À l’aube du XVIIe siècle, la famille artésienne de Bailliencourt dit Courcol tente de placer l’une de ses filles, Hedwige, au chapitre noble de l’abbaye Sainte-Gertrude de Nivelles. Bien qu’elle soit reconnue, la tâche n’a, semble-t-il, pas été aisée.
Les chapitres nobles
À la différence des couvents, régis par des règles strictes, les chapitres nobles sont surtout des pensionnats pour jeunes filles de la noblesse. Celles-ci portent le titre de chanoinesses et dépendent d’un chapitre canonial de femmes, sorte de groupe monastique aux règles assouplies. D’une part, elles sont astreintes à la récitation des heures canoniales, partagent leurs repas dans un réfectoire et dorment dans un dortoir commun ; elles consacrent une part conséquente de leur quotidien au culte et à la vénération de leur sainte patronne, en l’occurrence sainte Gertrude à Nivelles. D’autre part, elles peuvent profiter de dispositions spécifiques, telles qu’avoir des servantes et jouir d’une habitation particulière le jour. En fait, la chanoinie permet à ces femmes, hors du mariage, de trouver une situation convenable et un revenu assuré. En effet, l’appartenance à un chapitre procure, en plus d’une distinction honorifique, un bénéfice ecclésiastique non négligeable : la prébende. Par ailleurs, l’admission à un chapitre noble peut être un facteur d’ascension sociale. Lorsqu’elles quittent l’habit, les chanoinesses peuvent souvent se marier à des époux de lignées supérieures à la leur. On trouve finalement plus de sobriété chez les chanoines, qui sont avant tout des prêtres, que chez leurs consœurs, qui ont une vie plus mondaine que religieuse. Et c’est la Révolution française qui va en provoquer la disparition.
Les Pays-Bas méridionaux ont abrité une multitude de chapitres pour chanoines ou chanoinesses issus de l’aristocratie, ainsi à Cambrai, Denain, Maubeuge, Tournai ou Nivelles… Une certaine concurrence existe entre ces chapitres qui essaient chacun de devancer les autres en lustre et en noblesse. Nivelles fait alors partie des sept chapitres nobles du Saint-Empire romain germanique (avec Andenne, Mons, Moustier-sur-Sambre, Munsterbilzen, Susteren et Thorn). Accueillant une quarantaine de chanoinesses, il se trouve dans la province du Brabant, non-loin de l’Artois. Un monastère double y a été fondé au VIIe siècle par sainte Gertrude, disparue en 659.
Des conditions d’entrée exigeantes…
À Nivelles, le premier texte qui restreint à la noblesse le recrutement des chanoinesses, date de 1462. Aux XVe et XVIe siècles, à l’instar des autres collégiales de ce type, le chapitre adopte comme usage la nécessité de prouver quatre quartiers de noblesse, c’est-à-dire deux paternels et deux maternels. Mais les modalités d’accès aux chapitres nobles sont sans-cesse renforcées. Le règlement d’admission devient plus sévère par la volonté propre des chanoinesses. Celles de Nivelles s’enorgueillissent tellement de leur titre qu’elles n’admettent, qu’à regret, de nouvelles recrues. C’est, semble-t-il, de leur propre autorité que vont être demandés huit quartiers de noblesse, bien avant la décision du pape Paul III qui va dans le même sens, en 1538. En outre, le roi Philippe II impose une restriction supplémentaire en exigeant des postulantes qu’elles soient régnicoles, à savoir natives ou vassales des Pays-Bas espagnols. Au XVIIIe siècle, c’est même seize quartiers qu’il faut prouver ! Ce qui a pour effet d’écarter de nombreuses postulantes, dont celles issues de la noblesse de robe, au profit des vieilles familles de l’aristocratie. Tout cela traduit un fort réflexe identitaire, permettant de renforcer le rang et le prestige des chanoinesses.
C’est principalement à l’égard des quartiers d’ascendants que les chapitres se montrent difficiles. Le huitième était examiné aussi minutieusement que le premier. Chaque quartier de noblesse doit être attesté par un membre de la famille invoquée, qui prête serment. Celui-ci est acté et vérifié par des chanoines généalogistes. La pratique du népotisme et de la cooptation assure une réelle homogénéité du recrutement et de la transmission des chanoinies aux sein des mêmes familles, les plus influentes au plan régional. De véritables dynasties se trouvent ainsi représentées dans ces chapitres. On remarque d’ailleurs, en consultant les patronymes des chanoinesses de Nivelles, nombre de familles nobles de l’Artois : Beauffort, Croÿ, Hénin-Liétard, Noyelles, Warluzel, Wignacourt, etc.
… comme en témoigne les deux documents mis à l’honneur
Le document mis à l’honneur est une attestation de noblesse d’Hedwige de Bailliencourt, établie par le gouverneur des ville et cité d’Arras, Adrien de Noyelles. Le dossier concernant la demande d’admission d’Hedwige (ou plutôt Hadewy) au chapitre noble de l’abbaye Sainte-Gertrude, contient vingt-huit autres pièces, dont trois attestations produites par d’autres gentilshommes, comme Georges de Montmorency, grand bailli de Bruges, ou Charles de Bonnières, gouverneur de Saint-Omer (du 8 mai au 18 juillet 1602). Comme nous l’avons vu précédemment, les exigences généalogiques deviennent au de plus en plus lourdes cours des siècles et rendent complexes tant la constitution du dossier que sa vérification. La preuve de ces quartiers s’établit par titres, inscriptions tombales et attestations assermentées par des gentilshommes. Car l’abbesse ne peut admettre que des demoiselles d’ancienne noblesse militaire, sans bâtardise, bourgeoisie ou roture.
L’arbre généalogique d’Hedwige de Bailliencourt, présenté ici, comporte en conséquence les armes : de ses parents, François de Bailliencourt, seigneur de Douchy et d’Ayette [ note 1], et Marguerite de Fontaines ; de ses grands-parents paternels, Pierre de Bailliencourt et Catherine de Wignacourt ; de ses grands-parents maternels, Jehan de Fontaines, seigneur de Perroy [ note 2], et Barbe d’Oursin ; et enfin de ses huit bisaïeuls, Pierre de Bailliencourt, Marie d’Abbeville, Jehan de Wignacourt, seigneur de Berlettes [ note 3], Isabeau de Pronville, dame des Obeaux [ note 4], Claude de Fontaines, Jeanne Le Prévost, Charles d’Oursin et Catherine de Gryse.
Hedwige est acceptée comme chanoinesse après deux ans de procédures. Anne de Namur, 46e abbesse de Nivelles, finit par lui attribuer la prébende laissée vacante par le décès d’une chanoinesse dénommée Alexandrine Costhain.
Les archives de la famille de Bailliencourt dit Courcol
La famille de Bailliencourt dit Courcol est originaire du sud de l’Artois et du Ponthieu. Le patronyme Bailliencourt est vraisemblablement une déformation du nom Baillescourt, actuellement un lieu-dit qui se trouve sur le territoire de la commune de Puisieux. Cette famille est probablement issue, au XIIe siècle, d’une branche cadette de la maison de Landas, à l’origine vassale des Candavène, comtes de Saint-Pol.
Quant au surnom Courcol qui lui est souvent accolé, il est presque aussi ancien que le patronyme Bailliencourt. La tradition rapporte que cette famille aurait récupéré ce surnom à la suite d’une bataille à proximité d’Abbeville, où le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, aurait frappé l’épaule de Baudoin de Bailliencourt, en lui disant "Tu es un gentil Courcol", parce qu’il était petit et le col ramassé.
Le fonds de Bailliencourt dit Courcol couvre une période allant de 1495 à 1860. Il a été donné aux archives départementales du Pas-de-Calais, le 22 avril 2015, par les héritiers de cette famille. Cet ensemble, qui représente seulement quinze centimètres linéaires, est mis à la disposition des lecteurs, sous les cotes 1 J 2387-2389.
Attestation de noblesse d’Hedwige de Bailliencourt, établie par Adrien de Noyelles, le 25 mai 1602
Nous Adrian de Noyelles chevalier seigneur de Marles, baron du Rossignol, gouverneur et capitaine des ville et cité d’Arras, certiffions et attestons sur notre foy et honneur à tous qu’il appertiendrat, spécialement à madame de Nivelles et aux demoyselles dudict lieu, que demoyselle Hadewy de Baillencourt est fille légitime de feu Franchoys de Baillencourt, escuier seigneur de Berlettes, Doucy, Ayette etc. et de demoyselle Margueritte de Fontaines.
Lequel seigneur de Berlettes estoit filz aisné de Pierre de Baillencourt, escuier seigneur de Doucy, Ayette, etc., et de demoyselle Chaterine de Wignacourt, grand-père et grande-mère paternels de ladicte demoyselle Hadewy.
Estant ledict Pierre de Baillencourt, (à ce que nous avons tousiours entendu de persones dignes de foy, et nous est apparu par leur descente) filz de feu Pierre de Baillencourt, aussy escuier seigneur de Doucy, et de demoyselle Marye d’Abbeville. Et ladicte demoyselle Catherine de Wignacourt, fille de messire Jehan de Wignacourt, chevalier seigneur de Berlettes, et de demoyselle Isabeau de Pronville, dame des Obeaux, tous quattre aves paternels de ladicte demoyselle Hadewy, vray noble de tous costés, née des susdicts mariages, sans aucune batardise ou bourgeoisye desrogante à noblesse. En tesmoing de ce avons signé ces présentes de notre nom et cacheté de notre cachet armoyé de noz armes, le vingt-cincquiesme jour de may mil six cens et deux.
[signé :] A. de Noyelles Marles
Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 2387.
Notes
[ note 1] Seigneuries situées sur les communes actuelles de Douchy-lès-Ayette et Ayette, au sud d’Arras.
[ note 2] Seigneurie située à Béthune.
[ note 3] Seigneurie probablement située sur l'actuelle commune de Savy-Berlette, à l’ouest de d’Arras.
[ note 4] Seigneurie située sur l'actuelle commune d’Évin-Malmaison.