En novembre 1914, la première bataille d’Ypres se solde par un échec de l’offensive allemande et un immobilisme des deux camps aux portes de la ville. Le Kaiser ne renonce pas pour autant à la prise de cette enclave stratégique qui demeure le théâtre de sanglants combats jusqu’en 1918.
Une nouvelle arme létale massive
À la mi-avril 1915, les activités militaires connaissent une recrudescence dans cette région. Ainsi le 17, les Anglais prennent pied devant la Côte 60 (au sud-est d’Ypres).
Dans le plus grand secret, les Allemands ont, quant à eux, installé un dispositif devant Langemark dès le 11 avril, et attendent les conditions climatiques idéales pour déclencher une opération d’un nouveau genre.
L’ordre d’attaque est donné le 22 avril à 5 h 45, mais le dispositif ne se met en place qu’à 18 h, heure à laquelle le sens du vent garantit le succès de l’opération.
Sur un front de six kilomètres, à Steenstraat (hameau au nord d’Ypres), le XVe corps du général von Deimling ouvre les vannes de 5 730 cylindres pressurisés, contenant 150 tonnes de chlore, entraînant la mort par étouffement de milliers de soldats pris de panique.
L’utilisation de ce gaz asphyxiant est loin de remporter l’unanimité dans les rangs des officiers de l’état-major allemand. Autorisé par Falkenhayn, il est mis au point par un chimiste du Kaiser Wilhem Institute de Berlin, Fritz Haber (prix Nobel de chimie en 1918 pour ses travaux sur la synthèse de l’ammoniac), et par le conglomérat de trois compagnies chimiques allemandes, BASF, Hoechst et Bayer (qui aboutira en 1925 à la création de la firme IG Farben).
Un vent propice qui sème la panique
De leurs tranchées situées sur le saillant nord d’Ypres, les Français des 87e DI et 45e DIT voient le vent porter vers eux des nuages opaques qui sèment rapidement l’épouvante dans leurs rangs et provoquent une gigantesque débandade.
Les Allemands, équipés de tampons respiratoires, avancent sans peine dans la large brèche provoquée par la fuite des Français. Steenstraat, Het Sas et Pilkem tombent ainsi aux mains de l’ennemi en l’espace de quelques heures.
Mais les troupes du Kaiser n’avait pas prévu une efficacité si grande de leur nouvelle arme, si bien qu’elles hésitent et marquent une pause, le temps de rassembler les ressources nécessaires au lancement d’une grande offensive.
Cette indécision joue en faveur des Alliés qui organisent leurs renforts. Bien que le gazage se poursuive encore deux jours durant, on ne constate aucune avancée allemande spectaculaire. Le 24 avril, ils se trouvent même confrontés à une résistance ferme des troupes canadiennes.
Le 27, ils sont arrêtés aux portes de Boesinghe. Le 1er mai, ils tentent une attaque contre la Côte 60 en secteur britannique, suivie d’autres les 6 et 10 mai, sans grands résultats.
Vers des produits toujours plus sophistiqués
Les soldats, épouvantés par cette mort lente et douloureuse, tentent de mettre au point des moyens de protection : au lendemain des premières émissions de gaz, des bâillons-tampons faits de compresses de flanelle imbibées d’hyposulfite de soude qui décompose le chlore font leur apparition dans les tranchées.
À partir de ce jour, chaque camp cherche à développer des produits de plus en plus sophistiqués, tant au niveau des gaz d’attaque (sujet que nous traiterons dans un article postérieur) que dans les équipements de protection des troupes. Il faut néanmoins attendre 1916 pour voir apparaître des modèles satisfaisants de masques à gaz.
De formules de plus en plus complexes vont se succéder, jusqu’au célèbre "gaz moutarde" ou ypérite (sulfure d’éthyle dichloré entraînant une brûlure interne progressive), employé en 1917 lors de la troisième bataille d’Ypres.
Pour un résultat mitigé
À l’heure du bilan, les avis sont partagés et l’enthousiasme loin d’être total côté allemand. Cette première utilisation de gaz chimique comme arme d’attaque n’a pas permis de faire basculer l’avantage militaire dans leur camp.
Pire que cela, le résultat est désastreux en termes d’image. La propagande alliée ne tarde à s’emparer du fait pour dénoncer au monde entier l’ignominie allemande et la bassesse de leurs méthodes.
Remis du choc de l’agression, les Français et les Britanniques crient à la violation des conventions internationales, ce qui ne les empêchera pas d’utiliser à leur tour le gaz lors d’attaques ultérieures. La généralisation de cette arme est à cet instant actée dans les deux camps.