Archives - Pas-de-Calais le Département
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Calais, dans nos abris souterrains

La question des abris pour la population se pose très vite dans des villes touchées par les bombardements allemands. À Calais, des abris de secours, signalés par une affiche portant la mention "cave de secours" et un drapeau rouge placé sur la façade des immeubles, sont mis en place dès juillet 1916. La presse locale publiera ainsi une liste d'une cinquantaine de caves-abris officielles dès septembre 1917.

Aussi, lorsque le Commissaire central annonce au maire Charles Morieux que plusieurs caves du quartier Saint-Pierre sont inondées de façon anormale, la municipalité va décider de mettre les caves de tous les bâtiments communaux à la disposition de tous, et nommer dès octobre 1917 une commission dirigée par M. Ledoux, sous-ingénieur des Ponts et Chaussées, pour procéder au recensement dans tous les quartiers de toutes les caves pouvant être mises à la disposition du public. Le maire profitera de l'occasion pour lancer un appel à la bonne volonté, à l'esprit de discipline et au patriotisme de sa population.

Alors que de nouvelles caves particulières s'ouvrent au public, le maire écrira au Gouverneur pour lui demander la création d'abris spéciaux, semblables à ceux que l'on doit construire à Dunkerque. Il lui répondra que la meilleure protection consiste en de simples tranchées-abris, étroites de deux mètres de profondeur, dans lesquelles le public se trouvera hors d'atteinte des débris mais avec l'inconvénient qu'il est impossible de s'y protéger du froid et qu'il faut empêcher toute lumière de passer dans la rue.

Faute de posséder la main-d'œuvre nécessaire pour exécuter les abris demandés, le Gouverneur va demander au Commandant du génie de la Place de donner des conseils de consolidation des caves, et donner l'ordre au Commandant de l'Artillerie de mettre les casemates encore disponibles dans les fortifications à la disposition de la population civile avec pour conditions que ces caves et abris ne soient ouverts que pendant les alertes et les bombardements, et qu'ils soient évacués ensuite.

Scène de construction d'un abri. Au premier plan une machine d'extraction de déblais.

[Creusement d'un abri sous les fortifications qui bordent le parc Richelieu à Calais, pendant la Première Guerre mondiale]. Photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 428.

Suite au lourd bombardement du 13 novembre 1917, le maire de Calais écrira au ministre de la guerre Georges Clémenceau pour obtenir la construction de nouveaux abris par le génie militaire vu que la municipalité ne dispose ni de la main-d'oeuvre ni des matériaux nécessaires. Le 17 décembre, une compagnie spéciale recevra ainsi l'ordre de rejoindre Calais et des démarches seront hâtées pour obtenir l'aide des soldats anglais et des travailleurs chinois. La révision des caves susceptibles de constituer de bons abris après des travaux de renforcement sera alors mise en place tout comme le creusement de galeries souterraines : ce service de protection comprendra tout le territoire du gouvernement militaire de Calais, à l'exception des gares et annexes des gares régulatrices qui sont rattachées à la commission militaire du réseau du Nord.

En janvier 1918, quinze abris souterrains sont en cours de construction et des galeries sont creusées sous une redoute de la Citadelle et sous le jardin Richelieu, soit une galerie de 269 mètres de longueur avec 17 entrées distantes chacune de 15 mètres, protégées par des murs pare-éclats en béton d'un mètre d’épaisseur. Divisé en 14 compartiments bétonnés, l'aération de ce boyau pouvant accueillir 2 000 personnes sera assuré par 3 cheminées débouchant au milieu du jardin Richelieu et 16 ventilateurs à bras. Une épaisseur de terre variant de 3 mètres 50 à 4 mètres 80 séparera la galerie au niveau du sol qui, par précaution, sera revêtue de dalles de béton, de pavés en grès et d'une couche de béton de 25 centimètres d'épaisseur. Celle creusée sous la demi-lune de la Citadelle pourra abriter 600 personnes.

Photographie noir et blanc d'un abri en forme de prisme triangulaire sur une place. Un homme en costume pose à l'entrée.

Abri pouvant contenir 120 personnes, construit place de la République [à Calais], 1917. Photographie d'Émile Camys (18..-1934). Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 430.

Albert Chatelle évoque dans son ouvrage Calais pendant la guerre un rapport daté du 20 août 1918 montrant l'importance des travaux exécutés pour protéger la population calaisienne : 16 abris dans les ouvrages militaires et aux bastions pour accueillir près de 2 000 personnes, 27 abris publics en surface et bétonnés construits pour abriter 4 700 personnes. La commission avait aussi retenu 245 caves qui firent l’objet de travaux de renforcement pour contenir jusqu'à 25 000 personnes. Soit au total des moyens de protection pour plus de 34 000 personnes alors que la population civile de Calais s'élevait à près de 50 000 habitants.

Malgré la nomination de gardiens missionnés pour faire respecter l'arrêté signé par le maire et contresigné par le Gouverneur en février 1918 (…n'utiliser qu'après l'alerte et à évacuer un quart d'heure au plus tard après la fin de l'alerte, défense d'y apporter literie ou paillasses, de faire ou déposer des ordures sous quelque forme que ce soit…), les témoignages au sujet du bon usage des lieux par la population et des conditions de vie dans ces abris sont à la fois folkloriques et alarmants. En août 1918, diverses doléances d'habitants se plaignant d'abus et du manque d'hygiène observé dans ces abris sont soulignées.

Dans nos abris souterrains

La population calaisienne, soumise actuellement à de fréquentes émotions nocturnes occasionnées par les incursions et tentatives d'incursion des pirates boches au-dessus de la ville, sait gré à l'autorité tant civile que militaire d'avoir mis à sa disposition un certain nombre d'abris publics où du moins les habitants, qui vont y chercher un refuge, sont assurés de ne pas être atteints, les abris ayant été édifiés selon toutes les règles de l'art en matière de protection contre l'éclatement des bombes, torpilles et autres engins aériens.

Aussi ne faut-il pas s'étonner de constater que ces abris sont très fréquentés et qu'en cas d'alerte on s'y presse en grand nombre, certains de ces abris étant même devenus trop étroits pour répondre aux besoins des quartiers ou sections de quartier qu'ils sont appelés à desservir. Mais là n'est pas la question sur laquelle nous désirons appeler l'attention de la ville. Il s'agit de la convenance qu'il y aurait de prendre certaines mesures urgentes à l'effet d'assurer la salubrité de ces abris, leur nettoiement régulier et le maintien des bonnes conditions d'hygiène dans lesquelles il convient de les entretenir.

On sait combien sont pris au dépourvu les femmes, les enfants, les vieillards qui, arrachés au sommeil par la canonnade ou la sirène, se précipitent à demi-vêtus pour chercher un refuge dans l'abri public. Quand le raid ou l'alerte simplement se prolonge un certain temps, il est fatal que certaines nécessités inhérentes à l'humaine nature se manifestent. On s'y soumet. Et c'est au grand dam de la salubrité et de la confortabilité du réduit.

Or la résultante de ces besoins humains, les déjections et matières malodorantes demeurent dans l'abri sans qu'aucun service de salubrité ne s'occupe de les enlever. Non seulement il y a là une grave incommodité pour les habitants qui reviennent chercher un refuge dans l'abri à la suivante alerte, mais il y a aussi un grand danger pour l'hygiène. Il est évident que ces déjections sont en grand nombre souillées de microbes intestinaux variés dont la variété comprend notamment le bacille typhique, générateur comme son nom l'indique de la redoutable fièvre typhoïde, celui de la tuberculose, non moins redoutable que le précédent, celui de la diarrhée verte. En outre ceux qui toussent expectorent sur le sol la riche flore bactérienne des poumons.

Or le milieu dans lequel s'opèrent ces expectorations et ces déjections peut être considéré comme clos, surtout en ce qui concerne les abris creusés en plein sol. On s'y trouve donc en présence de conditions éminemment favorables à la pullulation des microbes par le manque d'aération et par le manque de lumière. Nous examinerons donc dans un deuxième article les mesures qu'il pourrait être bon de préconiser et surtout d'adopter pour parer à ces graves dangers qui risquent de faire tomber les habitants de ces lieux souterrains de Charybde en Scylla.

Pharos

Le Télégramme, mardi 27 août 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/30.