Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Les villes marraines

Reprenant une idée du sénateur Édouard Herriot, relayée par le député Adolphe Buisson, le Petit Journal lance un projet de campagnes d’adoption des communes martyres par celles qui n’ont pas connu l’invasion. La référence à la relation marraine-filleule rappelle celle des marraines de guerre et des soldats auxquels elles apportent un soutien affectif et matériel.
Prenant sous leur patronage une ville choisie parmi les plus éprouvées, les villes marraines désireuses de  rétablir une vie décente dans la ville adoptée devront envoyer de l’argent, des vêtements ou de la nourriture. Marseille, Lyon, Nantes et d’autres communes, promptes à participer à cette œuvre d’entraide nationale, vont répondre à l’appel et témoigner ainsi des sentiments qui les animent à l’égard de la France sinistrée. Les pouvoirs publics restent étrangers à cette œuvre.

Villes marraines 

M. Adolphe Buisson, reprenant une idée déjà émise par le sénateur Herriot, propose une sorte d’adoption de nos villes-martyres par des villes restées à l’abri et qui, en reconnaissance du sacrifice accompli pour le salut commun, aideront aux restaurations avec une particulière générosité. Très bien. Mais qu’on n’oublie pas, d’autre part, la dette des ravageurs. Il y a, de l’autre côté du Rhin, des citées orgueilleuses, d’où sont partis les soldats, les canons, les engins multiples qui ont dévasté Arras, Soissons, Reims. Qu’elles répondent respectivement du relèvement de nos ruines. On fera des souscriptions françaises, mais sans préjudice des indemnités allemandes.

La Croix du Pas-de-Calais, mardi 9 juillet 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.

Le concept de ville marraine va s’étendre à l’international avec comme exemples britanniques, la ville d’Huddersfield qui devient marraine de la commune d'Havrincourt, Evercham de celle d'Hébuterne ou encore Hastings de celle de Sailly-au-Bois dans le Pas-de-Calais. Du côté des Canadiens, on citera les dons de la ville de Torontoà la commune de Vimy et d’Halifax à Metz-en-Couture.

En vue d’organiser la reconstitution des zones dévastées, les départements sinistrés vont faire l’objet d’enquêtes entre 1919 et 1921 pour évaluer et quantifier les dommages de guerre. Une décision ministérielle invitera ainsi en 1921 les différents cantons de France à adopter comme filleule une commune des régions sinistrées afin d’apporter à la population de ces zones un secours matériel. Proposée par les Grandes Associations françaises pour l’essor national, cette initiative sera validée par le gouvernement Doumergue.

Les villes marraines  

La "Dépêche", constatant à la fois l’empressement et l’embarras des gens généreux, propose ceci :

"Les cités marraines semblent ne pas [s]avoir comment s’y prendre. Nous allons donc leur indiquer un moyen pratique, immédiatement pratique.
Il s’est constitué un comité hispano-américain qui, sous le couvert de la neutralité, fournit aux habitants des régions occupées le strict minimum pour ne pas mourir de faim et qui distribue également des vêtements à ceux qui en manquent.
Donc, que chaque ville qui veut sérieusement être marraine, récolte chez elle des vêtements même usagés ou des conserves par exemple et que, d’accord avec le gouvernement elle fasse expédier en Hollande au comité américain ces secours, en spécifiant la ville ou le village auquel ils sont destinés. Les envois arriveront à destination et soulageront beaucoup de misères.
Allons mesdames les marraines, voilà le bon procédé et il n’y a qu’à se mettre de suite à l’ouvrage. Vous ferez mieux après, faites cela maintenant".

La Croix du Pas-de-Calais, jeudi 6 juillet 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.

Marseille, marraine d'Arras : Le 18 avril 1915 a été créé le comité "La Provence pour le Nord", comité d’action patriotique chargé de recueillir des dons en faveur des départements du Nord envahis. Dès 1916, Marseille décide de financer la reconstruction d’Arras, mais il faut attendre 1917 pour que le conseil municipal vote un crédit d’un million de francs pour contribuer à la réparation du préjudice causé par l’invasion allemande. 

Ville de l’arrière, Marseille souhaite par ce geste généreux faire preuve de solidarité patriotique à l’égard des communes proches du front.

À la veille de l’armistice, le conseil municipal décide en séance, le 5 novembre 1918, de parrainer Arras pour afficher sa solidarité avec une ville particulièrement éprouvée par les combats et les bombardements. 900 000 francs sont ainsi versés pour la reconstruction.

En outre, le nom d’Arras est donné à une place et à un boulevard à Marseille, tandis que la cité atrébate donne celui de Marseille à l’une de ses places en souvenir du généreux geste marseillais.

Les bonnes marraines

Une des plus belles initiatives est celle que le "Petit Journal" a provoquée et qui a pour objet la reconstitution des villes et des villages détruits par la guerre. Il s’agit de donner comme protectrice à chacune de ces villes une autre ville qui n’a point souffert, une ville marraine. C’est étendre aux agglomérations, aux foyers, aux murs, cette pitié charmante qui a donné aux poilus sans famille des marraines généreuses et tendres. C’est de l’amour qui déborde.

Les maires de Marseille, de Lyon, du Mans, de Dijon, de Nantes et de quelques autres cités que le fléau a épargnées ont envoyé d’enthousiasme leur adhésion à ce projet. Il n’est pas question d’imposer aux villes de l’arrière une contribution nouvelle. Il n’y aura pas de marraines par force. Seules auront la charge d’assister leurs sœurs, les municipalités qui l’auront sollicitée. Les pouvoirs publics resteront étrangers à cette œuvre. Et par là celle-ci sera plus belle et plus féconde.

Les sacrifices d’argent que le gouvernement a imposés à la nation ne sont rien en comparaison de ceux que la nation s’est imposés elle-même. Rappelez-vous le premier hiver de la guerre. L’initiative de chacun suppléa magnifiquement aux imprévisions du commandement. Et depuis ce jour, pas un besoin n’est resté sans secours, pas une souffrance sans consolation. Oui, la France peut être admirée autant pour ses actes de charité que pour ses actes de vaillance. Elle apparait aujourd’hui dans son intégrale beauté morale.       

Ainsi, Marseille, qui a manifesté une vie si intense pendant la guerre, donnera de ses forces aux cités mortes d’Arras ou de Reims, Lyon relèvera les usines de Lille, rouvrira ses écoles et ramènera les battements de la fièvre du travail dans les artères de cette ville industrielle. Nous allons assister à une extraordinaire opération de transfusion du sang de la race, apportant la vie par d’invisibles veines jusqu’aux victimes blessées, la vie qui anime la France robuste et jaillit d’un seul cœur.

La France du Nord, samedi 8 juillet 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/94.

À la fin des hostilités, face à l’ampleur des destructions, ce mouvement de solidarité international se généralise. Les alliés d’hier deviennent les parrains de la reconstruction des foyers dévastés. Algérie, États-Unis, Indochine, Sénégal, Pays-Bas ou encore Royaume-Uni, chacune de ces nations ou colonies organise des comités pour lever des fonds et financer la reconstitution des régions blessées.

Dons et adoptions

Au lendemain de l’armistice, de nombreuses personnalités vinrent visiter les champs de bataille.
[…] Et ces visiteurs, venus de l’Angleterre, des États-Unis, du monde entier, de retour dans leur pays, faisaient part, à leurs compatriotes, de ces visions d’horreurs ; ils ne cachaient pas leur surprise de l’effort surhumain que tentaient d’accomplir les habitants de nos malheureuses régions, après avoir enduré les fatigues et les souffrances de l’invasion et de l’exil.
La conscience humaine se révolta devant ce désastre sans précédent. De toutes parts affluèrent des concours spontanés.
Des comités se formèrent en Angleterre, en Amérique, en France, dans nos colonies pour apporter des témoignages de sympathie et d’encouragement.

Les adoptions britanniques forment une part spécialement émouvante de ces marrainages, en raison des sentiments profonds et durables qui en ont inspiré la plupart.
Commisération pour les souffrances des populations et du sol même de notre département libéré en 1917 et 1918 par les armées anglaises, lien créé par les tombes innombrables que ces mêmes armées ont laissées dans nos campagnes et que le sentiment britannique a été de conserver immuables sans permettre aucun rapatriement.
Un contrat tacite s’est donc formé qu’a admirablement résumé le lord-maire de Liverpool :
Vous veillez nos morts, nous aiderons vos survivants .
[…] C’est de ce sentiment que naquit la "British League of Help". […]

Le comité "France-Amérique", dont la générosité s’est consacrée plus spécialement aux régions dévastées de l’Est, a cependant fait parvenir des dons de toute nature aux communes du Pas-de-Calais. […]

Le Gouvernement hollandais mit une somme de trois millions de florins à la disposition du Gouvernement français pour la construction de deux cités, à des emplacements à choisir par ce dernier. […] La cité hollandaise de Lens comprend 346 chalets de différents types, une hôtellerie ouvrière, trois écoles, une salle de bains et un hôpital. La cité hollandaise de Liévin comprend 136 chalets d’habitation, deux écoles, un établissement de bains.

Le même élan de solidarité provoqua, dans toute la France et dans nos colonies, des concours précieux et émouvants. […]

Ces populations du Pas-de-Calais conserveront des sentiments d’indéfectible reconnaissance envers ceux qui les ont encouragées dans les moments douloureux et difficiles de ces huit années. Elles se souviendront des cœurs généreux qui les ont aidées à reconstituer leur foyer anéanti.
En leur nom, le préfet du Pas-de-Calais adresse, à leurs bienfaiteurs, un merci ému.

[suit une liste des communes adoptées et villes marraines].

La reconstitution des régions libérées du Pas-de-Calais, Situation au 1er janvier 1927. Préfecture du Pas-de-Calais, BHC 1970.