L’octroi de jours de repos, appelés "permissions" dans le jargon militaire, existe depuis le règlement du 1er mars 1890. Ils représentent entre 15 et 120 jours de congés sur 24 à 36 mois de service militaire.
À la veille de l’entrée en guerre, les conscrits bénéficient ainsi de 40 jours de congés annuels, en accord avec la loi du 7 août 1913, dite "loi des Trois ans", qui a fait passer la durée du service de deux à trois ans pour préparer la France à une éventuelle guerre contre l’Allemagne.
Abrogation des permissions en temps de guerre
Des premiers jours de la mobilisation jusqu’en juillet 1915, aucune permission n’est autorisée. L’intégralité des troupes doit demeurer sur le front. Laisser partir des soldats en congé lors d’un conflit paraît impensable. Avec le prolongement de la guerre au-delà de l’hiver 1914-1915 (au mois d’août 1914, les mobilisés comme la population pensent que la guerre sera courte et qu’à Noël, chacun sera de retour dans son foyer), des revendications apparaissent, dues aux conditions de vie déplorables, à l’enlisement de la campagne contredisant les espoirs d’un retour rapide, au désir de revoir sa famille, mais aussi à l’apparition de troubles physiques et psychologiques et à la montée des doutes sur la conduite de la guerre.
Typologie des congés et permissions
Lès les premiers mois de la guerre, toutefois, certains types de congés et de permissions sont réapparus. Il est à noter que l’armée distingue traditionnellement les congés, qui relèvent de l’exception, des permissions, dont l’attribution est générale, tout en restant fondée sur la notion de mérite.
Les permissions peuvent être accordées pour des motifs économiques ( aider aux travaux agricoles) ou pour certaines occasions familiales (naissance, mariage…). Pour ceux du front, elles sont comme une souffrance de plus : ils sont en première ligne, face au feu de l’ennemi, et il leur est interdit de retrouver leur famille, ne serait-ce que pour quelques jours.
Les premières autorisations d’absences accordées sont les permissions agricoles (la mobilisation de la plupart des hommes en âge de travailler ayant entraîné un déficit de main-d’œuvre), qui bénéficient non aux soldats de l’active envoyés au front, mais aux troupes demeurées dans les dépôts ou aux soldats de la territoriale cantonnés à l’arrière. Ceux-ci, âgés de plus de 34 ans et qui ne sont pas censés participer directement aux combats, sont rapidement autorisés à rentrer chez eux lors des grandes saisons agricoles afin de participer aux travaux des champs (pour en savoir plus, voir l'article "Moissons en état d'urgence").
Les congés de convalescence sont rétablis à partir de l’automne 1914 pour les blessés de guerre. À partir du 16 octobre 1914, les congés de courte durée accordés aux convalescents sur le point de retourner au front permettent de décharger les formations sanitaires (pour en savoir plus, voir l'article "Le quotidien des médecins dans la Grande Guerre"). D’autres convalescents, en attente de réforme ou de renvoi au front, peuvent, eux, bénéficier d’un congé pouvant aller jusqu’à trois mois, selon le règlement de 1890.
Rétablissement du système de permissions : la loi Dalbiez
L’utilisation des permissions comme outil de rétribution symbolique du sacrifice combattant fait par ailleurs son chemin et les blessés de guerre en sont les premiers bénéficiaires. Elle est entérinée en décembre 1914, quand le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, les rend automatiques, porte leur durée à une semaine et lève l’interdiction initiale de séjour à Paris.
En mars 1915, les permissions sont autorisées pour les officiers. Mesure qui a pour effet immédiat d’indigner l’opinion et les milieux politiques.
Pour soutenir le moral des troupes face au conflit qui s’éternise, confronté aux protestations des familles et aux pressions du Parlement, le général Joffre en vient finalement à instituer un système de permissions. Le 30 juin 1915, il offre à chaque combattant 8 jours de congés dans sa famille, réduits à 6 jours dès la mi-août. Cette permission ne concerne de toute façon, par rotation, que 5 % des unités combattantes et 10 % des unités de réserve, disparité souvent considérée comme une injustice. Pour les permissionnaires habitant le sud de la France, le retour aux sources commence par un trajet en train relativement long et inconfortable.
La loi Dalbiez, votée le 17 août 1915, redéfinit la place des mobilisés et des mobilisables dans les armées. Sa préparation a permis aux parlementaires d’engager à partir du début de 1915 un débat sur la relève des effectifs combattants. Elle insiste sur l’équité dans l’octroi des permissions entre les soldats engagés au front depuis le début de la guerre et les effectifs mobilisables qui n’ont pas encore été engagés.
Entre bonheur et désillusion
Au front, les permissions sont une obsession pour les combattants, qui comptent les jours qui les séparant de leur famille. Elles constituent une brève éclaircie dans leur vie misérable, l’occasion de revoir leurs proches, de renouer avec un arrière dont ils ont été séparés, pour certains, depuis de longs mois, voire presque une année. Toutefois, bien des soldats n’en éprouvent pas moins une certaine déception. Ce sentiment tourne parfois à la rancœur, lorsqu’ils découvrent que le pays se comporte parfois comme si la guerre n’existait pas, que la vie continue alors qu’ils souffrent et, souvent, meurent au combat.
Le permissionnaire bénéficie d’un véritable retour à la vie civile, malheureusement temporaire. Alors qu’il vient de retrouver les siens, il est déjà assailli par le cafard du retour. Il est submergé de sentiments contradictoires, tels que la joie d’échapper un moment à l’horreur du front, la culpabilité à l’égard des camarades restés au combat, la peur de ne plus revoir ses proches, l’incompréhension de la vie à l’arrière. Les autorités se méfient également de lui, car il est susceptible de provoquer le découragement dans la population, en apportant des nouvelles d’une guerre qui piétine et peut être perçue comme une absurdité.
Mais le temps de la permission s’écoule très rapidement. Il paraît toujours trop court aux hommes qui l’ont longtemps attendu. C’est à l’approche de l’expiration que la tension augmente le plus. Le permissionnaire repense à son retour sur le front, aux souffrances physiques et morales qu’il va à nouveau subir, à la longue séparation avec les êtres chers qui l’attend. Puis arrive le drame du départ…