L’action de Mgr Lobbedey auprès de la population et des réfugiés du Pas-de-Calais est sans aucun doute prépondérante, tant ses visites et ses discours sont attendus et suivis dans son diocèse, voire même au-delà.
Séparée de l’État depuis 1905, l’Église catholique se mêle pourtant à la vie des habitants du Pas-de-Calais, que ce soit à l’arrière ou sur le front.
Une partie des Français, et donc des combattants, est encore marquée par l’anticléricalisme ambiant d’avant-guerre. Toutefois, depuis les premiers mois du conflit, la présence de l’évêque, mais aussi les nombreux témoignages de courage et de générosité donnés par les ecclésiastiques, que ce soit sur les champs de bataille, dans les hôpitaux ou les orphelinats, font mesurer aux habitants, et aux étrangers de passage dans Pas-de-Calais, la place qu’ils occupent réellement.
Au Touquet comme à Étaples, on assiste ainsi à une sorte de fraternité, née au cœur des épreuves de cette terrible guerre, qui n’est pas sans conséquence sur les relations et les habitudes qu’entretiennent dorénavant les familles et le clergé.
Visite épiscopale à Paris-Plage et à Étaples
La guerre a jeté, sur nos plages de la Manche, une population toute différente de celle qu’elles étaient habituées à recevoir, en cette période de l’année. Plus graves, plus soucieuses peut-être, toutes ces familles qui viennent de l’Artois, de la Flandre, de la Belgique, sont, à coup sûr, plus chrétiennes.
C’est à Paris-Plage et à Étaples que Monseigneur est allé, le dimanche 12 septembre, porter le réconfort de sa présence et de sa parole.
Sa première visite a été pour les ambulances, installées princièrement dans les grands hôtels de Paris-Plage. C’est Régina avec ses pavillons isolés, au milieu de la forêt ; c’est Atlantic, avec ses 400 lits ; c’est l’Ermitage, qui a soigné à la fois plus de 900 blessés ; car, là-bas, on voit grand et on agit en conséquence. Pour le personnel médical, pour les infirmières, pour les malades, Sa Grandeur a eu le mot qui va au cœur et conquiert tous les suffrages.
À plusieurs reprises déjà, Mgr avait trouvé devant lui, dans l’église de la plage, de superbes auditoires. Jamais, même aux jours des fêtes les plus brillantes, il n’y avait vu pareille affluence. Réfugiés des pays envahis, habitués de la saison, Anglais de passage se pressaient pour entendre l’évêque d’Arras, attirés, les uns par la curiosité et la sympathie, les autres par la fierté et l’admiration.
Par une attention ̶ je n’ose dire : une coquetterie ̶ qui a, dès les premiers mots, illuminé bien des visages, Monseigneur a commencé par parler en flamand à ses auditeurs belges. Ce qu’il leur a dit ? Je ne sais. Mais personne n’a eu de peine à le deviner, aux gestes, à l’accent, aux jeux de physionomie ; et quand après la Messe, on a vu M. Collard, maire et député d’Ypres, offrir toute sa reconnaissance à l’évêque d’Arras, on a compris que la communauté des malheurs et du courage a une éloquence plus haute que les émouvantes paroles.
Puis Sa Grandeur a souhaité la paix à tous : aux vivants, en dépit de leurs deuils et de leurs angoisses ; aux blessés, malgré leurs souffrances ; aux morts, qui nous laissent de si grands exemples ; à la France et à ses alliés, qui luttent vigoureusement pour le triomphe de la justice.
Et à mesure que cette chaude parole tombait sur l’auditoire, les cœurs se rassénéraient [sic pour rassérénaient], les fronts se relevaient, plus d’un sentait un frisson passer sur lui, ou les larmes lui monter aux yeux.
Cependant, à la tribune, voix et instruments, dirigés par un maître, mariaient leurs accords avec une rare perfection.
Il fallut longtemps pour regagner le presbytère, tant le Pas-de-Calais et le Nord rivalisaient avec la Belgique pour témoigner leur joyeuse gratitude à celui qui venait de fortifier leurs âmes.
Il faut se hâter cependant : car une autre foule, d’allure et de physionomie très diverses, attend Monseigneur à Étaples.
M. le doyen y a ressuscité, l’an dernier, une vieille dévotion locale à N. D. de Foy (la statue remonte à 1623) ; et la population a fait vœu, si elle était préservée de l’invasion, de faire, autour de la ville, pendant 25 ans, une procession analogue à celle du Saint-Cordon de Valenciennes.
C’est donc la seconde fois que la procession du Vœu va se dérouler. Trois cavaliers anglais ouvrent la marche ; à tous les carrefours, des agents de la police britannique assurent l’ordre et veillent sur le cortège.
On prie, on chante de tout cœur ; et au retour, ceux qui peuvent pénétrer dans l’église aperçoivent bientôt Monseigneur en chaire.
Il félicite la population de sa foi et de sa vaillance traditionnelles ; il met nos braves marins sous la protection de Celle qui est la Vierge, la Mère et la Reine par excellence ; il veut surtout apporter à M. le doyen un témoignage public de son estime et de sa sympathie.
Prêtre au cœur d’or, modèle des pasteurs, semeur de vocations, initiateur d’œuvres, sous toutes les formes à Wizernes, à Richebourg, à Étaples, M. l’abbé Coppin a mérité depuis longtemps, autant et plus que ses trois neveux, la croix des braves. Sa Grandeur lui confère les insignes de chanoine honoraire de la cathédrale. Notre-Dame de Boulogne accueillera volontiers, j’imagine, ce pilote de choix à son bord.
Le lundi 13, les exercices de la retraite du mois réunissaient au presbytère d’Étaples, les prêtres du doyenné. Le P. Chabanel y fit entendre sa parole apostolique. Monseigneur présida les réunions et adressa à son clergé les avis de circonstance.
Dans l’impossibilité d’organiser des Retraites Générales, Sa Grandeur est heureux, au moins, de favoriser tout ce qui peut retremper les âmes sacerdotales, et les mettre en face de leurs redoutables devoirs.
C[harles] G[uillemant]
La Croix du Pas-de-Calais, jeudi 16 septembre 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/17.