Arras est l’une des villes les plus touchées par les bombardements allemands, lors de la Première Guerre mondiale. Elle ne cesse d’être pilonnée et donne une impression d’indicible désolation. Aucun édifice public ou religieux n’est épargné. Bien rares sont les maisons qui restent intactes. Détruite presque intégralement, Arras rejoint Reims, Verdun et Soissons au rang de ville martyre de la guerre.
L’église du faubourg Ronville, connue également sous le nom de Notre-Dame de Bonnes Nouvelles, a subi des dommages importants le 13 avril 1915. Un soldat du 25e régiment d’infanterie et le prêtre qui officiait comme aumônier dans cette église ont été touchés par des éclats d’obus et ont succombé peu après.
Journal de guerre de l'abbé Miseron - Récit du 13 avril 1915
Mardi 13 :
L’ennemi tient à montrer qu’il est encore là et surtout qu’un train de munitions vient de lui arriver en gare de Fampoux. À midi, il ouvre un feu nourri sur le faubourg Ronville. Cent obus arrivent à la file autour de l’église. Sous l’avalanche de fer, le clocher ou plutôt ce qu’il en reste s’écroule. C’est la fin des messes militaires pour le 25e à Notre-Dame de Bonnes Nouvelles.
Un prêtre soldat, l’abbé Monier de Rennes, sort du presbytère avec son appareil photographique. Il désire avoir des effets d’obus. Or ironie de la mort… Une bombe plus lancée que les autres vient s’abattre sur la chaussée, auprès de lui et d’un groupe de soldats. Dès le premier sifflement, les hommes se sont précipités vers le corridor du presbytère. Monsieur Monier y est arrivé le dernier et… trop tard. Il est frappé par les éclats sur le seuil de la maison et meurt sur le coup. Il était l’un de ces dix ou douze prêtres au cœur apostolique qu’on avait colloqué dans les fonctions d’infirmier à Habarcq, où ils s’ennuyèrent de n’avoir rien à faire. Avec ses compagnons, il avait demandé à venir faire du ministère sur le front et le colonel du 25e l’avait créé aumônier d’un bataillon. La bombe qui venait de mettre en deuil le clergé de Rennes avait fait d’autres victimes. À côté du prêtre, quatre ou cinq soldats furent atteints par les terribles éclats et l’un d’eux ne tarda pas à expirer.
Cependant, peu à peu, l’ennemi allonge son tir et les obus finissent par tomber en ville : d’abord près de la gare, puis aux abords des Ursulines ; enfin, sur la rue des Murs Saint-Vaast. Un toit vole en éclats, c’est celui de la maison de rapport qui fait l’angle des rues Saint-Denis et Ernest Delannoy. Dans l’ancien grand séminaire occupé par le 136e, les bombes refont le coup de Saint-Thomas, c’est-à-dire qu’elles démolissent la chambre du supérieur. Elles s’amusent aussi à renverser une inoffensive cheminée qui se dressait au bout du bâtiment près de la cathédrale.
On constate aujourd’hui un petit perfectionnement dans les engins de l’artillerie allemande. Ils sont munis d’une hélice. L’un deux a la complaisance de ne pas éclater pour se faire autopsier par l’état-major. Il est probable que ladite hélice a pour but d’accélérer la vitesse. Très heureusement, le clairon du 136e avait eu le temps de donner un petit coup de langue et quand les obus arrivèrent le bataillon était en sûreté. Trois hommes seulement furent légèrement blessés.Du secteur nord, nous est arrivé depuis hier soir le bruit d’une vive canonnade. On se dispute la possession d’Ablain-Saint-Nazaire et de Roclincourt. C’est assez ordinaire.
Du secteur sud nous parvient la nouvelle que deux Allemands ont été capturés à Wailly. Tous deux étaient blessés. L’un d’eux pleurait comme un enfant, croyant qu’on allait le faire capout. Il fut bientôt rassuré quand il se vit amené au Saint-Sacrement et soigné comme l’un des nôtres. Il se rendit bien compte que "les Français ne sont pas ce qu’un vain peuple pense". Interrogé sur les forces de nos adversaires, il aurait déclaré que Beaurains avait un bataillon et que Mercatel en avait deux. Reste à aller voir si c’est vrai.
Journal de guerre de l’abbé Miseron. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 131.
L’abbé Charles Miseron est né à Lagnicourt-Marcel en septembre 1877. Il est ordonné prêtre en 1901, puis devient professeur à l’école Sainte-Marie d’Aire-sur-la-Lys. Vicaire à la cathédrale d’Arras et initialement réformé, il reste seul desservant de la paroisse au début de la Grande Guerre.
Il rédige alors un journal bimensuel, polycopié d’abord, puis tapé à la machine, que la poste porte à des amis, notamment à des hommes des compagnies du génie stationnées aux Ponts-de-Cé.
Le Martyre d’Arras donne par ailleurs les noms des ecclésiastiques qui ont arraché au désastre une partie des richesses artistiques des églises : le nom de l’abbé Miseron y figure pour avoir pu sauver deux triptyques de Jean Bellegambe à Notre-Dame des Ardents (Léonce Viltart, Les historiens du bombardement d’Arras, Arras, 1922. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 890/3).
Repris au service militaire, l’abbé Miseron rejoint son corps et obtient une citation le 15 août 1917. Rentré parmi les premiers à Arras, il est nommé, le 12 juin 1919, doyen de Saint-Nicolas-en-Cité. Il contribue pour une large part à la restauration de son église, qui est rouverte le 20 mai 1923. À cette occasion, Monseigneur Julien le nomme chanoine honoraire de la cathédrale.
L’abbé Miseron décède à Arras, à l’âge de 59 ans, en avril 1936.