Avant la guerre, c’était la fête continuelle, en vraie "saison" ; c’était pour les Paris-Plageois la récolte, la moisson ; mais depuis 18 mois, c’est la "saison de guerre".
La saison balnéaire 1914, qui s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices, est foudroyée par l’entrée en guerre de l’Europe. Pourtant, malgré l’image de légèreté et d’insouciance véhiculée par l’évocation de vacances, les saisons suivantes vont doucement reprendre sur les littoraux français. Plus que des plaisirs, les vacanciers viennent avant tout y rechercher un peu de calme et se déconnecter, ne serait-ce qu’un temps, des vicissitudes de la guerre.
Les syndicats d’initiative des villes balnéaires tentent d’attirer les touristes vers les côtes du Pas-de-Calais, si prisées à la Belle Époque. Mais comme l’annonce la citation débutant cet article (tirée d’une conférence sur l’augmentation des prix des loyers que vous pouvez lire en suivant ce lien), les étés se déroulent sans faste ni fête, car pour tous, c’est la saison de guerre.
Interdit d’entrer sans permis de séjour
Le 1er juillet 1915, afin de réguler l’afflux saisonnier dans la zone des armées, le général Alix, commandant la région du Nord, prend un arrêté réglementant les séjours dans les villes balnéaires. Face aux protestations, ces dispositions très astreignantes, sont assouplies par un second arrêté le 4 août 1915.
Chaque estivant doit en effet se munir d’un titre de séjour, qui lui est remis après avis favorable des autorités militaires française et anglaise dans la zone des armées. Et pour obtenir ce sésame, chaque individu doit répondre à un certain nombre de critères.
Afin d’unifier les procédures, le commandant Eydoux prend le 22 juin 1916 un arrêté unique concernant toutes les plages de la région Nord, qui s’étendent de la frontière franco-belge à l’embouchure de la Somme.
Grâce à ces titres de séjour, les autorités militaires peuvent contrôler la circulation des voyageurs et vérifier l’identité des personnes entrant dans cette zone militaire sensible. On redoute en effet l’infiltration d’espions qui pourraient révéler des informations stratégiques sur l’organisation de la base arrière.
Le 6 août 1915, un nouvel arrêté oblige chaque hébergeur à déclarer les personnes étrangères logeant sous son toit, ce qui permet une nouvelle fois aux armées de contrôler les flux de populations et de mettre à jour les listes de réfugiés.
Vers des mesures plus souples
Si l’on comprend la portée sécuritaire de telles mesures, celles-ci vont néanmoins avoir des conséquences néfastes pour les communes concernées.
La lourdeur des démarches administratives et le manque de préparation des autorités entraînent en effet une lenteur et un retard dans l’attribution des titres de séjour. Les touristes désertent les stations faute du titre escompté et les villes balnéaires, qui tirent habituellement des revenus substantiels de cette activité estivale, pleurent leur saison perdue.
C’est pourquoi les syndicats d’initiative de Boulogne et de Berck demandent aux autorités des mesures plus larges pour les baigneurs pour les futures saisons. Un article paru dans La France du Nord du 1er mai expose ces revendications.
L’arrêté du 15 mars 1916, qui précise les instructions réglementant la délivrance des permis de séjour, est en ce sens beaucoup plus souple et les communes du littoral se prennent à espérer un retour des touristes.
Mais cette mesure bénéfique entraîne un nouvel effet pervers. Avec l’augmentation des plagistes se développe une forte demande en termes d’hébergement. Certains propriétaires en profitent pour augmenter les prix de leurs loyers durant cette saison, ce qui déplaît beaucoup à leurs locataires à l’année, les réfugiés. Des conflits éclatent entre propriétaires et locataires.
L’encadrement des loyers : l’exception de la Côte d’Opale
Il est concevable que les prétentions de propriétaires peu scrupuleux fassent grincer des dents, d’autant que les hostilités se prolongent et que les bourses se vident avec le temps.
Pourtant, il existe depuis 1914 un moratorium en matière de loyers. Mais cette question n’avait jamais été définitivement réglée car il n’était pas prévu que la guerre s’installe.
La loi du 5 août 1914 encadrant l’état de guerre prévoit le droit de pourvoir aux logements, par voie de réquisition, des personnes étrangères dans les régions de l’intérieur. Il est donc tout à fait possible de réquisitionner des logements aux bailleurs trop gourmands, mais avec une délégation de pouvoirs donnée par l’autorité militaire.
Et c’est bien cela qui rend la situation du littoral nord de la France si exceptionnelle. Cette particularité n’est d’ailleurs pas perçue de la même manière par les plus hautes autorités. Le préfet Léon Briens considère que la réquisition prévue par la loi d’août 1914 ne s’applique pas dans la zone des armées, en raison de la délégation de pouvoirs, interprétation que ne partage pas le ministre de l’Intérieur.
Cette situation de flottement entraîne dès lors un climat propice à l’émergence de conflits.
Conflits entre propriétaires et locataires
Dès 1915, certains propriétaires tentent de spéculer sur les maux de guerre en augmentant de façon exagérée les loyers l’été. Les différends se règlent au cas par cas, par conciliation menée entre les municipalités et le comité des réfugiés.
Afin d’anticiper d’éventuels conflits la saison suivante, le préfet écrit à Louis Malvy le 3 avril 1916 pour lui demander de légiférer sur ce point. Cette demande est précédée de peu par une lettre de M. Petit, président du comité des réfugiés de Paris-Plage, soutenu par les sénateurs du Nord Paul Hayez et Paul Bersez. Les trois hommes, invités par le ministre de l’Intérieur, lui exposent les mêmes doléances. Diverses solutions sont envisagées, comme la taxation de la location ou l’établissement d’un droit de réquisition spécifique.
Pour trancher, Malvy demande à Léon Briens de se rendre à Berck et Paris-Plage afin d’établir un état des lieux et de régler cette situation, voyage qu’il entreprend en mai 1916.
En réalité, peu de différends sont à déplorer. La médiatisation de ces cas isolés, largement véhiculés par voie de presse, tient surtout du caractère unique de la situation.
Les conflits continuent de se régler au cas par cas grâce à des actions de conciliation. Et lorsqu’aucune solution amiable n’est trouvée, l’arbitrage revient au sous-préfet de Montreuil qui, en tout état de cause, est très peu intervenu durant la guerre.
Des conciliations qui arrangent tout le monde
En 1917, Louis Malvy se félicite qu’une grande majorité des conflits aient trouvé une issue favorable en premier ressort.
Même si le ministre entend les difficultés des réfugiés, il souhaite également protéger les propriétaires, comme il l’écrit au préfet le 12 février 1917 :
Les propriétaires des localités du littoral ont, eux aussi, en effet des intérêts respectables. L’État en assure la sauvegarde et y trouve un bénéfice direct dans le paiement régulier des impôts
. Tout est question d’économie !