Le cinquième – et dernier – mandat d’Alexandre Ribot à la présidence du Conseil ne dure que quelques mois. Formé le 20 mars 1917, son gouvernement est rapidement fragilisé par la crise que traverse le pays au printemps (échec de l’offensive Nivelle qui plombe le moral du pays et déclenche une vague de mutineries dans les rangs de l’armée). Aux attaques incessantes de la presse et des opposants (notamment de Clemenceau) s’ajoute une série d’affaires embarrassantes pour l’exécutif.
Le 7 septembre 1917, le cabinet Ribot est dissous, entraînant par la même occasion la mort de l’Union sacrée.
Des affaires créant un climat de méfiance
En juillet 1917, on découvre avec stupeur plusieurs milliers de francs suisses dans le vestiaire du député des Côtes-du-Nord Louis Turmel. Ce dernier ne pouvant justifier l’origine de cette somme, il est arrêté avec son épouse le mois suivant pour intelligence avec l’ennemi. Il meurt en détention en 1919, sans avoir été jugé et sans que sa culpabilité ait pu être avérée.
Cette affaire incriminant un parlementaire n’est malheureusement pas unique. Le député Joseph Caillaux est également impliqué dans les affaires Bolo Pacha et du Bonnet rouge à l’automne 1917.
Le périodique anarchiste du même nom, fondé en 1913, était en effet soupçonné d’être financé par des fonds ennemis. Le 15 mai 1917, son rédacteur en chef Émile-Joseph Duval est arrêté à la frontière suisse avec un chèque de 150 000 francs émanant d’une banque allemande. Il est immédiatement inculpé pour commerce avec l’ennemi.
Le co-fondateur du journal, Miguel Almereyda (de son vrai nom Eugène-Bonaventure-Jean-Baptiste Vigo) est arrêté à son tour le 6 août. Incarcéré à la prison de Fresnes, il y décède le 14 août, dans des circonstances plus que mystérieuses. L’enquête diligentée au lendemain de son décès conclut à un suicide, mais n’exclut pas qu’il puisse s’agir d’un crime.
La chute du gouvernement Ribot
Cette issue tragique est le dernier maillon entraînant la chute du gouvernement. Accusé d’avoir manqué de vigilance dans la répression de l’espionnage en France, le ministre de l’Intérieur Louis Malvy démissionne le 31 août 1917. À la demande de Ribot, l’intérim est confié à Théodore Steeg.
Le 6 septembre, une délégation, dont font partie Poincaré et Ribot, se rend à Fère-Champenoise pour commémorer la bataille de la Marne. À cette occasion, Alexandre Ribot prononce un discours rassembleur, qu’il évoque en ces termes dans ses mémoires : Mon discours a été approuvé par toute la presse : il a fait grande impression. Je me suis élevé au-dessus des misérables querelles et des scandales dont la presse est remplie […]
[ note 1]
Malgré cet instant de répit, la démission de Malvy entraîne automatiquement la fin du gouvernement Ribot. Celui-ci le dissout officiellement le 7 septembre.
Le 9 septembre, il constitue un nouveau cabinet. Quelques heures plus tard, les socialistes Thomas, Renaudel, Veber, Hubert-Rouger et Moutet lui annoncent leur refus d’y participer. Ils reprochent notamment à l’exécutif son manque d’énergie dans les questions militaires et son manque d’audace quant aux questions sociales.
En l’absence des socialistes, Paul Painlevé, ministre de la Guerre de l’ancien gouvernement, refuse de suivre Ribot. Celui-ci abandonne alors l’idée de constituer un nouveau cabinet et fait part de sa décision au président Poincaré qui lui demande de conserver tout de même le portefeuille des Affaires étrangères.
Après quelques jours d’hésitation, il accepte cette fonction le 12 septembre (il la conserve jusqu’au 23 octobre suivant). Dans une note adressée à la presse, il résume les faits et précise ce qu’aurait été le programme de son futur cabinet.
Le 10 septembre 1917, Painlevé constitue un nouveau gouvernement, mais ne parvient pas non plus à convaincre les socialistes de rejoindre le cabinet. La belle Union sacrée instituée au début de la guerre est bel et bien enterrée.
Notes
[ note 1] Journal d'Alexandre Ribot et correspondances inédites 1914-1922, Paris, Plon, 1936, p. 197. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 2613.