En 1913, le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais fournit 67 % de la production charbonnière française. Cet essor est malheureusement freiné dès l'année suivante, lorsque les deux-tiers du Pays noir tombent sous la domination des troupes allemandes. Ces dernières n'hésitent pas à s'emparer du matériel au profit de leurs propres industries et à détruire les concessions pour ruiner l'économie locale. Par crainte d'attaques d'espions alliés, elles saccagent les puits entre Liévin, Lens et Drocourt, mais aussi les habitations, l'outillage comme les voies et moyens de communication.
Pour protéger les quelques puits encore non occupés, des barricades sont érigées dès 1916 à Béthune dans les principaux axes de la mine, tout en permettant la ventilation et l'accès des ouvriers. Les soldats anglais de la 170th Tunnelling Company installent même un système d'écoute au fond du puits 8 bis, avec une communication téléphonique à destination du Quartier général britannique. Les écoutes laissent entendre des sons dans le puits 8, au cours du mois d'août 1917 : les Allemands semblent s'employer à la destruction du cuvelage. Début septembre, ces derniers vont jusqu'à mener une incursion souterraine ; après quelques combats inopinés, ils finissent toutefois par être repoussés hors de la mine par les Anglais.
En dépit du danger, la vie économique reste intense à l'ouest du front. Les concessions minières situées en zone non occupée, Nœux, Bully, Vendin-lès-Béthune, Bruay, Marles, La Clarence (Divion), Ferfay et Ligny, sont invitées à fournir le combustible nécessaire pour faire tourner les industries, notamment celles de l'armement. Dès le début du conflit, elles extraient des quantités importantes (45 % de la production nationale de charbon) et ce, malgré les difficultés : manque de main-d'œuvre, réseau ferroviaire limité, etc. Les mineurs travaillent jusqu'à neuf heures par jour. Ceux maintenus en affectation spéciale, reçoivent le renfort d'ouvriers venus du Nord et de réfugiés.
Dès 1915, les compagnies de Marles, Bruay et Nœux atteignent malgré les bombardements une production moyenne de 300 000 tonnes par mois, chiffre maintenu jusqu'en mars 1918. Le Président de la République, Raymond Poincaré, se rend spécialement à Bruay afin d'encourager les mineurs. Les ateliers miniers sont mis à contribution pour produire ce que le commerce n’est plus en mesure de fournir : outillage, matériel ferroviaire et jusqu'aux ampoules dans les ateliers centraux. L'extraction est poussée à son maximum en 1916, notamment après l'hiver rigoureux de 1916-1917 : 3 325 000 tonnes en 1916 et 4 504 000 tonnes en 1917 pour la seule compagnie de Bruay. En 1918, celle-ci emploie 20 505 ouvriers, dont 16 139 au fond, et 4 366 au jour. Quant à la production de la petite compagnie de Vendin, elle passe de 20 000 tonnes en 1913 à 289 000 en 1917.
En 1918, face à leur défaite, les Allemands programment la destruction du bassin minier : 110 millions de mètres cubes d’eau inondent les puits. Plusieurs années de pompage vont être ainsi nécessaires pour remettre les mines en état. Sept ans après le départ des Allemands en 1925, le bassin minier parvient enfin à retrouver son niveau de production d’avant-guerre.
Nos mines
Dans cette guerre gigantesque où l'effort économique se lie si étroitement à l'effort militaire, on ne soulignera jamais assez le splendide et calme héroïsme de nos populations minières du Pas-de-Calais. Elles aussi ont bien mérité de la Patrie !
Après l'envahissement du bassin du Nord, elles sont restées attachées au coin si précieux du sol natal. Depuis plus de trois ans, et pour ainsi dire journellement sous le feu de l’ennemi, elles n'ont cessé de remplir un dur labeur qui a abouti à de magnifiques résultats. Les chiffres de production en charbon atteignent le double de 1914.
À Béthune, tragiquement illustré par la bataille actuelle, Nœux, Bruay, Marles, Clarence, Ferfay, partout le travail s'est continué.
Par les échelles, car le bombardement a détruit une partie du matériel, les ouvriers, au nombre de plusieurs centaines, descendent chaque soir dans les galeries d'une profondeur variant de 300 à 400 mètres. Et jusqu'à l’aube, dans des conditions très pénibles, car les appareils de ventilation ne peuvent fonctionner qu'imparfaitement, ils travaillent à l'extraction du précieux combustible.
À Nœux, à sept kilomètres des premières lignes, la population tout entière, hommes femmes et enfants, est restée sous le déluge incessant des projectiles. Dans le décor tragique et désolé des corons, elles sont là plusieurs centaines d'humbles ouvrières, qui n'ont pas voulu partir. Les hommes, dont un certain nombre sont des soldats en sursis d’appel, mais dont beaucoup ont atteint ou dépassé la cinquantaine, accomplissent la tâche quotidienne avec une émouvante ardeur.
Et que d'épisodes dramatiques marquent l'existence de cette armée pacifique du travail, si magnifiquement tenace.
Un jour, c'est la rencontre inopinée avec des Allemands descendus par un puits assez lointain dont ils occupent l'orifice. La lutte sauvage et sans merci dans les galeries souterraines. Coups de pic contre coups de baïonnette. Puis, l'arrivée de soldats anglais, amenant la fuite des survivants allemands.
Une autre fois, ce sont des travaux de consolidation de boiseries, entrepris sous le sol au-dessus duquel est installé l'ennemi. Puis aussi, la bataille en règle dans les entrailles du sol, entre troupes adverses, notamment à Béthune.
Faut-il parler également de ces autres communes héroïques : de Marles, Clarence, Bruay, un peu plus éloignées, mais constamment sous la menace des pièces lourdes. Là non plus, il n’y a eu aucun arrêt dans les travaux d’exploitation. Bien mieux : on s'est ingénié à perfectionner les méthodes d'extraction, et tous collaborent étroitement à l'œuvre commune si féconde en résultats.
L'Artois renaissant, jeudi 9 mai 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.