Principalement venus de Pologne dans l’entre-deux-guerres, pour fuir la discrimination antisémite et les pogroms, les immigrants juifs s’installent en grande majorité dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, qui accueille depuis 1910 une population polonaise, implantée à l’initiative des organisations patronales des Houillères.
La communauté juive de Lens
Le Pas-de-Calais, en particulier dans l’arrondissement de Béthune, est le département où cette immigration ouvrière est la plus massive. En 1924, on recense 95 000 Polonais dans les cités minières.
La très grande majorité est catholique. Les juifs, qui ne bénéficient pas des réseaux de recrutement des Houillères, sont parfois clandestins et, après un long périple à travers l’Europe, s’installent à Lens ou dans les villes voisines dans le sillage des mineurs, venus comme eux de Pologne et qui parlent leur langue.
Souvent artisans, marchands ambulants ou propriétaires de modestes commerces, ils voient également dans cette communauté polonaise une clientèle potentielle.
Pourtant, les juifs lensois s’intègrent difficilement, mal acceptés à la fois par les juifs français qui les décrivent comme des campagnards mal dégrossis dont il faut rougir
et par les mineurs polonais catholiques qui les excluent à cause de leur religion et de leur culture (en particulier la pratique du yiddish). À plusieurs reprises, les journaux de langue polonaise Narodowiec et Wiarus Polski publient dans leurs colonnes des propos antisémites.
Les commerçants français voient également d’un mauvais œil ces concurrents qui détournent la clientèle polonaise. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, près d’un millier de juifs vivent à Lens et dans les communes alentour. Mais ils forment une communauté isolée qui va souffrir plus qu’ailleurs des persécutions raciales.
Une communauté persécutée
Dès l’été 1940, les premières lois antisémites sont mises en place. En septembre, tous les juifs doivent être recensés. Cette identification ouvre la voie à une longue série de mesures qui visent à mettre la communauté juive au ban de la société et à l’exclure de la vie économique.
Ainsi, durant l’automne 1940, commence l’aryanisation des biens qui touche tous les propriétaires juifs, y compris les vendeurs ambulants. Les fonds de commerce, les immeubles et les entreprises sont confisqués et gérés par des administrateurs provisoires.
À Lens, la spoliation des biens juifs est appliquée avec rigueur. Un couvre-feu de 20 heures à 6 heures est en outre instauré pour les juifs, qui ont interdiction de fréquenter les établissements publics et les jardins, de posséder un poste de TSF ou des pigeons voyageurs, etc. De nombreuses professions leur sont interdites (les emplois de la fonction publique, le métier d’avocat, de juge ou de journaliste) et un numerus clausus est mis en place pour réduire l’accès des étudiants juifs à l’Université.
Face à ces mesures qui les appauvrissent en les privant de leurs ressources et devant la menace nazie et son antisémitisme féroce, les juifs de Lens quittent par centaines la Zone interdite. En 1942, ils ne sont plus que 400 à vivre encore dans la région lensoise.
11 septembre 1942
En juin 1942, une ordonnance impose le port de l’étoile jaune à tous les juifs de plus de six ans. Cette nouvelle mesure coïncide avec l’amplification de la Shoah et l’intensification de la solution finale dans toute l’Europe. En juillet, les autorités allemandes lancent l’opération "vent printanier", qui vise l’arrestation et la déportation massive des juifs réfugiés en France. Les 16 et 17 juillet, 12 884 personnes, dont 4 051 enfants, sont arrêtées en région parisienne lors d’une rafle communément appelée la rafle du Vel d’hiv, et sont emmenées au Vélodrome d’hiver, qui sert alors de prison provisoire, puis déportées à Auschwitz.
À Lens comme ailleurs, le port de l’étoile jaune a permis la mise à jour des fichiers de recensement des juifs. L’administration préfectorale du Pas-de-Calais et le commissariat de Lens apportent leur aide à ce travail d’identification et répondent avec application aux ordres des occupants.
Le 11 septembre 1942, à 4 heures du matin, la Feldgendarmerie, soutenue par la police française, lance une effroyable rafle à Lens et dans le bassin minier. Alors que les accords Laval-Oberg ne concernent que les juifs apatrides et réfugiés et semblent épargner les ressortissants français, 50 juifs français sont aussi arrêtés lors de la rafle de Lens. Il s’agit pour la presque totalité d’entre eux d’enfants de moins de 17 ans, nés en France de parents étrangers. Ainsi, sans distinction d’âge ni de sexe, 317 personnes (dont 223 Lensois) sont arrêtées, regroupées et emmenées à la gare.
Désignées pour la déportation, elles sont conduites à Auschwitz-Birkenau avec les 1 048 déportés du Transport X qui part de Malines le 15 septembre.
Lors de leur arrestation, les juifs lensois n’ont bénéficié d’aucune aide, d’aucun secours de la part de la population indifférente. Toutefois, à la gare Lille-Fives, d’où part le convoi qui emmène les déportés à Malines, des cheminots résistants permettent à quelques-uns d’entre eux et notamment à des enfants de s’échapper du train.
Au total, sur les 991 juifs présents dans le bassin minier avant la guerre, 487 sont arrêtés entre 1941 et 1944. Parmi eux, 467 sont déportés, majoritairement à Auschwitz. Seules 18 personnes sont revenues des camps de la mort.