Le régime fiscal imposé aux Français depuis le début du conflit est critiqué de manière récurrente et la remise en cause de la politique financière du pays se fait avec de moins en moins de retenue dans les journaux. Début 1917, la presse du Pas-de-Calais s’indigne contre une nouvelle taxe applicable sur la chicorée.
La chicorée dans le Nord et le Pas-de-Calais
Il faut dire que cette plante aux vertus médicinales, connue depuis l’Antiquité, est historiquement liée à notre région et y est très prisée.
Importée et cultivée en France dès la fin du XVIIIe siècle, elle ne connaît un réel développement qu’à partir de 1806 pour pallier au manque de café résultant du blocus continental.
Particulièrement appréciée des mineurs, contraints en raison de la température élevée qui règne dans les galeries de se désaltérer avec une infusion de marc de café et de chicorée, en place et lieu du vin et de la bière consommés par les autres travailleurs, la chicorée s’implante durablement dans les foyers et devient une denrée complémentaire dans l’alimentation des familles.
Les décennies 1870-1880 voient une progression très nette de sa consommation. La région originelle de production, située entre Orchies et Valenciennes dans le Nord, ne suffit plus à contenter la demande. La chicorée est introduite en Flandre maritime, entre Calais et Dunkerque, voire même plus au nord en Belgique. Les conditions naturelles y sont idéales : le sol meuble composé de sable favorise l’arrachage des profondes racines de la plante, et la présence d’eau et de vent contribue à son bon développement.
Cette nouvelle implantation dans l’assolement des agricultures entraîne la mise en place d’une économie de la chicorée.
Une culture profitable en temps de guerre
Comme dans les conflits précédents, la guerre va en accentuer la demande et donc la production.
En 1911, la chicorée occupe 1 750 hectares de superficie cultivée dans le Pas-de-Calais. En 1915, on passe à 2 010 hectares (soit près de la moitié de la production nationale s’élevant à 4 110 hectares) et en 1917, à 2 400 hectares : le département est toutefois dépassé, cette année là, par le Nord (3 500 hectares).
Bien que rentable, la chicorée demeurait jusqu’en 1914 l’apanage ou le complément de la récolte des maraîchers qui la faisaient succéder à celle de la pomme de terre hâtive en la plantant simultanément avec elle et entre les mottes.
Avec la guerre, l’agriculture produit du blé à perte depuis 1915 ; les cultivateurs du Nord et du Pas-de-Calais non envahis se tournent alors intensivement vers cette plante qui permet d’atténuer par son prix les déficits résultant de la culture du blé.
Un autre aspect à ne pas négliger, c’est que la chicorée nécessite beaucoup de main-d’œuvre, tant pour les soins culturaux que pour l’arrachage, et qu’elle fait vivre quelques familles d’ouvriers agricoles. L’abandon partiel de la culture du blé et de la betterave au profit de la chicorée découle en outre dès 1916 du défaut d’engrais.
De plus, l’occupation de la région Lille-Orchies-Valenciennes, bassin originel de production et de transformation de la chicorée, la cherté des produits de première nécessité comme le café ou la difficulté d’importation causée par la reprise de la guerre sous-marine, sont autant de raisons supplémentaires qui expliquent l’explosion de la demande et l’intensification de la culture.
Une culture qui intéresse les finances de l’État, mais qui fait grincer des dents
L’État à court d’argent s’intéresse alors aux profits engendrés par son exploitation. Cette augmentation de l’impôt indirect est, tout comme celle des droits de timbre et d’enregistrement, un rouage coutumier de l’économie de guerre. Le prix de l’alcool, du sucre ou encore du tabac, subissent le même traitement.
Le 30 décembre 1916, une loi est donc votée, portant ouverture sur l’année 1917 de crédits provisoires applicables au premier trimestre 1917. Elle stipule que le café, la racine de chicorée et les autres succédanés du café sont soumis à un droit de consommation
, s’élevant à 30 francs pour 100 kilogrammes.
La presse, qui fait écho à la manière dont la population perçoit ces nouvelles contributions, dénonce la mesure prise par le ministère des Finances.
Cette augmentation, comme celle des prix de taxation pour sa vente au détail, n’est effectivement appréciée ni par les consommateurs, généralement des personnes aux ressources modestes, ni par les épiciers qui estiment que la diminution de cette consommation entraînerait un véritable préjudice. Grands consommateurs de chicorée, on comprend que ce sont principalement les habitants du Nord et du Pas-de-Calais qui vont supporter ce nouvel impôt, qui plus est sur un produit déjà vendu cinq fois plus cher qu’en temps de paix.
Nouvelle taxation en 1918
Toutefois, cela ne va pas empêcher le gouvernement de mettre en place une nouvelle - et conséquente - taxation de la chicorée à l’été 1918.
Le 29 juin 1918, un texte voté au Parlement porte le montant de cette taxe à 75 francs pour 100 kilogrammes, soit plus du double de la taxe votée en décembre 1916. L’État calcule que cette nouvelle imposition doit lui assurer une recette annuelle de 15 millions de francs. Fin décembre 1918, elle lui a effectivement fait gagner 384 000 francs, soit une progression de 47,3 % par rapport au montant antérieur de la taxe.
Après guerre, la production de la chicorée se poursuit dans sa région d’adoption. Une enquête réalisée à la fin des années 1920 atteste que le Pas-de-Calais la cultive encore sur 3 000 à 3 500 hectares. Même si sa consommation a fortement baissé avec les années, le Nord-Pas-de-Calais demeure le premier producteur français puisqu’en 1993, il fournissait encore 95 % de la production nationale.