À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, une institutrice lensoise, Madeleine Bucquet, entreprend la rédaction d’une monographie richement illustrée sur l’histoire de la cité Saint-Pierre de la fosse no 11. Ce précieux document nous est parvenu grâce à l’entrée, en 2017, du fonds Gauheria aux archives départementales du Pas-de-Calais.
Une monographie à l’honneur
Ce document se présente sous la forme d’un simple cahier d’écolier de 64 pages. Sur la couverture grisâtre, sont dessinés l’église Saint-Pierre de Lens et le chevalet de la fosse 11. Elle porte, sommairement, l’inscription "Notre cité – École des filles, cité Fosse 11 de Lens. CM 2. 4ième classe". Mais dès son ouverture, le charme de l’écriture régulière des institutrices d’autrefois, agrémentée de nombreuses illustrations, pique la curiosité du lecteur.
Cette monographie, rédigée durant l’année scolaire 1947-1948, rappelle, alors, l’histoire de la récente cité de la fosse 11 (dite aussi Saint-Pierre ou Pierre Destombes). Elle débute toutefois bien avant la création de cette dernière en 1891, par le récit de la bataille de Lens, en 1648. Puis elle relate, grâce aux recherches des élèves et au recueil de témoignages, l’histoire mouvementée de la cité qui n’a qu’un demi-siècle, au moment de la rédaction. Chaque partie de la monographie est alors confiée à des petits groupes d’élèves.
Le présent document aborde, ainsi, les sujets suivants :
- La bataille de Lens, en 1648 : haut fait d’armes qui mit fin à la guerre de Trente Ans et qui, surtout, se déroula dans la plaine qui verra naître, trois siècles plus tard, chevalets et terrils.
- La découverte du charbon dans la région.
- La création de la cité de la fosse 11, à partir de 1891, apparaît une véritable petite ville dotée d’écoles, d’une église, d’une salle des fêtes et d’équipements sportifs.
- La Première Guerre mondiale, présentée de façon chronologique, grâce aux souvenirs glanés auprès des « anciens ». Ce chapitre concerne à la fois : la mobilisation, l’invasion et les victimes des bombardements.
- La cité en ruine et sa reconstruction. Ainsi les logements s’élèvent rapidement et sont désormais équipés d’eau et d’électricité, à
croire qu’une fée bienfaisante préside à la reconstruction de la cité
. Les écoles rouvrent en 1920. - La fosse 11, dont les renseignements ont été pris auprès des cadres de la Compagnie des mines de Lens.
- La population. La cité Saint-Pierre est alors un quartier cosmopolite qui abrite environ 40 % d’étrangers.
- Et enfin, la vie des mineurs. Certains élèves témoignent ainsi du quotidien de leurs pères, mineurs de fond. Les témoignages sont entrecoupés de poèmes de Jules Mousseron (1868-1943).
Existe-t-il d’autres documents de ce genre ?
Dans la plupart des cas, les monographies communales ont été réalisées à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Les instituteurs se lancent, alors, dans des recherches sur l’histoire de leurs communes, à la demande du Ministère de l’Instruction publique, notamment, à l’occasion des expositions universelles de 1889 (instruction générale du 31 juillet 1887) et de 1900 (instruction générale du 29 décembre 1898).
Tout comme le document présenté ici, ces monographies dressent un tableau de la physionomie des communes de l’époque, en suivant un plan-type. Elles nous renseignent sur la situation géographique, la population, l’histoire et la vie économique de la commune. Et elles sont souvent illustrées de plans, de photographies ou de dessins.
De nombreux services d’archives départementales conservent de belles collections de ces précieux documents. Ce n’est malheureusement pas le cas pour les Archives départementales du Pas-de-Calais, où l’on ne trouve plus que quelques monographies communales isolées dans des fonds épars. La série T (enseignement général, affaires culturelles, sports) contient par exemple la monographie de Montreuil-sur-Mer. La monographie communale d’Achicourt se trouve, quant-à-elle, conservée dans la bibliothèque historique (cotes Ms 96-98). Les archives disposent en outre de 177 monographies agricoles, conçues par les instituteurs entre 1930 et 1964 (cotes 7 M 1001-1176 [lien vers l’IR ?]).
Le document actuel est dû à l’initiative de Madeleine Bucquet (1902-1975), institutrice d’une classe de CM2 à l’école des filles de la cité Saint-Pierre qui comprend, à cette époque, quinze classes. Cet exercice pédagogique a très probablement été rédigé à l’occasion du tricentenaire de la bataille de Lens en 1648, d’autant que l’histoire de cette récente cité n’avait pas encore fait l’objet de recherches historiques approfondies. Madeleine Bucquet est la fille aînée d’Alfred Bucquet (1871-1951), lui-même instituteur et historien de Lens.
Cette fille du pays a passé l’ensemble de sa carrière dans sa ville natale. Elle a, ainsi, enseigné à l’école des filles de la fosse 11 de 1920 à 1937, puis de 1946 à 1962 ; avec une seule "infidélité", pour une raison qui nous est inconnue, de 1938 à 1946, au profit d’une école de la fosse 4.
Elle n’a pas été inspectée durant l’année scolaire 1947-1948, époque de la rédaction de la monographie. Toutefois, les rapports des 3 novembre 1944, 18 octobre 1946 et 18 juin 1949 nous renseignent quelque peu sur elle. On y trouve, par exemple, les mentions suivantes : Le pays minier a son style de vie, que la maîtresse connaît bien
(1944) ; Melle Bucquet est une maîtresse dévouée, très consciencieuse, qui fournit dans sa classe un gros travail » (1946) ; ou encore « la discipline est facilement assurée
(1949).
Gauheria : un fonds inestimable pour l’histoire de la région lensoise
Ce document est issu des archives de l’association Gauheria - le passé de la Gohelle (sous-série 112 J) entrées aux archives départementales le 5 décembre 2017.
Créée en 1983 par Bernard Ghienne (1947-2016) et Eugène Monchy (1930-2002), cette association a pour but de réaliser des recherches à caractère archéologique, historique et culturel concernant essentiellement le secteur géographique de l'ancienne Gohelle. De 1984 à 2017, elle assure la publication régulière d’une revue de qualité, à laquelle se sont ajoutés dix numéros hors-série, intitulés Les dossiers de Gauheria. L’association finit, toutefois, par être dissoute par un vote de l’assemblée générale du 12 mai 2017.
Son fonds d’archives a été parfaitement bien conservé, ce qui permet de pleinement appréhender le fonctionnement et les activités d’une association qui a marqué de son empreinte l’histoire du Pas-de-Calais. Il contient en outre une riche documentation, parfois composée de documents originaux, qui a aidé à la publication de nombreux articles. C’est d’ailleurs le cas du document présenté ici, qui a été entièrement retranscrit par Pascale Bréemersch dans le 52ième numéro de la revue, publié en août 2003.
Témoignage inestimable pour l’histoire de la cité de la fosse 11, cette monographie, cotée 112 J 115, est à présent consultable sur notre site, sous forme numérisée et en transcription.
Madeleine Bucquet aurait probablement été heureuse d’apprendre que son école ait été inscrite aux monuments historiques le 29 novembre 2009, et la fosse 11 classée par arrêté du 21 décembre 2009. Une grande partie de la cité est aussi inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, depuis le 30 juin 2012.