frais l’installation au bassin Loubet de vastes entrepôts et d’un outillage électrique souple et puissant. Ce matériel a pu rendre ainsi les plus précieux services à nos alliés anglais, qui au lieu des 5 ou 6 voies dont le tracé avait été prévu autour du bassin, en ont établi 32.

Mais les navires affectés au transport des troupes, des vivres, des munitions et du matériel de guerre ne paient pas de droits.

Le mouvement des voyageurs qui atteignait le chiffre le plus élevé de tous les ports français avant la guerre  ̶  510 000 par an environ  ̶  n’existe plus qu’à l’état nominal. En 1914, les passagers étaient encore au nombre de 352 637, pour Boulogne ; 290 434, pour Calais, et 190 051 pour Dieppe. Depuis cette époque, les services ont été suspendus. Il en a été de même à partir de juillet 1914, des diverses compagnies transatlantiques.

Les quais sont maintenant occupés par l’armée anglaise et la flottille française ; il ne reste qu’une place exiguë pour les navires de commerce qui sont, de ce fait, atteints par des frais de surestaries élevés. Il en résulte une augmentation de 10 à 12 francs par tonne sur la plupart des marchandises et cette hausse du charbon dont nous avons tous, hélas ! supporté les conséquences.

Les pilotes

Si la situation n’est pas très brillante pour la chambre de commerce, comment se fait-il que les pilotes soient si favorisés ? Il faut d’abord tenir compte de l’exagération des racontars répandus dans le public et ne pas non plus confondre le pilotage avec le lamanage.

La part de pilotage rapportait 22 à 23 000 francs avant la guerre et vaut maintenant environ 35 000 francs. Beaucoup de navires anglais qui assurent le service sanitaire, le ravitaillement, etc., commencent à avoir l’habitude de l’entrée du port, peuvent à la rigueur se passer de pilote, mais, conformément aux règlements, doivent acquitter des droits d’abonnement.

Il n’est cependant pas toujours prudent de se passer des services du pilote. Il y a quelques semaines, le Discovery, l’ancien bateau de Schakleton, qui voulait entrer seul entre les bouées qui marquent l’extrémité de la digue du port en eau profonde, s’est jeté sur des enrochements dissimulés par la marée haute et n’a pu s’en tirer que grâce à sa structure robuste, spécialement construite pour les glaces des mers polaires.

Si les pilotes boulonnais gagent quelques billets de mille francs de plus qu’en temps de paix, il ne faut pas trop les leur reprocher. On ne doit pas perdre de vue qu’après de longues années passées comme aspirants-pilotes, ils sont astreints à des examens théoriques et pratiques très sérieux et que, depuis deux ans, ils sont exposés aux mines et aux torpilles ennemies. Rappelons qu’au moment où l’Hermatrice a été coulée, le pilote Pollet se trouvait déjà à bord.

Les "lamaneurs"

Le marin le plus favorisé depuis la guerre, est le concessionnaire du lamanage. Les lamaneurs sont les matelots qui aident le navire à accoster en lui passant les cordages nécessaires pour s’amarrer à quai. Les frais de l’entrepreneur sont élevés et la chambre de commerce lui assure une garantie éventuelle lorsque les produits bruts n’excèdent pas quarante mille francs. Le lamanage, à la satisfaction générale, a produit, dans le courant du dernier exercice, environ 96 000 francs, chiffre qu’on n’aurait jamais cru pouvoir être atteint en temps de paix.

[Censure]

Le port de Boulogne a été d’un secours inestimable pour la défense nationale ; il a maintenant fait ses preuves.

À trois heures de Paris et à cinq heures de Londres, sa position géographique est unique.

Boulogne s’est transformé actuellement en port militaire ; mais, après la paix, lorsque les bassins, les quais, les lignes de chemins de fer seront dégagés des réquisitions et de l’encombrement du matériel de guerre, les armateurs privilégiés qui auront encore des bateaux en leur possession s’enrichiront rapidement.

Ce port, avec celui de Calais, en attendant la réalisation du projet du tunnel sous la Manche, sera susceptible de rendre les plus importants services pour la résurrection économique de la France en général et des régions envahies en particulier.

La Croix, jeudi 27 juillet 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.