Fernand-Joseph-Édouard Marche naît à Bully-les-Mines le 2 juin 1888. Comme son père, il descend très tôt dans les mines, puisqu’il devient galibot à l’âge de 13 ans à la fosse n° 1 de la compagnie des mines de Béthune. En 1908, il se marie avec Angélina-Louisa-Maria Pischon ; de leur union naissent deux enfants.
Après avoir effectué son service au 33ième RI, il passe dans la réserve en 1911. Rappelé en août 1914, il retrouve le régiment de son service militaire avant de rejoindre en 1915 le 130ième RI, qui participe aux principales campagnes de cette guerre. Le 8 octobre 1915, Fernand Marche est blessé dans la Marne.
À l’été 1916, dans l’enfer de Verdun, le 130ième RI a pour mission de mener une contre-offensive visant à dégager la crête de Souville et de reprendre le village de Fleury. Début août, il se trouve en ligne à 200 mètres de l'ouvrage de Thiaumont, occupé par les Allemands. Le poste de commandement du colonel Lebaud est situé à 30 mètres du saillant de la fermeture de la ligne française face à l'ennemi ; cette position avancée ne peut être relié par téléphone avec l'arrière, en raison du pilonnage incessant. Seuls des coureurs se relayant de trou d'obus en trou d'obus peuvent assurer la liaison.
Le lieutenant Engerand, détaché aux carrières de Bras-sur-Meuse, assure le service des communications. Le 1er août 1916, un ordre urgent et important de la division arrive aux carrières. Le lieutenant a besoin d’un volontaire pour porter le pli au poste de commandement. Fernand Marche se propose. Conscient de l’importance de sa mission, il part résolument. Mais il n’y parviendra jamais. Un obus l’atteint. Touché à la gorge et au ventre, il se traîne jusqu'à une croisée de pistes et meurt, couché sur le dos, le bras droit raidi, levé vers le ciel, tenant dans sa main crispé le pli ensanglanté. Un autre agent de liaison le découvre ainsi et apporte le pli au colonel Lebaud qui organise le renfort et permet une victoire des Français le lendemain.
Touchés par cet acte de bravoure, le lieutenant Engerand et le colonel Lebaud ont l’idée d’ériger un monument à sa mémoire, chose extrêmement rare pour un simple soldat. Ils reçoivent l’appui du député du Calvados Fernand Engerand, père du lieutenant. Ce projet trouve écho auprès de la compagnie minière de Béthune et de son directeur, Louis Mercier. Tout en y participant généreusement, celle-ci lance une souscription nationale pour aboutir à une inauguration, le 4 octobre 1925.
Les journaux ont largement contribué à faire connaître l’histoire du soldat Marche. Au lendemain de la guerre, L’Écho de Paris publie une série d’articles relatant les faits, l’inauguration du monument créé à sa mémoire, une demande de médaille militaire qui est attribuée à Fernand Marche le 2 octobre 1920 ou la citation à l’ordre de l’Armée du 26 avril 1922 :
Marche Fernand Joseph Edouard, matricule 1434, soldat de 2ième classe, agent de liaison, volontaire pour porter un pli à son colonel, a été tué le 1er août 1916, en cours de route, sa dernière pensée étant tout à sa mission ; le coureur suivant a trouvé son corps, le bras tendu en l’air et les doigts crispés sur le pli qu’il portait.
Jusqu’en 1977, le monument est implanté dans la nouvelle organisation du carreau de la fosse n° 1 et de sa nouvelle entrée, là-même où Fernand Marche a commencé à travailler en 1901. Le socle est réalisé par le marbrier Kinard et installé avant la fin 1924. Le même artiste a également exécuté la pose du soldat et des bas-reliefs entre août 1921 et septembre 1925. Au démantèlement de la fosse, il est déplacé à une centaine de mètres de là, à l’entrée du square Henri Darras.
Œuvre en bronze du sculpteur parisien Armand Roblot (1890-1983), lauréat du salon des artistes français, il représente Fernand Marche dans l’attitude où il fut retrouvé : couché sur le côté gauche, élevant le bras droit dont la main tient le pli qu’il était chargé de porter.
Par arrêté du 12 janvier 2010, le monument bénéficie d’une inscription aux monuments historiques. De plus, lors de la trente-sixième session du comité du patrimoine mondial, qui s'est tenu du 24 juin au 6 juillet 2012 à Saint-Pétersbourg, le site n° 86, Monument au soldat Marche, a été inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Inauguration du monument au soldat Marche
La compagnie des mines de Béthune a tenu, dimanche, à glorifier l’acte peut-être unique dans sa bravoure à la fois émouvante et simple de l’un de ses mineurs. Il lui appartenait de le faire pour rendre à cet humble collaborateur tout l’hommage qu’il méritait et pour célébrer son sacrifice qui concrétise si bien le caractère plein de noblesse du combattant français.
Cet homme est le soldat Fernand Marche qui, dans la lutte effroyable de Verdun, se sacrifia volontairement comme agent de liaison.
Sa citation qui, dans son éloquence militaire remplie de sobre ponctualité, rappelle exactement le fait, vaut d’être reproduite. La voici :
Soldat d’élite aux sentiments élevés et du plus bel exemple ; le 1er août 1916, au cours d’une forte attaque allemande près de l’ouvrage de Thiaumont devant Verdun et après la mort de plusieurs agents de liaison chargés d’aller sous un bombardement violent demander des renforts, s’est proposé à son colonel pour remplir la même mission. Blessé mortellement, s’est traîné jusqu’à un carrefour proche où pouvaient passer des coureurs ; est mort tenant en évidence le pli qui lui avait été remis et dont la teneur devait permettre au commandement de soutenir son régiment particulièrement éprouvé.Un monument a été élevé pour commémorer ce sacrifice. Il s’élève sur le terrain de Bully-les-Mines, à l’entrée du puits n° 1, où travaillait Marche.
Le chevalement du puits édifié en ciment armé dresse sa silhouette blanchâtre à quelque distance de là. Le terrain est formé par une grille demi-circulaire que coupent des pilastres à colonnes doubles.
L’œuvre est due au ciseau du sculpteur parisien Armand Roblot. Elle fut inspirée par un article de M. Engerand, député du Calvados, dont le fils fut, avec le colonel Lebaud, un des chefs du soldat Marche.
La beauté de ce geste qui n’a pas été égalé éclaira son génie et guida son talent.
Le héros a été représenté par le sculpteur dans l’attitude où il fut trouvé ; couché sur le côté gauche, élevant le bras droit dont la main tient le pli qu’il était chargé de porter ; le sol sur lequel il s’est traîné est ravagé par la tourmente des combats, et sous le corps du soldat est tombé le poteau indicateur brisé du carrefour de la route de Verdun à Douaumont.
La cérémonie d’inauguration commença à quinze heures.
Autour du monument vinrent se placer les délégations des officiers de complément, des membres de l’union nationale des combattants, des mutilés, les sociétés de gymnastiques et les harmonies des diverses fosses de la compagnie des mines de Béthune ; la fanfare des dites mines, dirigée par M. Delhaye ; les sociétés de tir et de sports.
De chaque côté du bronze, que recouvre un drapeau tricolore, viennent monter une garde d’honneur, les mineurs de la fosse n° 1, en tenue de travail, coiffés du chapeau de cuir, tenant en main le pic et portant, accrochée à la ceinture, la lampe allumée ; tous portent la croix de guerre, et plusieurs la médaille militaire.
Ils se tiennent sous les ordres de François Rombeau, chef porion, lieutenant de réserve, dans la même tenue que ses compagnons, et qui porte, épinglée à la blouse, la croix de chevalier de la Légion d’honneur.
À quinze heures, les autorités prennent place sur l’estrade édifiée à proximité du monument, devant lequel se groupe, sur la route de Cambrin, une foule imposante.
On remarque au côté de M. Plichon, président du conseil d’administration : Mgr Julien, évêque d’Arras ; M. le général Lacapelle ; M. le colonel Lebaud ; M. Mercier, directeur des mines de Béthune ; MM. Salmon, Léon Thiriez, Degouy, administrateurs ; M. Engerand, député du Calvados ; M. le capitaine Fauvelle ; M. le curé de Bully.
Aux pieds de l’estrade, des places ont été réservées aux membres de la famille du soldat Marche, et notamment à sa veuve, qui habite actuellement Paris, à ses deux enfants et à ses sœurs.
La sonnerie du Garde à vous retentit ; puis les discours commencent.
Le premier, M. Plichon, prend la parole, et apporte les excuses du général de Castelnau.
Il rappelle les états de service de Marche, qui, appartenant à la classe de 1908, avait 26 ans à la mobilisation.
En 1916, le 130ième régiment, auquel il appartenait, vivait l’un des plus durs moments de cette effroyable lutte qui se déroulait devant Verdun. Les corps et leurs fractions ne pouvaient plus correspondre : plus de téléphone, plus de télégraphe, les pigeons eux-mêmes ne volaient plus ; seul, comme toujours, l’homme restait.
La 1ère compagnie fournissait les coureurs, qui avaient 1 800 mètres de terrain chaotique à parcourir pour aller correspondre avec le PC du colonel Lebaud.
Marche se présenta pour accomplir une de ces missions. Blessé à mort, il devint l’esclave même de cette nécessité. Il faut que l’ordre arrive. Et c’est alors que se traînant vers un carrefour voisin, il tomba et fut trouvé, le corps figé dans l’attitude que lui avait donné la pensée de faire parvenir cet ordre.
L’histoire des Grecs, dit M. Plichon, a perpétué la beauté de ces gestes fameux. Aucun n’atteint à l’élévation de celui que nous glorifions aujourd’hui.
L’orateur félicité le sculpteur de l’heureuse et belle inspiration qui guida son ciseau. Son œuvre dira que dans le cœur des plus humbles brillait la flamme qui fait les héros. Puis, il donna lecture de la citation que nous reproduisons plus haut.
Le voile tricolore tombe alors.
Le général Lacapelle, commandant le 1er corps d’armée, regrette que le général de Castelnau ne soit pas là pour célébrer le courage du soldat Marche, mais d’une voix moins autorisée, il tient à signaler la beauté de ce geste fameux dû à un de ces soldats de France qui poussèrent l’héroïsme jusqu’aux extrêmes limites.
Dans un récit imagé, il montre tout ce qu’il a fallu d’abnégation à cet homme pour accomplir sa mission sur un champ de bataille tel que Verdun.
Pour les soldats qui viendront après lui, c’est un des plus sublimes exemples.
La Marseillaise retentit à ce moment.
Ensuite, M. Engerand, député du Calvados, dont le fils fut un des chefs de Marche, célèbre le dévouement de ce mineur, dont rien ne pourra égaler l’éclat. Les camarades de cet homme peuvent être fiers de celui qui fut leur compagnon de labeur. Il félicite la compagnie des mines de Béthune et le sculpteur, qui est lui-même un ancien officier des zouaves.
L’Avenir de Lens, jeudi 8 octobre 1925. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 18/3.