Fin 1914, le front se fige et les belligérants s’enterrent dans les tranchées. Lieu de surveillance, d’attente avant l’assaut, d’ennui et surtout de souffrances physiques et psychologiques, ces boyaux restent aujourd’hui encore l’un des symboles majeurs de ce nouveau genre de guerre.
Premières tranchées
En octobre 1914, beaucoup ont compris que la guerre serait longue et, face à l’immobilisme du front, on commence à creuser les premières tranchées.
D’abord sommaires (simples percées sinueuses), elles ne tardent pas à être agrandies et approfondies. Des claies de bois viennent bientôt renforcer les parois, afin d’éviter les éboulements en cas de fortes précipitations ; on creuse des abris latéraux pour se prémunir du froid.
Progressivement, on aménage une deuxième et une troisième ligne de défense. De manière générale, début 1915, le système de tranchées des deux camps est assez similaire. En effet, les premières lignes allemandes et françaises sont chacune constituées de trois tranchées parallèles :
- une première tranchée de tir protégée par des sacs de terre,
- une tranchée de couverture derrière,
- une tranchée de soutien avec poste de commandement et artillerie.
Les pluies de janvier 1915
L’hiver 1914-1915, particulièrement humide et froid, marque les esprits et le moral de tous les combattants. Depuis novembre, il pleut sans discontinuer et, début janvier, les tranchées de tout le secteur au nord-est d’Arras sont remplies de boue liquide, parfois sur une profondeur allant jusqu’à 1,50 mètre.
Le 21 janvier, devant Écurie, le capitaine Allouchery écrit ces lignes :
Boyaux et tranchées sont actuellement dans un état épouvantable. Malgré un travail incessant, il y a dans le lit des boyaux une épaisseur de boue variant de 30 centimètres à un mètre. La 8e compagnie du 6e tirailleurs a eu la plus grande partie de ses hommes enlisés. Commencée à 19 heures, la relève n’a pu être achevée que vers 8 heures du matin.
Le lendemain, il a fallu sortir avec des cordes et des ceintures les tirailleurs enfoncés dans la boue jusqu’au ventre. Plusieurs y ont laissé chaussures et équipements, certains étaient à demi-nus, après avoir passé une nuit dans la boue glacée.
La situation est telle que le 10 janvier, Joffre envoie la note suivante aux armées :
Il m’est rendu compte que, sur certains points du front par suite d’inondations et de l’état du sol, il n’est pas possible de séjourner dans les tranchées ou d’engager d’action offensive sérieuse. Notre adversaire est d’ailleurs aux prises avec les mêmes difficultés.
Il convient en conséquence, dans les armées qui n’ont pas entrepris d’opérations spéciales de ne laisser en première ligne sur ces parties du front que le nombre d’hommes indispensables pour assurer la sécurité.
Les noyés de Berthonval
Déjà le 30 décembre 1914, Joffre avait demandé à Foch de reporter en arrière [...] les troupes qui ne sont pas nécessaires pour assurer la garde des tranchées et constituer les réserves de 1re ligne
au lendemain de l’échec de la première bataille d’Artois.
Le 7 janvier 1915, dans le bois de Berthonval (près de Notre-Dame de Lorette), des soldats de la Xe armée sont évacués, alors qu’ils se trouvent enlisés dans les tranchées ; malgré cette mesure préventive, certains ne parviennent pas à s’extirper de la boue dans laquelle ils sont ensevelis jusqu’aux épaules et ils périssent, asphyxiés.
Des conditions de vie très dures
Au froid et à la boue s’ajoute une hygiène déplorable (l’eau est rationnée) qui entraîne diverses pathologies liées aux conditions précaires de la vie dans les tranchées : gale ou engelures dans le meilleur des cas, mais aussi "pied de tranchée", résultant de la station permanente dans l’eau boueuse et dégénérant souvent en gangrène.
Beaucoup ont décrit "l’odeur de mort" qui règne dans les galeries : les bombardements mettent souvent à jour des cadavres sommairement ensevelis, le sang se mêle à la boue et attire toutes sortes de nuisibles (notamment les rats).
Et surtout l’attente, interminable. Dans les tranchées, le poilu attend toujours quelque chose : le repas, le courrier, le travail de consolidation généralement effectué de nuit, la relève ou l’ordre de monter au front.
La crainte permanente des bombardements ou des tirs de snippers crispe les nerfs des combattants, déjà rudement mis à l’épreuve.
Un système de rotation
Face à ces conditions de vie particulièrement éprouvantes, ces jeunes soldats de toutes nationalités ont fait preuve d’une résistance exemplaire.
Afin de les ménager, l’armée française met en place à partir de 1915 le rythme suivant :
- une semaine en première ligne,
- une semaine au cantonnement,
- une semaine en réserve.
À l’été 1915, les soldats moralement épuisés voient arriver avec bonheur les premières permissions, dont la pratique sera codifiée après de longs débats.