Les rescapés de Monchy-le-Preux
Découverts dans deux caves du château de M. Florent, chacun des deux groupes ignorant l’autre, ils ont été ramenés à Arras et, presque aussitôt, évacués sur l’arrière.
Nous avons pu les voir un moment :
- d’abord, Mme Vve Fiévet, 79 ans, gérante de la ferme attenante au château ; vive, alerte, la langue bien pendue, elle semblait réveillée d’un long rêve étrange qu’il lui fallait conter dans les moindres détails ;
- puis sa fille, Célinie, âgée de 50 ans, infirme ;
- Mme Vve Letierce, née Rémy, 67 ans, infirme aussi ;
- enfin Martin Duporche, même âge, jardinier chez M. Florent, paralysé par les rhumatismes.
[censure]
De temps en temps il tombait bien quelques obus autour des 210 dissimulés dans le parc ; des incendies se déclaraient, mais rares ; on coulait somme toute une vie assez tranquille et la population n’avait pas eu à déplorer de victime depuis octobre 1914.
Soudain, pendant la semaine sainte, le bombardement de Monchy devint terrible ; justement le château possédait d’excellentes caves cimentées et aménagées à l’intention des officiers allemands ; les pauvres gens y descendirent ; ils y passèrent huit jours ; le bombardement était tel qu’ils en furent réduits, faute d’eau, à boire un liquide infect fait de neige fondue dans laquelle avait reposé un peu de marc de café laissé par les Boches.
Le matin du 9 avril, la kommandantur ordonna l’évacuation de tous les civils sur Biaches : en tête, le Dr Blaire, faisant fonction de maire ; il restait 120 personnes sur les 650 que comptait normalement le village ; chacun put prendre avec lui 30 kilos de bagages et toute la journée, des automobiles firent la navette entre Monchy et Biaches.
Notre avance fut-elle trop rapide ou les Allemands craignirent-ils de s’encombrer de paralytiques, toujours est-il qu’on ne vint pas chercher nos quatre rescapés ; pourtant, le soir, un officier, habitué de la maison, revint à la cave de Mme Fiévet pour lui dire :
"Demain, Anglais ici !"
Elle bondit, ne pouvant y croire :
"Anglais ? pourquoi Anglais ? où Anglais ?
̶ À 500 mètres, répondit le Boche ; demain matin, ici".
Il était environ 8 heures 1/2 quand, le lendemain matin, la porte de la cave s’ouvrit de nouveau ; de là-haut, les arrivants durent s’étonner de cette pauvre lampe à pétrole au fond du trou noir ; ceux qui, la grenade à la main, cherchaient l’ennemi dans les moindres recoins, se présentèrent simplement :
"Nous Anglais !"
Mme Fiévet escalada les marches ; elle devina plus qu’elle ne vit, dans l’éblouissement du jour, que l’uniforme et le casque avaient changé et sauta au cou des braves Écossais.
Pourtant, le bombardement continuait ; après les obus anglais, les obus allemands ; la vie souterraine se poursuivit donc dans le tumulte assourdi de la mitrailleuse et du canon ; et, détail incroyable, le lendemain 11 avril, quand d’autres Tommys descendirent dans la cave, celles qui s’y trouvaient ne se doutaient pas que la veille, les Allemands étaient rentrés en maîtres dans le village et que, pour la seconde fois, ils en avaient été chassés…
Quelques jours après, la paralytique étendue sur une civière, la vénérable octogénaire pendue au bras de deux officiers anglais qui, le plus doucement du monde, la faisaient sauter d’entonnoir en entonnoir, s’acheminaient vers l’automobile qui devaient les ramener à Arras.
Elles avaient eu le temps de contempler les ruines de leur village : Monchy-le-Preux, quelques jours auparavant presque intact, avait subi en moins d’une semaine le sort navrant de nos pauvres villages broyés depuis trente mois.
G. A.