La guerre de position augmente considérablement les besoins en bois des armées. Il faut étayer les réseaux de tranchées et de communication, consolider les infrastructures, construire des abris, des baraquements ou encore des avions, ce qui mobilise des volumes de stères considérables.
En 1914, surpris par la tournure de la guerre, aucun camp n’avait prévu de structure de gestion et de centralisation de l’approvisionnement en bois, si bien que l’exploitation des forêts a débuté de façon irraisonnée et anarchique.
C’est pourquoi, à la fin de 1914, naît un Service des bois, composé de quelques officiers forestiers mobilisés. En août 1915, cette administration fusionne avec le Service des matières premières.
Pour contrôler l’exploitation directe par les troupes alliées à l’arrière du front, la mission militaire française attachée à l’armée britannique se dote également d’un service forestier. Il faut dire que les besoins des Alliés sont grands, surtout à partir de la fin de 1916 avec la reprise de la guerre sous-marine qui ralentit les importations. Les forêts de l’Audomarois et du bassin côtier du Pas-de-Calais, zone arrière de cantonnement, sont fortement sollicitées, à l’image de celles de Tournehem ou Clairmarais, ponctionnées dès 1915. En 1918, on atteint ainsi un record de production avec 90 000 tonnes de piquets fournis en seulement quatre mois grâce au bois du Pas-de-Calais.
Cette exploitation interne est caractérisée par son manque de méthodologie et de réflexion sur le long terme. De plus, certaines réquisitions sauvages sont favorisées par le fait que les terrains se trouvent en zone de guerre.
Dans un souci de rationalisation et d’optimisation de cette mécanique, un certain nombre d’organismes sont créés et imbriqués pour centraliser les demandes. C’est notamment le cas de la Commission internationale d’achat de bois (CIAB) née en 1916, ou encore des Services forestiers de l’armée (SFA) qui voient le jour en juillet 1917. La même année, le gouvernement met en place un Comité général des forêts, rebaptisé Comité général des bois en juillet 1917, chargé de canaliser les opérations relatives aux coupes hors zone de combats. Néanmoins, des abus persistent dans les forêts privés, comme le souligne l’article ci-dessous.
Somme toute, l’exploitation du bois a certes gangréné les forêts de France, mais ne peut à elle seule expliquer l’état d’appauvrissement constaté en 1918. À cela, il faut surtout ajouter les destructions dues à la présence stratégique de bois dans les zones des combats, ce qui représente environ 200 000 hectares de forêts. En tout, on estime que 350 000 hectares sur 650 000 ont été directement impactés par la guerre.
Sauvons nos forêts
Il n’est pas un Boulonnais sensible aux pénétrantes beautés de notre région que la dévastation de nos forêts ne plonge dans une vraie désolation. En forêt de Boulogne, les coupes des taillis ont été devancées de 18 exercices. Les frênes de cette même forêt estimés parmi les plus beaux de France ont été dépecés par milliers de mètres cubes.
En forêt de Desvres, c’est pire encore. Toutes les jolies futaies de sapins magnifiques qui donnaient tant de noblesse à cette forêt, ont disparu. Les taillis subissent le même sort qu’en forêt de Boulogne.
Pour la forêt d’Hardelot enfin, c’est une catastrophe. Mais comment voulez-vous qu’une bureaucratie sans attaches locales et sans soucis des intérêts régionaux, les plus précieux pourtant, car c’est de leur somme que se fait l’intérêt général, s’embarrasse de pareils scrupules ?
Par ailleurs, les beaux groupes d’ormes qui donnaient tant de charme aux fermes de nos vallées sont impitoyablement fauchés par les propriétaires en prurit de réalisation et qui ne veulent pas rater les hauts cours, insouciants eux aussi de l’avenir et de la valeur diminuée de leurs propriétés.
À cet égard un des pires ravages que je connaisse, un vrai vandalisme, a été commis par l’administration des hospices de Tours, en mal d’argent, qui a dévasté sans scrupules une admirable propriété du canton de Samer, traitée par elle comme un fils de famille qui lessive l’héritage paternel pour entretenir des danseuses, n’eût pas fait. Tous les arbres de cette splendide propriété dont les bâtiments devraient être classés par la commission des sites, ont été abattus d’un coup et de ce noble domaine du XVIIe siècle, un administrateur inconscient a fait table rase.
Pour nos forêts, n’allez pas croire que c’est pour la défense nationale qu’elles ont été mutilées ainsi. Non. Leurs bois à l’exception de nos frênes destinés à l’aviation, sont partis pour les mines. Et c’est pour la richissime Compagnie de Bruay que notre Boulonnais se trouve dévasté avec la complicité de toutes nos administrations.
C’est un grave désordre de voir l’intérêt public, les richesses communes sacrifiées à des intérêts privés, même respectables. Tout au moins ceci comporte-t-il des compensations.
Chez nous les terrains à reboiser ne manquent pas, à commencer par la haute vallée du Wimereux, naguère si riante, aujourd’hui lamentablement dénudée depuis Conteville jusqu’à sa source, comme aussi les grands terrains communaux des falaises du Haut Boulonnais depuis Colembert jusqu’à Longueville, Brunembert et au-delà. Des plantations rationnelles de résineux, telles que le pin de Douglas qui a donné de si bons résultats dans les reboisements du comte de Limbourg, à Licques, prospèreraient rapidement.
Qu’en coûterait-il, je vous demande, à la Compagnie de Bruay, de consacrer chaque année quelques centaines de mille francs de ses immenses réserves à des reconstitutions forestières qui lui donneraient un placement de capitaux avantageux à long terme.
Nous nous permettons de formuler le vœu que le si dévoué et actif syndicat d’initiative de Boulogne s’intéresse à ce problème urgent et en fasse sa chose. Il aura ainsi particulièrement bien mérité de notre cher Boulonnais.
H. Delcourt
La Croix, jeudi 25 janvier 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.