11 août 1914
Monsieur le Préfet,
Je reviens de la Mairie, après avoir exposé à ces Messieurs quelle était ma situation ; sur leur conseil je viens vous donner moi-même tous les détails dont ces Messieurs ont vu ce matin la sincérité et le témoignage sur papier.
Je suis depuis 1 mois à Paris-Plage avec ma famille, et par suite des événements captive sur le territoire. Je suis née française (de père et mère français). Je me suis mariée en première noce au comte H. d’Havrincourt, à cette époque sous-lieutenant de chasseurs. J’ai un fils, de 22 ans, actuellement au service comme maréchal des logis au 10e chasseurs de Sampigny (Meuse). Il est un engagé de 18 ans, a renouvelé la période pour se diriger à Saumur. J’ai un frère de 34 ans qui a été dans l’armée sous-lieutenant, c’est un d’Hautpoul ; il doit être appelé dans les chasseurs. Mon frère aîné (décédé il y a 2 ans) était dans les dragons à Chambéry, puis à Compiègne.
Aujourd’hui, femme divorcée, j’ai épousé Mr Diximier, né en Alsace, de père français. Depuis l’âge de 12 ans il a été élevé en France ; ses instituteurs, vu sa santé, ont toujours fait retarder l’époque de son conseil de révision. Plus tard, il s’est présenté, n’a pas été accepté. Il n’a donc jamais servi, et de ce fait n’est pas en Allemagne. Il a 2 cousins germains dans l’infanterie de Rennes. Je suis depuis 5 ans dans mon appartement 37 rue de Courcelles, et digne d’être crue. Petite-fille du général d’Hautpoul, mort sur le champ de bataille
d’Eylau en 1807, et petite-fille du général Berthier, officier d’ordonnance de Napoléon. Je donne ces détails pour montrer, Monsieur le Préfet, que je suis digne de mon titre de française, et ne saurais passer pour une autre. J’ai ici 3 enfants français. Mon mari m’a quittée le samedi à 3 h à Boulogne se rendant en Angleterre chercher un logement pour 7bre puisque je devais y mettre en pension mes enfants. Depuis il est là bas.
J’ai montré mon permis de séjour à ces Messieurs, leur faisant observer que c’est moi qui ai fait inscrire mariée alsacienne
ainsi que mon nom de femme qu’on négligeait d’écrire. Je n’étais tenue à rien, mais j’ai ma bonne foi, et c’est pour avoir été trop loyale que je suis aujourd’hui prisonnière des Français. On a cru ma parole pour ma domestique sans papier ; et pourquoi m’avoir répondu : « Vous serez ici tant qu’on n’aura pas bouffé les Allemands ». Cette réponse que je qualifie de grossière, a été assez humiliante pour moi qui reste toujours polie.
C’est une personne d’ici qui m’a engagée à aller parler au bureau de M. le Maire, et
là, fort heureusement, j’y ai trouvé le meilleur accueil. Ces Messieurs ont vu mes papiers.
Veuillez, Monsieur le Préfet, être assez bon pour examiner ma situation rendue pénible par ma loyauté ; et si vous avez déjà reçu ma 1re lettre sans détails, écrite avant d’avoir parlé à ces Messieurs, veuillez faire bon accueil à celle-ci. Je sais que je pouvais quitter dimanche et lundi, mais étant ici pour mes enfants je ne songeais pas à me presser avant le 15.
Recevez, Monsieur le Préfet, mes sentiments les plus distingués.
D’Hautpoul-Diximier, villa Chantilly