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Marraines de guerre

Face aux tourments de la guerre, le poilu puise espoir et réconfort dans les nouvelles qu'il reçoit des siens restés à l'arrière. Mais quand un soldat n'a plus de famille ou qu'il se trouve isolé sur le front, qui pour lui remonter le moral et l'aider à endurer l'horreur du quotidien ?

C'est dans ce but qu'est créée la première œuvre de marraines de guerre, La Famille du soldat, le 11 janvier 1915 à Angers.

La France, une grande famille

Carte postale couleur où sont représentés une dizaine de soldats aux physiques différents. La légende en-dessous précise "Fermez les yeux, piquez au hasard une figure sur la carte, l'image indiquée sera le filleul que le sort vous donne".

Carte postale "Horoscope des filleuls", collectée lors de l'opération Europeana. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Num 01 57/26.

Confiants et insouciants, tels sont les qualificatifs utilisés traditionnellement pour décrire les soldats partant à la guerre "la fleur au fusil", à l’aube de ce qui sera l’un des conflits les plus meurtriers de tous les temps.

Malheureusement, cette gaieté est de courte durée, et l’enlisement dans le conflit, autant que dans la boue des tranchées, va fortement affecter le moral des troupes. Dans ces conditions, un réconfort des plus efficaces est la réception de lettres ou de cartes postales, au bas desquelles le combattant peut lire des paroles chaleureuses : tes parents qui t’aiment ou ta bien-aimée qui t’embrasse .

Seulement, bon nombre de soldats n’ont, soit plus de famille, soit pas de nouvelles de la leur, parfois piégée dans les tourments de l’exode. C’est ainsi que, le 11 janvier 1915, naît à Angers la première œuvre de marraines de guerre, La Famille du soldat, créée par Marguerite de Lens (ou Delens).

Le principe est de mettre en relation épistolaire des femmes, les marraines, avec les hommes du front, leurs filleuls, afin de leur apporter soutien et force. D’autres associations similaires voient le jour, comme celle de Mme Bérard, Mon Soldat, soutenue par le Ministre de la guerre Alexandre Millerand. La presse joue un rôle important dans ces actions dont elle fait la publicité, gratuite qui plus est.

D’autres journaux proposent des initiatives plus lestes : en mai 1915, Fantasio fait paraître une rubrique baptisée Le flirt sur le front qui veut mettre en relation les hommes de l’avant avec les femmes de l’arrière. L’opération connaît un tel succès que le journal ne peut y faire face et doit l’arrêter dès le 15 novembre. Mais la revue La Vie parisienne reprend le flambeau le 4 décembre suivant, ce qui lui vaut quelques mois plus tard de remplir de larges colonnes d’annonces.

Le patriotisme sur fond de gaudriole et d’espionnage

Lettre manuscrite sur laquelle on lit : "Chère marraine, Inutile de m'attendre plus tôt qu'à mon tour. Tu dois comprendre par toi-même que si je partais plus tôt, ce ne pourrait être qu'au détriment d'autres camarades, lesquels sont tout aussi pressés que moi d'embrasser leur famille, car on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve. En ce moment, je me refais à mon métier de cavalier et je suis très content dans mon nouvel escadron. Je remanie le sabre et j'espère bien m'en servir avec gloire dans un jour prochain. Rien de neuf ici que je puisse te dire. Nous sommes toujours à la même place bien qu'on parle souvent de changement. J'ai souvent besoin d'une montre. Ne pourrais-tu m'en envoyer une ? Une petite montre-bracelet qu'on attache au poignet. Si tu ne trouves pas, ne te dérange pas, je ferai sans. Inclus photo de la maison où je couche, au moment d'un concert improvisé par des automobilistes et des chasseurs. Il y a d'excellents numéros. Tu vois qu'on ne s'ennuie pas au front. Je ne suis malheureusement pas sur la photo. Je vous embrasse tous quatre. Louis Doisy".

Lettre de Louis Doisy, collectée lors de l'opération Europeana. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Num 01 78/07.

L’objectif premier de cette action est, à ses débuts, patriotique ; les associations sont de bonne morale et tenues par des dames que l’on pourrait garantir de haute vertu.Il s’agit de rappeler l’unité nationale en s’appuyant sur la notion de famille : chaque Français en est membre et la solidarité prime.

Alors que les premières annonces sont publiées solennellement dans des journaux catholiques, le phénomène prend une telle ampleur qu’il finit par devenir l’agence matrimoniale de la Grande Guerre.

Les moralisateurs, quant à eux, crient au scandale et c’est bientôt la fin du concept de marraine de guerre ; les médisances, le temps passant, les candidatures de jeunes femmes au poste de marraines se font de plus en plus rares.

En ce qui concerne l’armée, le concept de marraine suscite la méfiance. Les craintes de la Grande Muette sont que, derrière d’innocentes jeunes femmes patriotes se cachent, en fait, des espions de l’autre camp.

Des officiers français vont d’ailleurs finir par sonder la moralité et la fiabilité de certaines marraines. Pour leur part, les Britanniques interdisent, tout simplement, les missives entre leurs militaires et les marraines françaises. Certaines analyses modernes émettent l’hypothèse d’une pensée machiste : l’outrecuidance des femmes à écrire librement à des hommes, sans la surveillance d’un tuteur.

La reconnaissance des marraines par la patrie

Néanmoins, l’idée de parrainage a fait son chemin et, vers 1920, des campagnes d’adoption de villes sont lancées : des villes et villages dévastés deviennent les filleuls de villes se situant en régions non sinistrées, qui leur envoient de l’argent, des colis de vêtements ou de nourriture. Marseille est ainsi la marraine d’Arras et lui offre 900 000 francs ; ce concept s’étend même internationalement, puisque Huddersfield (Grande-Bretagne) devient la marraine d'Havrincourt ou Evercham celle d'Hébuterne.

Finalement, après toutes ces calomnies, le plus bel hommage de la mère-patrie à ces femmes sera le retour des marraines de guerre en 1939 lors de la seconde guerre mondiale.

Recto et verso d'une carte postale.D'un côté on voit un soldat assis dans une tranchée, le fusil à la main. Au-dessus de lui sont représentés une femme et deux enfants attablés. La légende porte le titre "le rêve". Sur l'autre face, on lit "Je vous envoie petite marraine bien aimée, "un rêve" en vous laissant le soin de mettre des noms sur les visages... Avec un peu de perspicacité, vous y parviendrez sans peine... surtout depuis que vous savez que mon coeur est tout plein de notre chère image. Mon rêve d'aujourd'hui, celui que je fais en ce moment, après avoir passé ma journée sur [mon] livre de droit, c'est de voir d'écouler bien vite cette semaine qui commence. Je voudrais déjà être à dimanche. À cette heure, j'aurai déjà quitté Châteauroux et je serai sur le point d'atteindre Loches... et celle qui a toutes mes pensées et toute mon affection. Votre Henri".

Carte postale collectée lors de l'opération Europeana. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Num 01 30/07.