L’assurance contre les dégâts causés par les bombardements préoccupe à juste titre, comme nous l’avons dit, la fabrique tout entière et chacun de ses membres est intéressé à trouver une solution acceptable et pratique de ce problème. On ne saurait, en effet, considérer comme répondant à cette nécessité la création, par certaines compagnies, de polices relatives à cet objet en échange de primes prohibitives au premier chef puisque, si l’industriel qui contracte une telle assurance n’est pas ruiné par le fait des bombes, il se ruine lui-même par le versement entre les mains des assureurs d’une grande partie de la valeur du capital qu’il veut faire couvrir contre les risques aériens.
La constitution de toute la fabrique calaisienne en une sorte de trust ou d’association générale, analogue à celle qui s’est fondée dans un autre but lors du conflit qui naquit vers 1900 entre patrons et ouvriers, répondrait parfaitement aux données du problème, en instituant une caisse d’assurances mutuelles, formée au moyen de cotisations versées par chaque propriétaire de métiers et à raison de tant par métiers. Ne perdons pas de vue qu’il doit exister actuellement près de cinq mille métiers à Calais répartis entre six ou sept cents fabricants, gros ou petits. On voit d’ici, par le seul énoncé de ces chiffres, quelle somme considérable on pourrait recueillir en établissant ce mode d’assurances. Il suffirait d’une cotisation de 100 francs par métier pour former une caisse d’assurances disposant d’un demi-million ; 200 francs par métier mettraient à la disposition du trust un million de francs et ainsi de suite. Nous sommes loin des milliers de francs que le moindre fabricant, possédant ne fût-ce qu’un seul métier, devrait verser pour s’assurer individuellement suivant le régime commun.
Une autre considération qu’il faut bien envisager, pour saisir le problème dans toute son ampleur, est celle-ci :
En raison de l’augmentation énorme de toutes choses par le fait de la guerre aussi bien dans le compartiment de l’alimentation que dans celui du vêtement, des matériaux et des matières premières, il arrive que la valeur de tout ce qui existe a pareillement augmenté dans des proportions énormes.Donc la valeur de nos métiers à tulle ou à broder peut être considérée comme doublée elle aussi. Combien faudrait-il payer, à l’heure actuelle, un nouveau métier à tulle et au bout de quel laps de temps pourrait-on être servi par le constructeur ? Le remplacement du moindre organe d’un métier a augmenté dans des proportions correspondantes.
Donc en recourant à la méthode usuelle d’assurances, c’est-à-dire à des compagnies totalement désintéressées au sort de l’industrie calaisienne parce que y étant étrangère, il arriverait qu’en faisant assurer nos métiers en calculant leur valeur du temps de paix et leur prix d’achat de cette époque nous ne pourrions les remplacer en cas de sinistre au moyen de l’indemnité que nous recevrions de la compagnie d’assurances.
Avec la méthode de la caisse d’assurances mutuelles, il irait différemment puisqu’au lieu de verser entre les mains du sinistré la valeur en espèces du métier détruit ou l’importance des dégâts subis par celui-ci, on lui remplacerait son métier ou on lui en paierait la réparation sur présentation de la facture, donc réparation intégrale des dommages.
On objectera peut-être qu’en raison de l’élévation du taux de la prime le fabricant qui s’assure actuellement ne le fait que pour une partie de la valeur totale de ses métiers ou de son usine. En cas de sinistre il ne serait donc remboursé que proportionnellement à son assurance, donc il n’en serait pas moins partiellement ruiné.
Il nous semble qu’il y a là une idée qui vaudrait d’être mise à l’étude par la collectivité de nos fabricants calaisiens. Nous connaissons trop la compétence et la valeur des industriels qui sont à la tête de notre chambre syndicale des fabricants de tulles pour douter un seul instant qu’ils accueillent cette idée avec la meilleure faveur et qu’après s’être rendu compte de son caractère pratique et efficace, ils ne recherchent le moyen d’en faire bénéficier toute la collectivité industrielle de Calais.
Pharos
Le Télégramme, mercredi 12 décembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.