La Grande Guerre pose à la France un réel problème de financement et suscite des solutions pour le moins inhabituelles par rapport aux des règles de gestion et aux pratiques de création monétaire régnant jusque-là.
C’est, en premier lieu, le recours aux emprunts dits perpétuels, c'est-à-dire non remboursables, avec un taux d'intérêt compris entre 5 et 5,5 %. Pour convaincre les Français d'y souscrire, l'État et les banques qui placent ces titres dans le public créent de nombreuses affiches rivalisant de thèmes symboliques et patriotiques.
Parallèlement, un appel officiel et une imposante campagne d’opinion sont lancés le 2 juillet 1915 par le ministre des Finances Alexandre Ribot, conviant les Français à échanger spontanément leurs pièces d’or contre des billets ou des titres d’emprunt pour concourir à la Défense nationale. On peut ainsi lire sur les affiches : "L’or est indispensable pour acheter des munitions" ; "Échangez l’or que vous détenez, et qui ne peut d’ailleurs vous être d’aucune utilité, contre des billets de la Banque de France dont le crédit fait l’admiration du monde. Un certificat vous sera remis, constatant la somme d’or que vous aurez versée"…
Cette propagande fait appel au civisme des Français et à la confiance qu’ils portent en la République. Elle joue sur les sentiments des familles qui ont vu partir certains de leurs membres au front. Les soldats dans les tranchées sont eux aussi incités à remettre leurs pièces contre des billets par l’intermédiaire de leurs officiers, une instruction officielle leur signifiant qu’ il importe que l’Allemagne ne puisse trouver de monnaie d’or sur nos officiers ou soldats morts ou prisonniers…
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L’élan patriotique se met rapidement en place : impression par la Banque de France des certificats et publication hebdomadaire des sommes perçues, subventions de la Banque de France pour les comités de l’or qui s’organisent dans tout le pays et assurent la propagande de la campagne, impression de l’affiche illustrée d’un louis d’or au coq écrasant un soldat allemand… Les familles portent finalement près de 380 tonnes de métal durant la seule année 1915, et plus de 700 sur les quatre années de guerre.
Cette opération va surtout permettre de garantir les emprunts de l’État auprès des banques et de rétablir le soutien de ces dernières aux entreprises travaillant pour la Défense nationale, la production agricole et le ravitaillement. Mais l’inflation de l’après-guerre (division de la valeur du franc par cinq en dix ans) et l’impossibilité du contre-échange laisseront longtemps des traces dans les esprits.
Prêtez votre or à la Patrie
M. Ribot, ministre des Finances, vient d’adresser la lettre suivante au gouverneur de la Banque de France :
"Le groupe des députés de la Seine a émis le vœu que la Banque de France ouvrît un guichet spécial à Paris et dans ses succursales pour recevoir l’or que les particuliers lui apporteront, dans une pensée patriotique, en échange de billets de banque. Il a exprimé en outre le désir qu’un reçu fût délivré pour servir de témoignage à ceux qui, au lieu de garder sans emploi l’or qu’ils possèdent, l’auront spontanément mis à la disposition de la Banque de France pour servir la Défense nationale.
Je ne doute pas que vous preniez les mesures nécessaires pour donner satisfaction au vœu exprimé par les députés de la Seine.
Veuillez recevoir, Monsieur le Gouverneur, l’assurance de ma haute considération".
Le ministre des Finances : RIBOT
Le gouverneur de la Banque de France a fait savoir à M. le ministre des Finances qu’il avait déjà donné des ordres pour que les caisses de la banque fussent ouvertes pour recevoir les versements d’or et que des reçus spéciaux soient délivrés tant à Paris que dans les succursales à l’occasion des échanges d’or contre des billets.
Le Boulonnais, dimanche 4 juillet 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 49/25.