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La rafle des juifs de Lens

Principalement venus de Pologne dans l’entre-deux-guerres, pour fuir la discrimination antisémite et les pogroms, les immigrants juifs s’installent en grande majorité dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, qui accueille depuis 1910 une population polonaise, implantée à l’initiative des organisations patronales des Houillères. 

La communauté juive de Lens

Le Pas-de-Calais, en particulier dans l’arrondissement de Béthune, est le département où cette immigration ouvrière est la plus massive. En 1924, on recense 95 000 Polonais dans les cités minières.

La très grande majorité est catholique. Les juifs, qui ne bénéficient pas des réseaux de recrutement des Houillères, sont parfois clandestins et, après un long périple à travers l’Europe, s’installent à Lens ou dans les villes voisines dans le sillage des mineurs, venus comme eux de Pologne et qui parlent leur langue.
Souvent artisans, marchands ambulants ou propriétaires de modestes commerces, ils voient également dans cette communauté polonaise une clientèle potentielle.

Document dactylographié sur lequel on lit "16 septembre 1942. Le préfet du Pas-de-Calais à Monsieur le chef du gouvernement, Ministre Secrétaire d'État à l'Intérieur, Direction Générale de la Police Nationale, Renseignements Généraux. J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'au cours de la nuit du 11 au 12 septembre dernier, les autorités allemandes ont procédé, en particulier dans le bassin minier du département, à l'arrestation d'un certain nombre de familles juives apatrides ; à Lens, tout spécialement, une centaine de familles ont été emmenées pour une destination inconnue. Je ne manquerai pas de vous tenir informé de tout fait nouveau de ce genre qui parviendrait à ma connaissance. Le préfet".

Cabinet du préfet. Note manuscrite concernant certains enfants juifs français arrêtés en septembre 1942 à Lens. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 12864/3.

Pourtant, les juifs lensois s’intègrent difficilement, mal acceptés à la fois par les juifs français qui les décrivent comme des campagnards mal dégrossis dont il faut rougir et par les mineurs polonais catholiques qui les excluent à cause de leur religion et de leur culture (en particulier la pratique du yiddish). À plusieurs reprises, les journaux de langue polonaise Narodowiec et Wiarus Polski publient dans leurs colonnes des propos antisémites.
Les commerçants français voient également d’un mauvais œil ces concurrents qui détournent la clientèle polonaise. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, près d’un millier de juifs vivent à Lens et dans les communes alentour. Mais ils forment une communauté isolée qui va souffrir plus qu’ailleurs des persécutions raciales.

Une communauté persécutée

Dès l’été 1940, les premières lois antisémites sont mises en place. En septembre, tous les juifs doivent être recensés. Cette identification ouvre la voie à une longue série de mesures qui visent à mettre la communauté juive au ban de la société et à l’exclure de la vie économique.
Ainsi, durant l’automne 1940, commence l’aryanisation des biens qui touche tous les propriétaires juifs, y compris les vendeurs ambulants. Les fonds de commerce, les immeubles et les entreprises sont confisqués et gérés par des administrateurs provisoires.

À Lens, la spoliation des biens juifs est appliquée avec rigueur. Un couvre-feu de 20 heures à 6 heures est en outre instauré pour les juifs, qui ont interdiction de fréquenter les établissements publics et les jardins, de posséder un poste de TSF ou des pigeons voyageurs, etc. De nombreuses professions leur sont interdites (les emplois de la fonction publique, le métier d’avocat, de juge ou de journaliste) et un numerus clausus est mis en place pour réduire l’accès des étudiants juifs à l’Université.
Face à ces mesures qui les appauvrissent en les privant de leurs ressources et devant la menace nazie et son antisémitisme féroce, les juifs de Lens quittent par centaines la Zone interdite. En 1942, ils ne sont plus que 400 à vivre encore dans la région lensoise.

11 septembre 1942

En juin 1942, une ordonnance impose le port de l’étoile jaune à tous les juifs de plus de six ans. Cette nouvelle mesure coïncide avec l’amplification de la Shoah et l’intensification de la solution finale dans toute l’Europe. En juillet, les autorités allemandes lancent l’opération "vent printanier", qui vise l’arrestation et la déportation massive des juifs réfugiés en France. Les 16 et 17 juillet, 12 884 personnes, dont 4 051 enfants, sont arrêtées en région parisienne lors d’une rafle communément appelée la rafle du Vel d’hiv, et sont emmenées au Vélodrome d’hiver, qui sert alors de prison provisoire, puis déportées à Auschwitz.

Texte dactylographié sur lequel on lit "H. Jechezkil, 123 rue Emile Zola, Lens (P.d.C.). Lens, le 16 septembre 1942. Monsieur le Chef de Cabinet de Monsieur le Préfet. Préfecture, Arras. Monsieur le Chef de Cabinet, Suite à la visite d'hier que vous avez accepté de m'accorder, j'ai l'honneur de vous prier de bien vouloir intervenir auprès des autorités supérieures de Lille, comme vous m'avez promis de le faire, en vue d'obtenir la libération de personnes aui ont été arrêtées à Lens, le 11 septembre, qui ont des Français dans leur famille ou qui sont elles-mêmes françaises. P. Jacques-Léopold, né le 15 mai 1931 à Lille, P. Abraham, né le 15 janvier 1933 à Lille, P. Jacqueline, née le 15 juillet 1935 à Lille, qui sont les enfants français de ma belle-soeur et que je pourrais recueillir s'ils pouvaient m'être confiés. S. Sarah, 11 ans, née à Lille, S. Smil Lezor, 8 ans, né à Lens, S. Denise, 6 ans, née à Avion, arrêtés à Avion, qui pourraient être rendus à leur grand-mère, Madame K. Chana, qui est restée à Lens, 25 rue de Londres, pour cause de maladie grave. S. Louise, née le 4 janvier 1929 à Metz, S. Jacques, né le 14 février 1937 à Lens, qui pourraient être rendus à leur mère, Mme S., 128 rue de Lille à Lens, restée pour cause de maladie grave. K. Rachel, née le 14 février 1931 à Lens, K. Bernard, né en septembre 1933 à Lens, que je pourrais prendre à ma charge en attendant que je puisse les envoyer en zone non occupée, chez une tante, à Crécy (Rhône). Le père de ces enfants a d'ailleurs servi comme engagé volontaire pendant la guerre 1939. D'autre part, je me permets de vous signaler le cas de personnes, emmenées le 11 septembre, et qui ont des enfants français actuellement prisonniers comme soldats en Allemagne. S. Kalman, né le 6 mars 1889 à Staromez (Pologne), sa femme, née M., née le 3 février 1890 à Villa, qui ont deux de leurs enfants : S. Israël, 29 ans, prisonnier au Stalag VII A. S. Maurice, 24 ans, prisonnier au Stalag VI C. Ces personnes ont été emmenées avec deux autres enfants incurables. Elles ont eu en outre deux enfants tués par bombardement au Pont d'Ardres en Calaisis le 23 mai 1940 : S. Salomon, né le 11 octobre 1925 et S. Rosen, née le 10 juin 1928. Une autre fille, S. Ryfka-Rachel (18 ans) a été blessée pendant le même bombardement et est restée estropiée. Elle a été emmenée également le 11 septembre. Madame E. Szejna, née K., née le 8 décembre 1870 à Kobryn (Pologne), qui est ma belle-mère, et qui a été emmenée, bien qu'elle ait un beau-fils français, ancien combattant 1914-18 et 1939-40, prisonnier de guerre libéré comme ancien combattant, le 26 juillet 1941, du Stalag VI-C ; et qui a en outre quatre petits enfants français. Monsieur K. Lejba, né le 11 février 1890, à Lubartow (Pologne) et sa femme, née A. Chana, née en 1890 à Bialka (Pologne), laquelle est d'ailleurs restée à Lens, 25 rue de LOndres, parce que trop malade pour être considérée comme transportable. Sa fille K. Dwojra, née le 17 septembre 1823 à Lubartow (Pologne) dont le fiancé est français et est donc resté à Lens. Le fils de M. K. (prénommé Jankiel, dit Jacques naturalisé français par décret du 4 juin 1937, n° 3387x37) est prisonnier de guerre au Stalag VII A. Il est demandé que les membres de la famille S., Mme E., M. K. et sa fille, puissent revenir à Lens. Je pense, Monsieur le Chef de Cabinet, que vous jugerez que le cas de ces familles est particulièrement intéressant et qu'il vous sera possible d'intervenir en leur faveur. Je sollicite enfin qu'il me soit permis de pénétrer dans le local qui sert de synagogue, 14 bis rue Félix Faure à Lens, dans le fonds de la cour, et où je demande à pouvoir pratiquer ma religion. Je signale d'ailleurs que dans cette pièce se trouvent quinze chaises qui ont été prêtées par un Français, Monsieur H., 2 place du Cantin à Lens, et que je voudrais pourvoir restituer à leur propriétaire. Avec mes vids remerciements, et dans l'espoir d'une réponse favorable, je vous prie d'agréer, Monsieur le Chef de Cabinet, mes salutations respectueuses. Le chef du culte israëlite de Lens, J H.".

Courrier adressé au Préfet du Pas-de-Calais par le chef du culte israélite de Lens en vue d’obtenir la libération d’enfants français arrêtés le 11 septembre. Mais, cette demande est désespérée : le 16 septembre 1942, le transport X a déjà quitté Malines pour Auschwitz. Les enfants mentionnés dans la lettre seront tous envoyés dans les chambres à gaz dès leur arrivée au camp. Le 25 septembre, l’auteur de ce courrier sera arrêté à son tour avec quinze autres Lensois et déporté dès le lendemain. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 W 12864/3.

À Lens comme ailleurs, le port de l’étoile jaune a permis la mise à jour des fichiers de recensement des juifs. L’administration préfectorale du Pas-de-Calais et le commissariat de Lens apportent leur aide à ce travail d’identification et répondent avec application aux ordres des occupants.

Le 11 septembre 1942, à 4 heures du matin, la Feldgendarmerie, soutenue par la police française, lance une effroyable rafle à Lens et dans le bassin minier. Alors que les accords Laval-Oberg ne concernent que les juifs apatrides et réfugiés et semblent épargner les ressortissants français, 50 juifs français sont aussi arrêtés lors de la rafle de Lens. Il s’agit pour la presque totalité d’entre eux d’enfants de moins de 17 ans, nés en France de parents étrangers. Ainsi, sans distinction d’âge ni de sexe, 317 personnes (dont 223 Lensois) sont arrêtées, regroupées et emmenées à la gare.
Désignées pour la déportation, elles sont conduites à Auschwitz-Birkenau avec les 1 048 déportés du Transport X qui part de Malines le 15 septembre.

Lors de leur arrestation, les juifs lensois n’ont bénéficié d’aucune aide, d’aucun secours de la part de la population indifférente. Toutefois, à la gare Lille-Fives, d’où part le convoi qui emmène les déportés à Malines, des cheminots résistants permettent à quelques-uns d’entre eux et notamment à des enfants de s’échapper du train.

Au total, sur les 991 juifs présents dans le bassin minier avant la guerre, 487 sont arrêtés entre 1941 et 1944. Parmi eux, 467 sont déportés, majoritairement à Auschwitz. Seules 18 personnes sont revenues des camps de la mort.

Bibliographie

  • D. DELMAIRE, "Grandeur et misère de la communauté juive de Lens (1920-1944)", Gauheria 21, 1990, p. 65-72
  • S. KLARSFELD, Mémorial de la déportation des Juifs de France, Association des Fils et filles des déportés juifs de France, 2012, 811 p.
  • N. MARIOT et C. ZALC, Face à la persécution. 991 juifs dans la guerre, éditions Odile Jacob, 2010, 302 p.

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