Témoignages de ceux qui sauvent les vies
Je reviens à moi au poste de secours. Il y a des chirurgiens et des infirmiers, ça gesticule dans tous les sens. Il y a des blessés qui arrivent, ça tourne, ça n'arrête pas, et ça tombe et dehors ça pilonne. [...] Dans la nuit, une ambulance m'emporte avec deux autres amochés. [...] On roule toute la nuit, ça secoue, les routes sont épouvantables. On finit par nous lâcher dans un hôpital militaire, bondé. Les blessés gisent dans tous les coins libres. J'en vois dans les couloirs, les lingeries, les salles d'attente. J'attends encore toute la journée, personne ne vient, je pourrais aussi bien crever.
Cet extrait d'un carnet de Georges Beaumont, soldat pendant la Grande Guerre, nous montre à quel point la vie est difficile pendant le conflit, même pour le personnel soignant. L'arrivée de nombreux blessés, souvent graves, des évacuations difficiles, se déroulant principalement sous le feu ennemi, des bombardements sur ou à proximité des postes de secours font partie du dur quotidien des médecins, des infirmiers et des brancardiers de la Grande Guerre.
Ce quotidien nous est parvenu à travers les témoignages contenus dans les carnets du personnel soignant, et nous permet ainsi d'aborder la Grande Guerre d'un autre point de vue, à savoir celui des personnes devant soigner au plus vite les blessés pour les renvoyer sur le front.
La chaîne médicale
Plusieurs parcours sont possibles après qu'un soldat ait été blessé sur le champ de bataille.
Selon la gravité de ses blessures, il est transporté assis ou couché par les groupes de brancardiers qui viennent le récupérer là où il est tombé.
Ensuite, les brancardiers amènent les blessés aux différents postes de secours, situés à proximité des tranchées et qui peuvent faire l'objet de bombardement.
Alfred Degez, médecin major de 2e classe, nous témoigne dans son carnet le 15 mai 1916 que Tous les jours nous sommes bombardés, et que c'est le poste de secours qui reçoit les obus
.
Dans ces postes, les blessés y reçoivent les premiers soins avant d'être dirigés vers les ambulances en stationnement derrière les lignes de front. Là, les blessés reçoivent des soins plus poussés et peuvent être transportés par les ambulances vers des hôpitaux d'évacuation en arrière du front. Ces hôpitaux sont souvent des lieux réquisitionnés par l'armée, comme des lycées ou des couvents, qui sont réaménagés pour accueillir et s'occuper de blessés.
Enfin, les blessés peuvent être soit redirigés vers un dépôt des éclopés, pas trop loin du front pour permettre de remobiliser les soldats rétablis plus rapidement, soit, pour les blessés les plus graves, vers des hôpitaux mixtes ou militaires dans les zones éloignées des combats.
Des évacuations bien souvent délicates
Cependant, tout ne se passe pas toujours de cette manière.
En effet, Pierre Dehœy, chef du Groupe des Brancardiers de la 13ème Division d'Infanterie, souligne le danger auxquels s’exposent les brancardiers lors de l'évacuation des blessés du 11 octobre 1914 dans la région d’Aix-Noulette et Bully-Grenay :
Au cours de la journée, les colonnes, qui ont été faire des relèves, ont été à plusieurs reprises exposées au feu de l'artillerie ennemi. Dans les régions aussi découvertes que celles qui servaient de théâtre à la lutte, les transports de jour exposent beaucoup les blessés.
Journal de marche et d’opérations du groupe de brancardiers de la 13e DI, 5 août 1914-10 juillet 1915. Service historique de la défense, 26 N 292/11.
Des luttes internes peuvent aussi apparaître au sujet des blessés. Ce fut le cas pour Alfred Degez, qui nous raconte dans son carnet, le 2 avril 1916 :
Rencontre avec le Médecin Divisionnaire Cruet, qui m adresse des reproches très violents au sujet des évacuations: les sciatiques et les hernies doivent marcher dit-il.
Il m’inflige une attrapade très sérieuse, malgré l’intervention du Colo. Il me quitte en disant qu’il va en référer à la direction du 9ème car, dit-il, je réduis le régiment à l’état squelettique.
Journal de guerre d'Alfred Degez. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 1912.
Le transport peut également se compliquer à cause de mauvaises communications au sein de l'armée. Pierre Dehœy eut par exemple la mauvaise surprise, le 15 octobre 1914, de ne trouver personne à l'emplacement indiqué d'une ambulance: Il n'y avait ni infirmier ni brancardier de garde pour répondre, ni matériel.
Le 10 octobre, bien qu'il ait atteint l'ambulance n° 3 située à Nœux-les-Mines, il doit malgré tout déposer ses blessés à l'hôpital civil de cette ville, car l'ambulance n'avait pas reçu l'ordre de fonctionner…
Progrès techniques
La Grande Guerre s'accompagne également de nouvelles mesures médicales avec la prise en charge d'un nouveau type de patient : les soldats intoxiqués par les gaz.
Alfred Degez nous raconte dans son carnet que le 16 février 1917 : Un régiment de territoriaux a sérieusement trinqué. Je suis allé dans un hôpital qui a reçu plus de 500 intoxiqués, et il n'était pas le seul.
On voit également se mettre en place des moyens de lutte contre les épidémies (choléra, peste, etc.) qui déciment les tranchées. C’est pourquoi les premières campagnes de vaccination de masse, concernant à la fois les militaires et les civils en contact avec eux, sont organisées, pour lutter contre la fièvre typhoïde par exemple.
Cette campagne de vaccination est complexe à organiser (8 millions d'hommes mobilisés, vaccination en 3 injections successives, en plus d'une injection un an après, accompagnées de possibles problèmes d'effets secondaires), mais est couronnée de succès avec l'éradication de cette maladie en 1917.
Plusieurs mesures d'hygiènes sont également instaurées. Par exemple, la note de service du général Brissaud-Desmaillet, signée le 24 mai 1917 stipule qu'il faut : cheveux ras pour tout le monde car dans la saison actuelle, une tête non tondue est forcément sale et envahie de poux dans les tranchées. Toute blessure au crâne devient alors très grave.
Alfred Degez nous raconte également qu'à partir du 21 mars 1916, l'ordre est donné pour les soldats de se couper la barbe.
Enfin, malgré le conflit, les médecins et les autres membres du personnel soignant continuent à se former en suivant des cours comme ceux auxquels assistent Alfred Degez, le 8 janvier 1918, sur les gaz. Des conférences ont également lieu comme par exemple celle du 25 septembre 1915 à Bruay, sur la sérosthérapie et la diphtérie notamment occulaire, qui se caractérise par un œdème brutal et considérable des paupières.