La chanson reste au début du XXe siècle un support d’information privilégié ; Il n’est donc pas surprenant de la voir narrer les destructions des monuments historiques d’Arras, victimes d’une deuxième vague de bombardements lors de la seconde quinzaine d’octobre 1914.
Le 21 octobre, à 10 h 50, le beffroi d’Arras s’écroule et devient dès lors un symbole de la "barbarie" allemande. La propagande ne tarde pas à s’emparer du fait, relayé par les grands titres nationaux, et classe Arras parmi les villes martyres de France. C’est dans ce contexte qu’Henri Augé (Douai, 22 juin 1888-Toulouse, 5 octobre 1966), marchand de piano, luthier, professeur de musique et compositeur touquettois, crée vers 1914 la mélodie La chute du beffroi, dédiée aux sinistrés d’Arras.
Les paroles de F. Guilbert poussent le désir de rendre l’Allemand responsable des destructions jusqu’à imaginer le Kaiser en personne donner l’ordre de brûler le beffroi et la cathédrale depuis Monchy-le-Preux. Elles viennent en tout cas rappeler combien l’incendie puis la chute du beffroi d’Arras ont été cruellement ressentis, avec une intensité comparable à celle causée par l’incendie de la cathédrale de Reims.
La chute du Beffroi
Depuis près de huit jours on ne bombardait plus,
Et la vie reprenait peu à peu dans la ville
Les gens plus rassurés s’en allaient par les rues,
Avec le cœur plus libre et l’esprit plus tranquille.
Un beau soleil d’octobre éclairait les décombres.
Défiant l’ennemi notre antique clocher
Se dressait invaincu et projetait son ombre
Sur la vieille cité semblant la protéger.
Mais à Monchy-le-Preux, colline stratégique,
Les soldats allemands entourent leur Kaiser,
Qui vient pour admirer la besogne tragique,
Et donner pour le crime d’altières croix de fer.
Mais lui, d’un air terrible, montrant le vieux clocher :
Rien de cette cité ne doit plus exister,
Brûlez leur cathédrale, abattez leur Beffroi
Répandez l’épouvante et déchaînez l’effroi.
Et tu fus obéi, ô Kaiser exécré,
Tes bandits ont détruit nos biens les plus sacrés !
Pendant de longues heures la mitraille fit rage
Le Beffroi paraissait résister sous l’outrage.
Mais soudain, ô prodige, s’apaise la tempête.
Une balle, peut-être, a touché la manette
De notre antique horloge et de son carillon
Et pendant que se tait un instant le canon,
Les airs, qui de tout temps ont bercé nos aïeux,
S’élèvent à nouveau sous la voûte des cieux.
Chacun en entendant ces chants mélodieux,
Essuyait en tremblant les larmes de ses yeux.
Mais c’est le chant du cygne, car il est condamné !
Le vieux Beffroi vacille et s’écroule entouré
De poussière formant un nuage vermeil,
Sublimé apothéose, que dore le soleil.
La chute du beffroi, mélodie d’Henri Augé, vers 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, 36 Fi non coté (fonds Lecointe).