Le 21 janvier 1918, le général en chef des armées allemandes, Erich Ludendorff, donne l’ordre de préparer l’opération Michael. Après l’effondrement de la Russie à la fin de 1917 et la signature du traité de paix de Brest-Litovsk le 3 mars 1918, cinquante divisions, dont de nombreuses équipes spéciales formées aux tactiques d’infiltration, sont rapatriées du front de l’Est. Fort de 192 divisions allemandes (3 500 000 hommes) contre 171 divisions alliées (3 100 000 soldats), Ludendorff veut saisir sa chance et tenter d’emporter la victoire avant l’arrivée des Américains.
Il décide, avec le maréchal Hindenburg, de planifier une vaste attaque à l’ouest pour le printemps 1918 (offensive du printemps, également connue sous le nom de Kaiserschlacht, bataille de l’Empereur). C’est contre l’armée britannique qu’elle doit être menée, leurs lignes étant situées entre l’Oise et la Scarpe. Le poids de l’attaque est prévu entre Arras et le sud de Saint-Quentin (Aisne), à la soudure des forces anglaises et françaises, pour progresser ensuite vers Amiens et la Manche : la principale faiblesse de l’Entente réside en effet dans l’absence d’un commandement unique.
Le 21 mars 1918, Ludendorff lance en Picardie l’offensive Michael : les Allemands disposent de 6 608 canons et de 3 534 mortiers lourds sur le front d’attaque ainsi que des avions de combat, répartis entre :
- la 17ième armée commandée par Otto von Below,
- la 2ième armée (Georg von der Marwitz) du groupe d’armées du prince héritier Rupprecht de Bavière chargé de rompre le front britannique en direction de Bapaume et de Péronne,
- la 18ième armée (général Oskar von Hutier), une partie du groupe d’armées du prince héritier allemand,
- et la 7ième armée.
En face, se trouvent la IIIrd Army du général Julian Byng, placée entre Croisilles et La Vacquerie et la Vth Army du général Hubert Gough, entre La Vacquerie et La Fère, qui forment l’aile droite du front anglo-belge.
Déclenchement de l’opération "Michael"
Le 21 mars 1918
À 2 heures, dans un brouillard intense, débute l’opération "Michael" (du nom du saint patron de l’armée du Kaiser) par la préparation d’artillerie. À 4 heures 20, le feu devient extrêmement violent, avec 6 000 pièces d’artillerie et 3 000 pièces de mortiers. Les obus s’abattent, à la cadence de 650 000 à l’heure, sur un front de 70 kilomètres environ, entre Croisilles, près d’Arras, et La Fère, près de Saint-Quentin. Des pièces à longue portée battent, en même temps, les nœuds de routes et les voies ferrées. À 8 heures, l’infanterie allemande se lance à l’assaut.
Assommées par l’artillerie, les vingt-cinq divisions britanniques sont submergées, leurs tranchées dévastées, les lignes de communication détruites. Par endroits, la résistance s’effondre et de nombreux hommes se rendent, 47 bataillons sont perdus. Pour sauver la situation, le repli est ordonné. En quelques heures, les Allemands réussissent une large trouée dans le front britannique.
Sur le front de la IIIe armée britannique, en revanche, au nord du saillant de Flesquières, la XVIIe armée allemande se heurte à une résistance si énergique que ses progrès sont lents : au cours de la matinée, elle réussit à enlever Bullecourt, Écoust-Saint-Mein, Noreuil, Lagnicourt, Louverval, Doignies et Boursies, mais ne réalise au total qu’une avancée de 3 kilomètres sur un front de 13. À 15 h 30, vers le nord, où elle s’efforce d’élargir son front d’attaque en se portant vers Croisilles et Héninel, elle n’obtient que de légers gains de terrain au prix de lourds sacrifices. La réserve britannique contre-attaque avec vigueur sur les deux flancs de la poche ; vers 19 h, des éléments de la 19ième division, appuyés par des chars d’assaut, reprennent les lisières sud de Doignies ; au sud d’Écoust-Saint-Mein, la 40ième division réalise aussi quelques progrès.
La journée du 21 mars 1918 est incontestablement une importante victoire allemande. Les lignes de défense alliées cèdent sur l’ensemble du front et le danger d’une séparation des armées française et britannique se précise. En Artois, le premier jour de l’offensive de Ludendorff permet aux Allemands de reprendre la majeure partie du terrain cédé au cours du printemps 1917, tels Wancourt, Guémappe, Monchy-le-Preux et Hénin-sur-Cojeul.
À la fin de la journée, les troupes britanniques ont perdu plus de 28 000 hommes, dont 21 000 prisonniers. Les Alliés, en désaccord sur la manière de riposter, sont pris de cours.
Le 22 mars 1918
Au matin, favorisés par un épais brouillard qui paralyse les vues et les armes de la défense, les Allemands poursuivent l’offensive et augmentent leur poussée sur tout le front, en présence de l’Empereur, appelé en toute hâte pour assister à la victoire. Dans la matinée, leur infanterie s’empare de Vaulx-Vraucourt, mais échoue devant Hermies.
L’armée de Byng doit cette fois abandonner Croisilles à Below, qui conquiert également les hauteurs à l’ouest de Saint-Léger et d’Hénin-sur-Cojeul. Cependant, la IIIe armée britannique oppose à l’adversaire une résistance acharnée. Elle arrête l’avancée allemande vers Arras, en tenant solidement entre Héninel et Monchy-le-Preux.
Les Allemands ont progressé de 15 kilomètres en seulement deux jours, forçant les Britanniques au repli ; rien ne semble alors pouvoir les stopper.
Le 23 mars 1918
L’infanterie allemande attaque avec une extrême violence. Les troupes britanniques doivent évacuer Mory, ne repoussant les attaques sur Vélu et Vaulx qu’au prix de lourdes pertes, et reculant à présent sur près de 100 kilomètres. Face à cette situation, les deux commandants en chef ont des priorités bien différentes. Pour Haig, il faut assurer la liaison avec les ports de la Manche, où il est incité à se retirer ; pour Pétain, il faut protéger Paris. Le général en chef français insiste avec force pour que la liaison ne soit pas rompue. Foch, alors chef d’état-major et conseiller militaire du gouvernement français, insiste sur la nécessité d’un organe entièrement consacré à la conduite de la guerre alliée et sur l’obligation de défendre Amiens.
La IIIe armée britannique doit s’aligner sur la Ve du général Gough pour éviter d’être débordée, mais elle réussit à contenir Below devant Bapaume. En revanche, la Ve armée commence, dès le matin, un mouvement de retraite dont la rapidité et la continuité soulèvent chez le maréchal Haig et chez le général Pétain les plus vives préoccupations. En fin de journée, les Allemands ont pénétré de 19 kilomètres dans certains secteurs.
L’infanterie allemande commence toutefois à montrer des signes d’épuisement, en partie à cause de problèmes de transport et de ravitaillement, mais aussi en raison de l’état du terrain, et l’artillerie lourde peine à suivre. Après trois premiers jours de bataille, troupes allemandes et britanniques sont ainsi harassées par les longues marches ou la réorganisation des unités.
Le 24 mars 1918
Les Allemands reprennent leurs attaques sur tout le front de la IIIe armée anglaise. Au nord, ils n’obtiennent pas plus de succès que la veille, mais maintiennent leurs positions, assurant ainsi la couverture d’Arras ; l’infanterie doit se contenter d’entrer à Mory. Les fantassins britanniques repoussent les attaques sur Hénin et la cavalerie libère la route de Bapaume à Cambrai. Craignant d’être débordée sur la droite, la IIIe armée évacue cependant Bertincourt vers l’ouest. Le général Byng, dans ces conditions, prescrit un nouveau retrait général de son aile droite, en indiquant comme nouveau front à tenir celui jalonné par Bazentin-le-Petit (Somme), Martinpuich, Le Sars, Grévillers, Sapignies, Ervillers.
Sans réserves, alors que ses deux armées doivent toujours reculer, le maréchal Haig demande des renforts au gouvernement britannique ainsi que l’appui d’au moins vingt divisions françaises ; mais le général Pétain, chargé de couvrir Paris, ne peut donner que ses 1ère et 3ième armées.
À Bapaume, une section néo-zélandaise de 82 hommes se retranche derrière la ligne de chemin de fer, au nord du passage à niveau de la route d’Albert. Elle tient tête un moment mais, réduite à 27 hommes, elle doit y renoncer. Tard dans la soirée, après avoir subi des bombardements incessants, Bapaume est évacuée.
Dans la nuit du 24 au 25 mars, la IIIe armée poursuit son repli pour éviter l’encerclement. Un combat ininterrompu se déroule dans la partie nord du champ de bataille, vers Sapignies et Béhagnies, où les adversaires font des efforts énergiques mais infructueux pour percer.
Le 25 mars 1918
Les Allemands attaquent le front sur toute la largueur d’une ligne allant d’Ervillers à la Somme ; ils occupent Bapaume. Peu après le lever du jour, une très forte offensive lancée à l’est de la route Arras-Bapaume, entre Favreuil et Ervillers, est repoussée au prix de lourdes pertes, et une contre-attaque de la 42ième division chasse l’ennemi de Sapignies. À midi, de nouveaux assauts se produisent et permettent de refouler la droite du IVe Corps. Les troupes allemandes s’emparent de Grévillers et de Bihucourt. Après cinq jours de combats acharnés, le nord du front (Croisilles-Bapaume) n’a pas craqué.
La nuit suivante, la partie gauche, occupée par le IVe Corps, doit se retirer par échelons vers la ligne Bucquoy-Ablainzevelle. Une attaque sur Bucquoy est repoussée. Les Britanniques se voient contraints de marquer un nouveau repli vers l’ouest. Les Allemands commencent à s’avancer en direction d’Amiens : pour séparer les Alliés, en prenant de flanc la principale ligne défensive britannique à partir de Bapaume, ils concentrent des forces considérables sur le front compris entre Arras et la Somme.
Le 26 mars 1918
Au matin, la situation est désespérée. Le général Pétain dépêche huit divisions au secours des Anglais, avec trois états-majors de corps d’armée. Les dirigeants civils et militaires se concertent pour essayer de sauver ce qui peut l’être encore.
Une conférence franco-britannique se tient à Doullens (Somme) : elle réunit Raymond Poincaré (président de la République), Georges Clemenceau (président du Conseil), Louis Loucheur (ministre de l’Armement), Ferdinand Foch (chef d’état-major de l’armée) et son adjoint le général Maxime Weygand, Philippe Pétain (commandant en chef des forces françaises), lord Alfred Milner (ministre de la Guerre britannique), le maréchal Douglas Haig (commandant en chef des armées anglaises), les généraux anglais Henry-Hughes Wilson, Lawrence et Bernard Montgomery.
Un accord est passé au nom des deux gouvernements : afin de renforcer l’unité de l’armée alliée, le général Foch est chargé de la coordination de l’action des armées françaises et britanniques sur le front ouest, par entente avec les commandants en chef de ces armées qui doivent lui fournir les informations nécessaires. C’est la première étape vers le commandement unique. Foch sera nommé commandant en chef des armées alliées le 14 mai 1918.
Le 27 mars 1918
Vers midi, les Allemands s’emparent d’Ablainzevelle et d’Ayette. Partout ailleurs, l’infanterie britannique repousse les tentatives de l’adversaire. Sur certains points, elle améliore même ses positions. Le combat tend à se stabiliser sur le front de la Somme jusque vers Boisleux-au-Mont.
Harcelés par les troupes françaises dont la résistance devient de plus en plus ferme, les Allemands n’ont plus la fougue des premiers jours. Leur infanterie se trouve à plus de 60 kilomètres de son point de départ et ne peut être ravitaillée qu’avec de grandes difficultés. L’artillerie a du mal à la suivre, et n’est pas toujours en mesure de l’appuyer efficacement.
Le général Gough est limogé au profit du général Henry Rawlinson, malgré sa capacité à gérer la retraite de la Ve armée. L’arrivée de nombreuses réserves renforce cependant la situation des Alliés. Les 27 et 28 mars, la IIIe armée britannique reçoit ainsi sept divisions fraîches, mises à sa disposition pour relever les unités fatiguées ou pour constituer en arrière des réserves solides.
Le 28 mars 1918
Réalisant que son offensive a abandonné ses objectifs initiaux pour la simple exploitation des succès locaux, Ludendorff ordonne un assaut de 9 divisions contre 4 divisions anglaises devant Arras, sur un front d’une vingtaine de kilomètres, de part et d’autre de la Scarpe. Cette attaque est baptisée opération Mars. Elle rencontre peu de succès, provoque de lourdes pertes allemandes et est repoussée.
Les Britanniques reculent sur un front allant d’Hénin au nord de la Scarpe, mais la droite résiste, entre Hénin et Bucquoy.
À la suite du déclenchement de l’offensive allemande du 21 mars 1918, le général américain Pershing demande que ses troupes participent activement à la contre-offensive échafaudée par le général Foch : Je viens vous dire que le peuple américain tiendrait à grand honneur que nos troupes fussent engagées dans la présente bataille. Je vous le demande en mon nom et au sien. Il n’y a pas en ce moment d’autres questions que de combattre. Infanterie, artillerie, aviation, tout ce que nous avons est à vous
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Le 29 et 30 mars 1918
Devant Arras, à cheval sur la Scarpe, les Britanniques se replient à l’alignement de l’armée de Byng et repoussent de violents assauts. Ils doivent laisser le village de Neuville-Vitasse et le bois des Rossignols.
Le 30, toutes les attaques allemandes sont repoussées par les Britanniques, qui gagnent encore du terrain au sud de la Scarpe, le lendemain.
Face à la résistance des Alliés et à l’épuisement de ses troupes, Ludendorff ordonne l’arrêt de l’offensive Michael le 5 avril. La progression est de 65 kilomètres et les pertes alliées s’élèvent à 250 000 hommes. Depuis 1914, aucune armée n’a connu un tel succès à l’ouest. Célébré dans toute l’Allemagne, celui-ci n’a pourtant pas permis de percer le front vers Paris, et n’a pas pu briser la liaison des armées anglaises et françaises.