Un soldat allemand, debout sur un petit pont de bois, photographie des toiles peintes, disposées en écran discontinu, accrochées à une architecture de piquets, d’un bord à l’autre de la Scarpe. La prise de vue est peut-être due à Franz Xaver Ertl, ce photographe de Göggingen près d’Augsbourg, dont le timbre barre une seconde carte postale représentant le site.
Camoufler les voies de circulation permet de maintenir l’ennemi dans l’ignorance des déplacements de troupes. De fait, la fin de la guerre de mouvement et la systématisation de l’observation aérienne ont rendu nécessaire le développement de techniques de leurre et de trompe-l’œil. L’invention en est attribuée au décorateur nancéen Louis Guingot (1864-1948, créateur d’un prototype de veste de camouflage) et, plus encore, au peintre académique Lucien-Victor Guirand de Scevola (1871-1950), qui s’est inspiré des recherches picturales menées par les impressionnistes et les cubistes.
Ce dernier prend la direction de la section de camouflage, rattachée au Grand Quartier général à partir du 14 août 1915. Le personnel, en particulier des artistes peintres ou sculpteurs et des décorateurs de théâtre, est réparti entre un atelier central aux Buttes-Chaumont et quatre principaux ateliers de groupes d’armées, dont celui du Nord à Amiens (puis à Chantilly à partir de février 1917). En 1918, la section regroupe près de 3 000 personnes.
On distingue deux types de camouflage : s’appuyer sur la topographie du terrain pour créer des postes d’observation ou de tir invisibles (camouflage "passif") ; dissimuler le matériel militaire et les voies de communication par la peinture ou par le biais d’écrans (filets de raphia tissé, toiles et haies), mais aussi produire des observatoires et des leurres, tels qu’arbres factices et faux cadavres, faux canons et mannequins de soldats, etc. (camouflage "actif").
En décembre 1915, les Britanniques créent à leur tour une section de camouflage, sous la direction technique du peintre Solomon Joseph Solomon (1860-1927) ; dénommée Special Works Park, elle est transférée en France le 17 mars 1916 et aménage ses ateliers dans une usine désaffectée de Wimereux ; y travaille entre autres le décorateur de théâtre L.D. Symington, mais aussi des Français temporairement détachés, tels les peintres André Mare (1885-1932) et Marcel Lejeune. D’autres ateliers voient le jour en 1917, à Aire et à Amiens. De leur côté, les Allemands utilisent dès 1916 les techniques de camouflage, mais ne créent une section qu’après la bataille de Cambrai, en 1917.