Archives - Pas-de-Calais le Département
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À propos de tourisme

Affiche couleur montrant les destructions d'Arras, de Lens, d'Ablain-Saint-Nazaire, de Béthune, du Mont-Saint-Éloi et de Bapaume.

Arras et les champs de bataille de l'Artois. Affiche, 1919. Archives départementales du Pas-de-Calais, 17 Fib 901.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le tourisme ne s’éteint pas totalement durant la guerre, même si celle-ci nécessite effectivement de s’adapter. Les touristes sont même de plus en plus nombreux au fil du conflit. Bien évidemment, les professionnels du secteur doivent prendre en compte les mutations dues à la guerre (inflation, accueil des réfugiés, pénuries en tout genre, etc.) et anticiper au mieux les flux de populations (soldats en convalescence et civils réfugiés principalement). Ils tentent même de fidéliser cette nouvelle clientèle en lui faisant découvrir sa région d’adoption. Certains soldats en permission peuvent ainsi vivre la guerre comme une expérience touristique.

Malgré les sombres heures que connaît la France, on a bien conscience qu’il faut poursuivre l’investissement dans le tourisme, d’une part pour ne pas être "surpris par la paix", mais surtout parce que l’essor de cette pratique peut permettre de remplir les caisses de l’État vidées par la guerre. Sans compter qu’accueillir des touristes nécessite de réaménager rapidement les routes, accélère le relèvement de l’habitat et crée de l’emploi, donc redynamise rapidement un territoire.

C’est pourquoi, les parlementaires s’emparent du sujet en juin 1917 et engagent une réflexion autour de la mise en place d’un classement comme "station de tourisme", applicable dès la fin de la guerre. Malgré la prise de conscience générale, les promoteurs souffrent du manque de moyens et de subventions, distribuées notamment par l’Office national du tourisme (ONT), un organisme administratif autonome créé par le ministre des Travaux publics Alexandre Millerand le 8 avril 1910.  Des subventions exceptionnelles parviennent en conséquence à être dégagées en juin 1917, afin de soutenir les initiatives locales.

À la même époque, de nouvelles pratiques voient le jour. Dans sa revue mensuelle de septembre-octobre 1917 [ note 1], le Touring Club encourage les visites du front, dans un cadre si possible organisé. À l’occasion du troisième anniversaire de la bataille de la Marne, Michelin (qui édite des guides touristiques depuis 1900) publie en septembre 1917 le premier Guide des champs de bataille. Le tourisme de guerre fait son apparition, motivé par diverses aspirations. Certains curieux tentent de s’approcher des lignes de front, avides de sensations fortes ou désireux d’apporter leur témoignage. D’autres viennent y pleurer un proche tué et ainsi entamer leur travail de deuil. Si cette pratique demeure pour le moment dangereuse et somme toute assez marginale, elle se généralise après-guerre. Dès 1919, la Compagnie du chemin de fer du Nord met en place des circuits réguliers pour visiter les champs de bataille, créant des "pèlerinages" pour que chacun voit de ses propres yeux et n’oublie pas.

À propos de tourisme

Ce n’est peut-être pas là un sujet de guerre, mais il faut bien, au point de vue économique, anticiper parfois sur les évènements si l’on ne veut pas être surpris par eux à l’heure où la France, en retrouvant la paix, verra se poser devant elle la multiplicité des questions à régler.

L’industrie du tourisme est chose encore peu développée dans notre pays, nos instincts casaniers font d’ailleurs que nous comprenons assez mal la mentalité des étrangers qui sillonnent nos routes et nombre d’entre nous en sont encore à l’Anglais flegmatique qui posait ses pieds sur les banquettes des wagons, à l’Américain qui bornait ses visites aux bouis-bouis de Montmartre ou au Boche au feutre réséda qui promenait son inséparable famille à travers nos villes frontières.

Je crois que les touristes de demain se recruteront par milliers chez nos Alliés ; les soldats britanniques, belges et américains nous reviendront en pèlerinage aux champs de souffrance et de gloire, les familles endeuillées voudront venir prier sur les tombes, enfin, des légions d’étrangers voudront visiter les lieux où se livrèrent des combats homériques et où la civilisation, pied à pied, défendit ses conquêtes sur la Barbarie.

On ne saurait parcourir la France sans garder un souvenir inoubliable de son accueil hospitalier ; je voudrais donc voir notre pays s’organiser non pas pour exploiter nos visiteurs, mais pour garder intact le bon renom de notre patrie toujours si accueillante.

On a créé à Paris un Office général du tourisme, hérissé de parlementaires et de hauts fonctionnaires ; on y trouve bien quelques noms connus, mais l’industrie du tourisme y est absente. Je ne pense pas d’ailleurs que cet office ait jamais servi à quoi que ce soit, et c’est pour cela sans doute que des députés ont projeté de s’occuper des questions touristiques, éternels « touche à tout » jamais lassés de désorganiser. Cette industrie existe en France, mais à l’état isolé et il ne lui manque que la coordination dans l’effort, la hardiesse dans la conception et surtout l’esprit moderne.

Il est bien question de créer des offices départementaux – toujours le Département qui, sauf le Préfet, ne représente rien le plus souvent. – On voudrait instaurer un régime de multiples comités, commissions et sous-commissions où l’on parlerait pour ne rien dire alors qu’il existe un peu partout des syndicats d’initiative qui ont fait leurs preuves et qui obtiendraient des résultats très satisfaisants si l’État voulait bien les subventionner, si les compagnies de chemin de fer et de navigation pouvaient s’intéresser à leur action, enfin si l’initiative professionnelle obtenait les appuis qui lui sont indispensables.

À ce point de vue nous sommes en plein gâchis. L’Office national du tourisme distribue bien des subventions, mais il faut croire qu’il le fait d’une façon singulière puisqu’il se refuse à faire connaître la liste des bénéficiaires. Je veux bien croire que l’O.N.T. agit pour le mieux, mais alors pourquoi ces cachotteries qui procèdent trop de méthodes administratives surannées ?

Aussi bien, je ne sais pas ce que les Français ont l’intention d’offrir à leurs visiteurs en remplacement du guide boche Baedeker qui, bien que très incomplet et rédigé dans une mentalité toute germanique, était encore ce que nous possédions de mieux en dehors des guides locaux édités par des syndicats d’initiative et rédigés le plus souvent par des chercheurs qui donnaient à ces plaquettes un agréable parfum de terroir. Ces guides sont le plus souvent incomplets eux-mêmes, farcis d’annonces, mal édités. On ne cherchait pas à faire de la vente en librairie, mais bien à les publier à frais couverts de façon à les donner gratuitement à des gens qui ne prenaient jamais la peine de les lire.

Tout au contraire, le Baedeker avait un gros succès de vente et – bien que cet aveu nous soit désagréable à faire – nous pouvons dire qu’il était, malgré ses imperfections, l’indispensable auxiliaire du touriste et que tout amateur de voyage en possédait la série complète.

Le Baedeker, produit boche, nous est désormais interdit et le touriste est désormais sans guide. Devra-t-il, par patriotisme s’encombrer d’œuvres hétérogènes ou toutes locales ne comportant que des itinéraires très limités ? On nous dira que certaines maisons d’automobiles nous offrent leurs guides. Certes oui, mais ils ne sont faits que de renseignements tronqués et insuffisants au touriste intelligent qui veut s’instruire.

Je voudrais voir l’Office national et le Touring Club prendre l’initiative de confectionner un guide bien français, soigneusement édité, ne négligeant aucune province puisque toutes ont leur originalité. Je voudrais un Guide de France édité en plusieurs langues, un Baedeker national, mieux fait, plus moderne.

Ce n’est pas là chose impossible. Nous avons des archéologues, des artistes, des lettrés et des éditeurs de bon goût pour réaliser une pareille œuvre dont la vente serait assurée et qui constituerait pour chacun de nous un précieux recueil de nos richesses naturelles et artistiques dans lequel nos enfants et les étrangers apprendraient à aimer la France.

Et ceci vaut bien la peine qu’on y pense.

Edmond Equoy

Le Télégramme, mercredi 7 novembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.

Notes

[ note 1] "Visite au champ de bataille de l’Ourcq", Revue mensuelle du Touring Club de France, 27ième année, septembre-octobre 1917, p. 103.