Héritier du régiment de Touraine dont les origines remontent à 1625, le 33e régiment d’infanterie tient garnison à Arras depuis 1868. Régiment emblématique de la ville, il s’illustre glorieusement dans les plus grandes batailles de 1914-1918 : Somme, Champagne, Craonne, Flandres, Alsace, Belgique ou encore Verdun, où il paye un lourd tribut.
Il faut dire qu’il compte – ou a compté – dans ses rangs de célèbres noms, tels que Charles de Gaulle ou Philippe Pétain.
Pétain et de Gaulle au 33e RI
C’est après sa promotion au rang de colonel que Pétain arrive à Arras le 26 juin 1911 pour prendre le commandement du 33e RI. Originaire de Cauchy-à-la-Tour, il possède une bonne connaissance du terrain, bien qu’il occupât jusque-là une chaire à l’École supérieure de Guerre.
En octobre 1912, un jeune sous-officier nommé de Gaulle est également affecté au 33e RI. Les deux hommes vont se côtoyer jusqu’au 29 avril 1914, date à laquelle Pétain est nommé à la 8e brigade d’infanterie de Saint-Omer.
Durant ces deux années, les deux hommes apprennent à se connaître et tissent des liens empreints de respect mutuel. De Gaulle admire l’indépendance d’esprit du colonel ; Pétain, quant à lui, saisit d’emblée le potentiel du jeune homme.
Le vainqueur de Verdun
Le 4 août 1914, le 33e RI quitte Arras. De son côté, Pétain se distingue rapidement en Belgique, alors qu’il commande la 4e brigade d’infanterie. Pendant la guerre, il gravit rapidement les échelons, notamment après ses succès en Artois au printemps 1915.
Lorsqu’éclate la bataille de Verdun, il est l’un des huit généraux à assurer la défense du territoire, sous les ordres de Joffre. La justesse de ses analyses et la pertinence de ses choix lui valent l’élogieuse épithète de "vainqueur de Verdun". Dans ses mémoires, Joffre dit à son sujet :
Le commandant de la 2e armée était doué de très grandes qualités militaires qui l’ont, au cours de la guerre et en particulier au début de la bataille de Verdun, justement mis en relief. C’est par une amélioration constante de l’organisation du commandement, par un sens tactique très aigu, un perfectionnement sans cesse renouvelé des procédés de défense que Verdun a été sauvé, et c’est le général Pétain qui a été véritablement l’âme de tous ces progrès. On ne devra jamais oublier que, par l’étude incessante des procédés de combat ennemis, il a fait réaliser à notre armée les plus grands progrès tactiques de toute la guerre ; en particulier, la liaison de l’aviation et de l’artillerie qui fut si féconde.
Le 33e RI arrive à Verdun : capture du capitaine de Gaulle
Alors que les Allemands viennent de lancer l’offensive le 21 février 1916, Pétain prend le commandement de Verdun le 24, mais le fort de Douaumont tombe aux mains allemandes le lendemain.
Le même jour, le 33e RI reçoit l’ordre de quitter l’Aisne où il stationne ; il arrive au fort de Souville à Fleury-devant-Douaumont le 26 février.
Dans la nuit du 1er au 2 mars, il relève le 110e RI qui tient un secteur s’étendant de l’ouest au sud du village de Douaumont. La 10e compagnie du capitaine de Gaulle hérite de la partie gauche du village où se trouve l’église, gardée jusque-là par la 12e compagnie du 110e RI.
Le 2 mars, à 6 h 30, débute une intense attaque d’artillerie allemande qui décime les rangs de la 10e compagnie. Cernée de toute part, l’unité repousse avec bravoure plusieurs assauts avant que son chef ne tombe, blessé à la cuisse gauche. Porté disparu, il est en réalité fait prisonnier et est évacué en Allemagne. Son nom apparaît dans la liste des prisonniers parue dans la Gazette des Ardennes du 22 mars 1916. Le 7 mai, il reçoit une première citation à l’ordre de l’armée, signée du général Pétain :
Le capitaine de Gaulle, commandant de compagnie réputé pour sa haute valeur intellectuelle et morale, alors que son bataillon, subissant un effroyable bombardement, était décimé et que les ennemis atteignaient la compagnie de toutes parts, a enlevé ses hommes dans un assaut furieux et un corps à corps farouche, seule solution qu’il jugeait compatible avec son sentiment de l’honneur militaire. Est tombé dans la mêlée. Officier hors de pair à tous égards.
Malgré plusieurs tentatives d’évasion, de Gaulle ne rentre en France que le 3 décembre 1918. Dans une lettre du 8 décembre, adressée à son ancien colonel, Charles de Gaulle revient sur les circonstances de sa capture :
Voyant que l’ennemi accablait de grenades le coin où je me trouvais avec quelques hommes et que, d’un moment à l’autre, nous allions y être détruits sans pouvoir rien faire, je pris le parti d’aller rejoindre la section Averlant. Notre feu me paraissait avoir dégagé de boches un vieux boyau écroulé qui passait au sud de l’église. N’y voyant plus personne, je le suivis en rampant avec mon fourrier et deux ou trois soldats. Mais, à peine avais-je fait dix mètres que dans un fond de boyau perpendiculaire, je vis des boches accroupis pour éviter les balles qui passaient. Ils m’aperçurent aussitôt. L’un d’eux m’envoya un coup de baïonnette qui traversa de part en part mon porte-cartes et me blessa à la cuisse. Un autre tua mon fourrier à bout portant. Une grenade, qui m’éclata littéralement sous le nez quelques secondes après, acheva de m’étourdir. Je restai un moment sur le carreau. Puis, les boches, me voyant blessé, me firent retourner d’où je venais et où je les trouvais installés… En ce qui me concerne, le reste ne mérite plus aucune considération.
Le village de Douaumont, objet de toutes les convoitises
À la fin de cette journée du 2 mars 1916, les Allemands parviennent à s’emparer du village de Douaumont.
Le lendemain, le 3e bataillon subit de nouveaux assauts sur toute sa ligne et se fait littéralement massacrer.
Les attaques allemandes sur la ferme de Thiaumont sont repoussées par le 1er bataillon dirigé par le capitaine Ricatte. Les Allemands se replient sur le village de Douaumont, que l’artillerie française commence à bombarder vers 16 heures, prémisses d’une contre-attaque annoncée.
À la fin du jour, les Français reprennent le village et tiennent leurs positions malgré deux contre-attaques à 20 heures et à minuit.
Le 4 mars, vers 7 heures, les Allemands lancent une nouvelle offensive sur le village et réalisent une brèche dans la défense française. Le bataillon français est contraint de se replier à environ deux cents mètres de la sortie de Douaumont.
La section du sergent Noël réalise une légère avancée dans la journée, ce qui porte la ligne française à environ 40 mètres de la lisière ouest du village.
Au soir du 5, le 2e bataillon vient renforcer la ligne éventrée par l’hécatombe dans les rangs du 3e bataillon.
Le 6 mars, le 33e est relevé par le 170e RI. Aux termes de quatre jours de combat intense, le régiment a payé un lourd tribut à Verdun puisque 32 officiers et 1 443 hommes ont été tués, blessés ou portés disparus.
Au lendemain de l’armistice, le village de Douaumont n’a pas été reconstruit.