Comme Guillaume Apollinaire, Alain Fournier, Louis Pergaud et d’autres écrivains, Paul Drouot meurt au combat, fauché en pleine jeunesse pendant la Grande Guerre. Il est l’auteur de quelques recueils de poèmes qui ont attiré l’attention de ses contemporains, mais son œuvre majeure, Eurydice deux fois perdue, est restée inachevée.
Une jeunesse marquée par l'amour des livres
Arrière petit-neveu du général Drouot, qui accompagna Napoléon sur l’île d’Elbe où il était gouverneur, Paul Louis Drouot naît le 21 mai 1886 à Vouziers, dans le sud-est des Ardennes. Un père décédé quelques mois avant sa naissance puis une famille ruinée après un long procès forcent le jeune Paul à quitter Vouziers pour Paris avec sa mère, musicienne, et son grand-père maternel Achille Cotelle, ancien directeur de banque. C’est avec ce dernier qu’il goûte au plaisir de la lecture et découvre l’amour des livres.
Paul Drouot édite ses premiers vers à dix-huit ans dans la revue Psyché, qu’il fonde avec son ami Louis Thomas, devenue deux ans plus tard Éditions de Psyché. Il publie La Chanson d’Éliacin en 1906, son premier recueil de poèmes, suivi de La Grappe de raisin en 1908, un livre entier de poèmes de huit vers, plein de souvenirs du voyage qu’il a effectué en Espagne en compagnie de son ami Guy Chassériau, puis Le Vocable du chêne en1910. C’est à cette époque qu’il lit de nouveau Baudelaire et Mallarmé et qu’il va surtout rencontrer des écrivains qu’il admire, tels Maurice Barrès et Henri de Régnier.
Mort et testament
Mobilisé dès le début de la guerre, Paul Drouot refuse un poste à l’arrière, où sa santé fragile aurait pu le reléguer. Incorporé comme soldat de première classe au 3e bataillon de chasseurs à pied, il est tué par un obus le 9 juin 1915 à Aix-Noulette. Dans une lettre écrite à sa mère depuis le front et qui sera par la suite évoquée par le critique littéraire Émile Henriot, Paul Drouot révèle la pression que la situation exerce sur ces jeunes soldats :
…On vivra toute sa vie avec ce qu'on aura fait durant cette guerre, et l'on ne saurait souhaiter à personne de ceux qu'on aime de traîner plus tard une conscience amoindrie et des regrets dont rien ne saurait consoler...
Avant de partir au front, il avait laissé un testament disant :
Je ne veux pas laisser de traces. Tout est vain, voyez-vous, ici-bas, oui, tout, excepté l’âme. Je ne laisse rien qui soit digne d’être publié. Je demande que tous mes papiers, notes, brouillons, débuts de poèmes ou vers isolés soient anéantis, ce qui ne les changera guère…
Eurydice deux fois perdue
Paul Drouot est pourtant resté dans les mémoires pour son ébauche du roman Eurydice deux fois perdue, un ensemble de notes préparatoires à un récit qui est publié en 1921. Ces notes écrites dans un style plutôt lyrique évoquent le tourment amoureux du narrateur. Il a fallu attendre 1953, lors de la parution du Journal de Paule Régnier, femme de lettres et lauréate du Grand Prix du roman de l’Académie française en 1934, suicidée en 1950, pour réaliser que ce roman est autobiographique. Eurydice est en fait la sœur de Paule Régnier, elle-même passionnément amoureuse de Paul Drouot. Très jolie, Paule Régnier souffrait d'une malformation qui lui a fait aimer silencieusement Paul Drouot, dont elle a découvert après sa mort sa passion pour une autre.
Émile Henriot comme qu’Henri de Régnier, auteur d’une préface pour la première édition d’Eurydice deux fois perdue, s'accordent à lui reconnaître un talent certain et un grand lyrisme.
L'Association des écrivains combattants a édité de 1924 à 1926 cinq volumes consacrés aux écrivains morts à la guerre. La succession de courtes notices biographiques, accompagnées d’extraits concernant chacun de ces jeunes artistes morts pour la Patrie avant d'avoir pu donner le meilleur d'eux-mêmes, est étourdissante : combien d'œuvres sont ainsi mortes avec leur auteur ?
Le Laurier Noir par Paul Sicard
Élégie à Paul Drouot
Si mon jardin d’automne entouré de lauriers
Peut, de son harmonie, couronner votre tête,
Permettez, Paul Drouot, que ce soir je m’arrête,
Votre livre à la main, dans le parc effeuillé.
La voix du souvenir fait trembler le silence,
Votre ancienne pensée monte comme un jet d’eau,
Entre la terre et Dieu je sens votre présence,
La cendre est dispersée et vide est le tombeau.
Mes doigts, pieusement, désenlacent les pages.
Vos chants ont le parfum de ces mûres sauvagesDont l’éclat langoureux répand, en s’écrasant,
Sur la bouche enivrée, une goutte de sang.
Ô comme votre mort ressemble à votre vie !
Dans l’espace creusé par la houle ennemie,
Dans votre éternité vous gardez sur les mains
Tous les reflets d’amour serrés dans ce jardin.
C’est la vigne et le lys qui sont vos immortelles.
Drouot, malgré l’orage et la douleur fidèle,
Malgré la boue offerte au creux du chemin nu,
Malgré ce que je sais, malgré ce que j’ai vu,
Je ne puis vous imaginer qu’en la lumière
D’un manteau ruisselant de rubis et de lierre,
Pareil aux jeunes dieux que Vénus, au matin,
Fait danser sur un lit de grappes de raisins.
Société de la Revue Le Feu, 1917.