Dans le lumineux "Exposé des motifs" dont M. Alexandre Ribot a fait précéder son "Projet de budget pour l’exercice 1915", notre ministre des finances écrivait avec son habituelle noblesse de langage :
Quand la guerre a éclaté, nous n’avions pas pris toutes les précautions les plus propres à nous permettre d’en soutenir l’effort au point de vue financier. C’est une preuve, après tant d’autres, que nous ne voulions pas la guerre, qu’elle nous a été imposée et nous avons le droit, au regard de la conscience du monde civilisé, de reporter sur ceux qui l’ont déchaînée, la responsabilité des maux terribles qu’elle inflige aux belligérants et aussi des souffrances qui en résultant pour les pays mêmes qui n’y participent pas.L’émission des obligations de la Défense nationale à 5 % qui vient de commencer est une des mesures que, dans son projet de budget, prévoyait M. Alexandre Ribot pour "soutenir l’effort de guerre" en préparant des lendemains réparateurs. Son succès sera un nouveau coup porté à l’Allemagne qui constatera, avec rage, à côté de l’ "union sacrée", à côté de l’héroïsme de nos soldats, l’étonnante fécondité de nos ressources financières.
Cette émission m’a valu l’honneur de quelques instants de conversation avec M. Alexandre Ribot, au ministère des finances. Et je rapporte ici, sténographiées, les déclarations que le grand Argentier de France a bien voulu me faire de sa voix douce et un peu chantante, dont certains accents de foi patriotique haussaient par instant le diapason :
La situation économique du pays tend à s’améliorer, comme on a pu le voir, par le rendement des impôts. La situation financière s’en ressent naturellement.
Nos charges sont extrêmement lourdes : la guerre coûte cher partout. Nous dépensons cependant moins que l’Angleterre. Mais quoique nous dépensions moins, le déficit mensuel (en tenant compte des moins-values du recouvrement des impôts et des avances que nous faisons à divers gouvernements), ne peut pas être évalué à une somme inférieure à douze cents millions. Il convient de remarquer que les mois de février, de mars et d’avril sont particulièrement lourds parce que l’impôt direct commence surtout à rentrer en avril et en mai et que le Trésor doit faire face aux dépenses de deux budgets, celui de 1914 qui s’achève en ce moment et celui de 1915 qui s’ouvre.
Il est donc heureux que, pour aider le ministre des finances à supporter toutes ces charges le pays vienne largement à son aide en souscrivant des Bons de la Défense nationale. Le montant des bons en circulation, à l’heure présente, est tout près d’atteindre trois milliards auxquels s’ajoutent cent cinquante millions de bons ordinaires et les bons placés à l’étranger soit 350 millions. Nous touchons à la limité des trois milliards et demi fixée récemment par les Chambres.
Un instant après, M. Alexandre Ribot ajoute, en manière de conclusions :
En somme, j’ai le plaisir à vous répéter ce que j’ai dit aux Chambres :
La victoire finale ne saurait nous échapper si nous gardons la ferme volonté de continuer la lutte jusqu’au bout avec la même ténacité et l’admirable confiance dont le pays fait preuve depuis sept mois.C’était, en effet, en d’autres termes, mais avec la même élévation de pensée, la fière déclaration que le ministre apportait naguère au Parlement :
Le terme de la guerre ne dépendra à aucun moment de l’état de nos forces financières.Que la patrie continue d’avoir foi en elle-même, elle aidera ainsi à la victoire finale que le monde entier pressent et qu’il attend dans l’intérêt de la liberté des peuples et de la civilisation. Voilà des paroles qu’on n’a jamais entendues, qu’on n’entendra jamais à Berlin !S. B.
La France du Nord, lundi 1er mars 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/91.