Au cours de la Première Guerre mondiale, 167 communes du Pas-de-Calais ont été rayées de la carte. Au même titre que Reims et Arras, Lens figure au rang des villes dites martyres, qu'il faudra reconstruire intégralement. Avant la guerre, elle est pourtant reconnue comme la plus importante cité minière de France, avec 36 000 habitants. En 1918, ceux qui restent peinent à la reconnaître : sur les 8 000 maisons initiales, seules 33 s'élèvent encore dans le paysage.
À la mi-octobre 1914, après la première bataille de l'Artois, le front se stabilise à l'ouest. Les deux tiers du bassin minier, dont Lens, tombe entre les mains des Allemands. Le quotidien des habitants s'avère difficile. Près de 12 000 soldats stationnent dans la ville. Habitations, industries, alimentation, tout est réquisitionné. Les puits de mines sont inondés et les usines sont démontées ou transformées en ateliers de réparation ou de récupération (cuivre, ferraille, laiton, etc.). La ville fait aussi face aux déportations d'hommes, et les prises d'otages, destinées à faire céder le maire Émile Basly face aux exigences de la Kommandantur, sont récurrentes : les Allemands imposent en effet des règles très strictes aux communes placées sous leur dépendance, qui doivent régler de lourdes indemnités de guerre destinées à financer les frais militaires de l'occupant. Lens subit en outre les lourds bombardements britanniques.
Au printemps 1917, la population est entièrement évacuée. Le 3 octobre 1918, Lens est enfin libérée par les troupes britanniques et, en décembre, les premiers habitants reviennent au cœur de la cité.
Pour Lens, le bilan est lourd : elle fait partie de la zone rouge avec une partie agricole de son territoire entièrement ravagée. Tout comme Liévin, elle fait l'objet de nombreuses photographies largement diffusées, attestant de sa ruine. Citée à l'ordre de la Nation pour faits de guerre, elle se voit attribuer la Légion d'honneur et la croix de guerre avec palme, par décret du 30 août 1919 : Ville glorieuse, qui peut être citée comme un modèle d’héroïsme et de foi patriotique
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Il faudra attendre l'année 1930 pour que Lens retrouve sa production minière d'avant-guerre.
Lens vu par les Allemands
Sans commentaires, cette page d'un voyageur allemand, retour de Lens :
Entourée d'une riche couronne de petites villes minières, de corons pressés les uns contre les autres comme les cellules d'un rayon de miel, de constructions en fer s'élançant dans les airs de hauts et sombres tas de scories, s'étalait la ville de Lens, posée au milieu d'un bassin houiller, dans la région du travail le plus assidu et de la plus intense production, au cœur de la "Terre Noire".
Toutes les rues, tous les chemins sont noirs, les quelques arbres et les rares prairies sont couverts d'une poussière noire, les mornes maisons des pauvres et les somptueuses demeures des riches comme enduites d'une couche de suie. Quatre larges voies, quatre lignes importantes servaient à emporter le précieux combustible dans toutes les directions et apportaient, d'autre part, ce qui est nécessaire à la vie, ce que la terre, fouillée par l'extraction de la houille et recouverte d'une poussière de charbon, ne produisait pas. Avec tous ses faubourgs, Lens peut avoir abrité une population de 50 000 habitants qui y trouvaient leur vie et leur richesse. Tous les combattants du front ouest ont sûrement cantonné une fois à Avion, Sallaumines, Billy-Montigny, Hénin-Liétard, Fouquières, à Courrières, resté fameux par sa grande catastrophe minière. Ils connaissaient ces endroits, mornes agglomérations il est vrai, mais cantonnements passablement confortables. Et c’est devant Lens, justement à l'ouest de cette ville, que se trouvent Loos, Liévin, Angres, Notre-Dame-de-Lorette, Souchez, Givenchy, Vimy, Farbus, Thélus, noms qui rappellent les effusions de sang les plus effroyables et qui, jusqu'à la bataille d’Arras, ne disparaissaient jamais des communiqués officiels. C'est ici que tous les héros de ces combats – de nombreux milliers – furent enterrés dans un vaste cimetière.
Mais, quel triste spectacle offrait la cité lorsque je la revis, il y a quelques jours, et que j'errai des heures entières à travers les rues. Il est presque impossible de s'en faire une idée. Même tous ceux qui virent des localités entièrement détruites ne savent pas ce que signifie la guerre s'ils n'ont pas vu Lens dans ces jours.
Chaque combattant, en particulier, a vu quelque chose de semblable, mais l'affreuse impression que Lens fait dans son ensemble, ne se ressent sûrement dans aucune autre localité. J'ai vu, pendant ces trois années de guerre, tout ce qu'on peut voir en fait de destructions ; peu auparavant, je fus pour la deuxième fois, dans la ville de Dixmude entièrement démolie. Mais la différence est grande. Dixmude est détruite depuis longtemps déjà. L'herbe et les arbustes recouvrent les ruines de leur robe verte, comme une image du passé dont les générations actuelles ne sont nullement responsables. Dixmude excite davantage l'intérêt tandis que Lens, c'est le présent dans tout ce qu'il y a de plus horrible, détruit il y a une heure. Dixmude est un invalide de la guerre. Lens est un corps robuste dont le sang frais s'échappe de mille blessures ; Dixmude est un malheur, Lens est un crime. Dixmude de la cendre ; Lens, un incendie qui flambe. À Dixmude, c'est le calme qui règne après des assauts furieux ; autour de Lens, la furie de la guerre rugit encore effrénée. Dans l'une, c’est l'immobilité du sépulcre, l'autre se débat dans les spasmes de l'agonie. Là, on s'étonne ; ici, on frissonne d'horreur ; là, la désolation de la guerre vous étreint, ici, vous sentez la rage de destruction d'un ennemi, Dixmude est un revenant, mais Lens est la réalité effroyable. Toutes deux ne se réveilleront jamais. La terre devrait engloutir ces lieux horribles. Est-ce que jamais une agglomération humaine renaîtra en ces lieux ?
Le visiteur, qui grimpe sur ces amoncellements de ruines, doit s'arrêter pour regarder autour de lui, car il lui est impossible d'avancer sans examiner tout d'abord de l'œil et sans essayer, avec la pointe du pied et de la canne, si la place qui doit supporter le poids de son corps est assez résistante. Les débris mouvants roulent en s'effondrant à chaque pas dans un grand trou invisible. Le pied heurte sans cesse des morceaux de bois dont les vives arêtes émergent des ruines, des obus non éclatés, des fils de fer, des pièces de fer inflexibles. Et, dans cet effroyable chaos, où l'on peut à peine avancer en plein jour, les combats les plus furieux ont fait rage, des hommes en chair et en os ont fait des assauts, ont défendu leur patrie, tandis que projectiles et ruines croulantes, gaz empoisonnés et éclaboussure de fer, alliance inimaginable des forces destructives, s'acharnaient autour d'eux. Ils ont vécu là des instants où chaque créature n'aurait eu qu'une seule idée ; sauve qui peut. Nos pensées, en proie à la plus vive émotion, se détournent de l'horreur tragique de la destruction et se reportent vers les prodiges d'héroïsme sublime, d'un héroïsme au-dessus de toute conception humaine, qui dans cet enfer d’extermination, luttait pour la défense du foyer.
La France du Nord, dimanche 30 juin 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/97.