Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre
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Joseph-Frédéric Degeorge naît le 12 septembre 1797 à Rennerod en Westphalie, fils de Frédéric Degeorge, un adjudant-major dans l’armée de Hoche originaire de Clermont-Ferrand, et d’une béthunoise, Aldegonde-Scholastique-Joseph Machu. Après un passage en Italie où son père amasse une petite fortune en devenant fournisseur de l’armée mais fait vite faillite, la famille revient à Béthune et vit du commerce maternel.
Enrôlé, à l’âge de seize ans, dans le 2e régiment d’infanterie de ligne où a servi son père, Frédéric Degeorge participe aux campagnes de 1814 puis de 1815. Combattant à Ligny et à Waterloo dans la division du prince Jérôme, il quitte l’armée sous la Restauration et regagne Béthune, où il va mener une campagne virulente contre les ultras. Lorsqu’il publie en 1817 une brochure en faveur du candidat libéral de Boisgérard, il attise en effet la colère des royalistes locaux : les différends réguliers qui s’ensuivent ne font qu’accentuer sa passion de la liberté et renforcer sa haine des Bourbons.
Étudiant en droit et opposant déclaré à la monarchie
Frédéric Degeorge, lithographie de Jacques-François Llanta, Paris, imprimerie Aubert et Junca, 2e quart du dix-neuvième siècle. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 473/21.
Frédéric Degeorge, lithographie de Jacques-François Llanta, Paris, imprimerie Aubert et Junca, 2e quart du dix-neuvième siècle. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 473/21.
En 1819, il part faire son droit à Paris. Opposant déclaré, il est dénoncé et est incarcéré à la prison de la Force en juin 1820, pour avoir pris part aux rassemblements qui ont eu lieu devant la chambre des députés, à l’occasion du changement de la loi électorale (double vote accordé aux électeurs fortunés). Bien qu’il ait prétendu être dans sa famille à Béthune au moment des faits, il est également exclu pour un an de l’école de droit. Il est l’un des fondateurs de la loge des Amis de la Vérité et se trouve mêlé à diverses conspirations. Entré dans la Charbonnerie avec Bayard et Buchez, il affilie à cette société secrète les quatre régiments de la garnison de Lille.
Degeorge prend part à toutes les tentatives d’insurrection et publie de nombreuses brochures politiques, dont en 1821 Les accents de la liberté au tombeau de Napoléon et Des élections : ce qu’il faut faire ou ce qui nous menace, qui sont traduites devant les tribunaux.
Condamné à mort par contumace le 24 mars 1824 par la cour d’assises de Saint-Omer pour son soutien aux révoltés espagnols, il se réfugie à Londres ; il y donne des cours de français et rédige plusieurs articles pour LeGlobe et la Revue encyclopédique. Marié avec Caroline Ross, une créole de la Jamaïque, il décide de revenir à Béthune en juillet 1828 : il se constitue prisonnier et est acquitté le 18 août par la cour d’assises de Saint-Omer.
Fondateur et rédacteur en chef du Propagateur et du Progrès, journaux républicains
Il contribue dès lors à développer dans son département d’origine un climat libéral en se rapprochant de quelques personnalités locales influentes. Le 24 septembre 1828, il donne naissance au Propagateur. Journal du Pas-de-Calais, grâce au soutien de Charles Ledru, un avocat parisien né à Bullecourt qui a fondé LaGazette des tribunaux en 1826, et avec l’aide de deux riches propriétaires arrageois, François Corne de Brillemont et Charles-Louis-Marie-Eugène Harlé d’Ophove. Degeorge en est le gérant et le rédacteur en chef ; il fait une guerre acharnée au ministère Polignac, résiste à l’exécution des ordonnances et se met à la tête du mouvement de juillet 1830. Au lendemain de la Révolution, il refuse les emplois qui lui sont offerts et ne tarde pas à reprendre sa place dans l’opposition démocratique, collaborant entre autres au Bon sens de Cauchois-Lemaire.
Déçu par l’orientation conservatrice de la Monarchie de Juillet, Frédéric Degeorge critique clairement la position du gouvernement ou celle des préfets successifs, le baron de Talleyrand-Périgord puis Claude-Élisabeth Nau de Champlouis. En 1833, il rompt avec le régime, s’affirme républicain et tente ainsi de rassembler les mécontents dans une opposition qu’il souhaite ferme et constructive ; il ouvre ainsi ses colonnes à Louis Blanc, alors précepteur chez l’industriel arrageois Alexis Hallette.
L’emprise qu’il s’efforce d’exercer sur les populations du Pas-de-Calais occasionne quelques procès de presse, mais le jury acquitte systématiquement le journal et ses rédacteurs. Toutefois, les actionnaires refusent de payer l’augmentation du cautionnement, après les lois de septembre 1835, et de nouvelles poursuites entraînent la fermeture du Propagateur au 31 décembre de la même année. Il est cependant remplacé, dès le 4 janvier suivant, par Le Progrès du Pas-de-Calais.
Des notables érudits, rejoints par des avocats libéraux issus de divers horizons, soutiennent Degeorge, collaborent même à ses journaux et le défendent lors des procès. On y retrouve :
ses anciens associés, Ledru et Corne de Brillemont (dont le père a été président du conseil général du Pas-de-Calais de 1831 à 1833),
le beau-frère de ce dernier, Henri Billet, opposant dynastique et futur administrateur provisoire en mars 1848,
l’avocat Émile Lenglet, plus tard préfet du Pas-de-Calais au lendemain du 4 septembre 1870,
et surtout Édouard Degouve-Denuncques, fils d’un ancien député libéral, qui partage avec Degeorge la responsabilité du Progrès.
Parmi les collaborateurs, figure Louis-Napoléon Bonaparte, qui y publie entre autres son "Extinction du paupérisme" (mai 1844).
LeProgrès exerce une forte influence sur la population. En tête de la presse départementale avec 1 075 abonnés en 1846, il touche principalement les professions libérales et le milieu commerçant, mais aussi des lecteurs issus de certains milieux ruraux de l’Artois et de nombreux fonctionnaires. Diffusés en parallèle dès 1834, des Almanachs populaires atteignent un public beaucoup plus large.
Frédéric Degeorge. Secrétaire de l’Assemblée nationale. Représentant du Peuple (Pas-de-Calais), lithographie de Becquet frères d’après un dessin d’Auguste Legrand, Paris, Victor Delarue, [1848-1849]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 473/22.
Frédéric Degeorge. Secrétaire de l’Assemblée nationale. Représentant du Peuple (Pas-de-Calais), lithographie de Becquet frères d’après un dessin d’Auguste Legrand, Paris, Victor Delarue, [1848-1849]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 473/22.
La crise qui conduit à la fin de la Monarchie de Juillet place Frédéric Degeorge au premier plan, durant une campagne unissant les oppositions dynastique et républicaine. Lui-même républicain de la veille, il suscite suffisamment de confiance à Paris pour que le Gouvernement provisoire lui confie dès février 1848 les fonctions de commissaire de la République pour le Pas-de-Calais.
Élu représentant à l’Assemblée constituante le 23 avril, le troisième sur 17, il abandonne ses fonctions de commissaire dès le 8 juin ; il siège à gauche, est secrétaire de l’Assemblée, vote contre le rétablissement du cautionnement, contre le droit au travail… Son influence est d’autant plus acceptée qu’il s’oriente vers un libéralisme modéré et que ses idées expriment alors les souhaits de la petite et de la moyenne bourgeoisie.
Soutien de Cavaignac, Frédéric Degeorge s’oppose à Louis-Napoléon Bonaparte, vainqueur de l’élection présidentielle du 10 décembre, et plus encore à ses partisans. Il est battu aux élections législatives du 13 mai 1849, puis au second tour de celles du 29 février 1852, dans la première circonscription (Arras), face au candidat officiel, le baron Wartelle d’Herlincourt.
Il est profondément marqué par son échec électoral, d’autant que Le Progrès, qui constitue sa principale ressource, vit difficilement : le journal a été suspendu pendant deux mois après le coup d’État du 2 décembre, puis est en butte à de nombreux avertissements préfectoraux. Les dispositions de la nouvelle loi sur la presse rendent obligatoire une augmentation de l’abonnement et le préfet lui refuse la substantielle publication des annonces judiciaires.
Lors d’un voyage à Paris à la fin de 1853 et au début de 1854, les premiers symptômes d’un dérangement d’esprit apparaissent chez lui. En proie à une monomanie caractérisée, il est persuadé d’avoir rallié l’empereur à ses idées et se hâte de l’écrire à ses amis, annonçant aux uns leur retour en France et aux autres une nomination à un poste important. La maladie progresse rapidement : Degeorge est interné dans une maison de santé le 12 mars 1854.
Après une terrible agonie, il meurt à Paris le 22 juillet 1854. Ses obsèques, conduites par son gendre Ayraud et par Lebeau, ancien maire de Calais, ont lieu à Arras le 26, en présence d’une foule importante, de ses proches et d’anciens collaborateurs, ainsi que de nombreux adversaires politiques. Aucun discours n’est prononcé conformément à la volonté du défunt.
Conclusion de la plaidoirie de Frédéric Degeorge lors du procès du 24 août 1833
Détruisez la presse, et avant qu’il ne soit une année, vous aurez la loi sur l’état de siège, qui remettra votre honneur, votre liberté, votre vie à la disposition des ministres et des préfets ; vous aurez des bastilles à la porte de vos villes ; au lieu des améliorations promises, vous aurez tous les abus de la restauration, sans en avoir pourtant la tranquillité et le repos. [...]
En effet, la presse n’est pas une arme, c’est une idée ; elle ne frappe pas, elle discute. Elle discute des théories politiques auxquelles d’autres théories peuvent répondre ; elle combat la légitimité par l’orléanisme, le républicanisme par la royauté. Elle féconde l’opinion, et ses débats publics la préparent, en définitive, à recevoir la meilleure forme de gouvernement, celle pour laquelle se prononcera la majorité, car ce n’est pas à un roi de dire à tout un peuple : je veux, mais au peuple à adopter ce qui lui convient ; à voir si la république ne conviendrait pas mieux à son honneur, à sa gloire, à ses intérêts ; si le temps de cette république annoncée à la France par le captif de Sainte-Hélène, n’est pas bientôt venu ; si le temps de cette république annoncée par Louis-Philippe quand il disait : Si je deviens roi, la nation prendra tellement les institutions républicaines, que vingt ans après la république sera proclamée
: si le temps de cette république qui fait le bonheur et la prospérité des États-Unis n’est pas au moment d’arriver. (Agitation et marque d’assentiment dans tout l’auditoire).
Procès du Propagateur du Pas-de-Calais, journal républicain acquitté par la cour d’assises de St-Omer. Contient la défense complète du citoyen Degeorge et la plaidoirie de Me Ledru, 3ième édition, Arras, 1833, p. 23. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 1378/6.
Bibliographie
A. FORTIN, "Frédéric Degeorge, journaliste arrageois (1828-1848)", Revue du Nord, n° 45, 1963
A. FORTIN, Frédéric Degeorge, Lille, Université de Lille, 1964. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 2511
A. FORTIN, "Aspects de la vie sociale du Pas-de-Calais durant le Second Empire", Revue du Nord, n° 204, 1970
Y.-M. HILAIRE, Une chrétienté au XIXe siècle ? La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914), Lille, 1973. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3393/1-2
J.-P. VISSE, La presse arrageoise 1788-1940. Catalogue commenté des périodiques de l’arrondissement d’Arras, Bapaume et Saint-Pol-sur-Ternoise, Roubaix, 2009. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 3365