L’incident survenu à King Crater le 26 novembre 1916, non dommageable pour l’armée britannique, est cependant unique à bien des égards. Un raid allemand crée un début de panique dans les rangs anglais, ce qui provoque la sévère réaction des officiers supérieurs de l’état-major.
S’ensuivent des dizaines d’arrestations qui débouchent sur une vague de condamnations à mort. Même si la plupart d’entre elles sont commuées, trois sous-officiers britanniques sont fusillés le 13 janvier 1917, alors que leur culpabilité était loin d’être avérée.
Le contexte
Tout juste sortie de la Somme, la 35th (Bantam) Division est transférée à l’automne 1916 dans le secteur de Roclincourt, au nord d’Arras. Son qualificatif de "Bantam" - analogie à une race de petits coqs de combat - est dû à la petite taille des soldats, provenant majoritairement des régions les plus défavorisées de Grande-Bretagne.
Ces hommes, inexpérimentés et en mauvaise condition physique, sont déployés dans trois secteurs le long de la ligne de front courant de Saint-Laurent à Roclincourt.
Le 26 novembre, à 2 h 30 du matin, un raid allemand attaque les trois secteurs simultanément :
- Le secteur I (le plus au sud) est incapable de contrer l’assaut surprise. Les Allemands réussissent à neutraliser les sentinelles et font quelques prisonniers alors que le gros de l’effectif parvient à se replier ;
- Le secteur J (plus au nord), parvient à chasser les soldats ennemis qui étaient parvenus à s’infiltrer dans les premières lignes de tranchées ;
- Le secteur K (tout au nord) subit de plein fouet l’attaque. Ses tranchées avancées sont fortement endommagées par trois jours de pilonnage intense, surtout à hauteur de King Crater, immense cratère formé par l’explosion d’une mine souterraine.
L’incident de King Crater
L’attaque allemande coïncide avec deux actions prévues par l’état-major britannique : une émission de gaz au sud de King Crater et un raid de la Durham Light Infantry à 700 mètres du cratère. Pour préparer ces offensives, des soldats ordinairement assignés à la défense des premières lignes ont été réaffectés, ce qui explique que le front n’est pas aussi bien défendu qu’il devrait l’être.
Les Allemands parviennent donc à pénétrer assez facilement la ligne défensive à King Crater et surprennent le lieutenant James Mundy et le Lance Sergeant Will Stones venus inspecter un poste de ce secteur. Leurs balles atteignent Mundy qui succombe peu après de ses blessures. Stones lâche alors son fusil et court prévenir les officiers de la compagnie.
S’ensuivent des ordres contradictoires, des hommes qui courent en tout sens, une pagaille totale encore accentuée par les obus qui pleuvent au-dessus des unités et les nuages de gaz dus aux décharges mal maîtrisées.
Vers 3 heures, un petit groupe des Durhams parvient tout de même à franchir les tranchées allemandes. Mais faute de soutien, il est contraint de faire marche arrière.
L’attaque est un échec cuisant et les hommes reçoivent l’ordre de se replier.
Les conséquences de l’échec
Pour l’état-major britannique, il s’agit de l’incident de trop. Il est en réalité symptomatique d’une crise profonde à la 35th Division. Depuis des semaines, les officiers s’inquiètent du nombre de plus en plus élevé de soldats évacués pour maladie (de 471 en septembre à 747 en novembre). Les accidents se multiplient en raison de la fatigue et du stress générés par la surcharge de travail.
De plus, certains se plaignent du physique chétif des recrues et de la pauvreté mentale des Bantams. Le lieutenant-colonel Harry Davson, dont les batteries étaient engagées dans le secteur J, résume ainsi la situation :
Leur esprit va bien avec leur physique. Ce sont, en fait, des dégénérés. […] Il a bien fallu faire quelque chose. Les plaintes des commandants de division, de brigades et de bataillons n’ayant pas été écoutées, ce n’est que le mauvais résultat du raid du 26 novembre qui a fait comprendre en haut lieu que cet état de choses ne pouvait plus durer.
La réponse sévère du haut commandement n’est donc en réalité qu’une tentative pour remettre de l’ordre dans les rangs. Le 21 décembre 1916, un mois après ces événements, 2 784 Bantams sont classés inaptes au service des tranchées. Quelques jours plus tard débute le premier procès des "coupables".
Le jugement de la cour martiale : coupables
Le 24 décembre 1916, le Lance Sergeant Will Stones comparaît devant la cour martiale établie à Foufflin-Ricametz. Il est accusé d’avoir jeté honteusement ses armes en présence de l’ennemi alors qu’il se trouvait en première ligne
. Malgré d’excellents rapports et l’opinion favorable de ses supérieurs, il est condamné à la peine capitale.
Le 28 décembre sont traduits les Lance Corporals Peter Goggins et John MacDonald, ainsi que les soldats Dowsey, Davis, Ritchie, Forrest, tous accusés d’abandon de poste et de désertion devant l’ennemi.
Tous les accusés sont défendus par le capitaine George Warmington, juriste dans le civil. Dans son plaidoyer, il analyse les faits de cette manière :
Un raid devait avoir lieu et en conséquence, le front était pratiquement évacué à part quelques postes. […] Considérant les circonstances, le bombardement de trois heures, les nouveaux ordres et le désordre général, les accusés ont bien réagi et ont fait ce qu’ils pensaient être leur devoir. Tous les témoignages en font foi et ils ont été donnés sous serment. Ils ont d’ores et déjà été emprisonnés et cela suffit comme punition pour les erreurs non intentionnelles qu’ils ont commises.
Bien qu’abondent les témoignages favorables et que sont produits les bons états de service des recrues, le verdict est sans appel. Tous sont reconnus coupables et condamnés à être fusillés.
L’application des peines
Toutefois, lors de la confirmation des peines du 28 décembre, le général Landon, commandant de la 35th Division, est favorable à une commutation des peines pour les quatre soldats :
Si je considère que la sentence retenue contre ces six hommes est correcte, je pense qu’il faut prendre en compte le fait qu’il s’agit de dégénérés physiques et mentaux et en conséquence, je recommande que seuls les deux sous-officiers soient exécutés, la condamnation des quatre soldats devant être commuée en longue peine de travaux forcés.
Dans cette affaire exceptionnelle à tout point de vue, il semble donc que le grade des condamnés ait joué en leur défaveur. L’armée britannique, soucieuse de faire un exemple, applique une impitoyable "décimation bureaucratique".
Le 13 janvier 1917, les trois sous-officiers sont exécutés à l’aube, avant d’être enterrés dans le cimetière britannique de Saint-Pol-sur-Ternoise.
Aujourd’hui, ils ne sont toujours pas réhabilités, bien que le gouvernement Blair ait tout de même reconnu en 1998 que les fusillés pouvaient être considérés comme des "victimes de guerre".