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Les sièges de Lens

Article paru dans La France du Nord du 6 septembre 1917

Lens, que les admirables troupes canadiennes reprennent aux Allemands, en des luttes d’une violence terrible, a déjà été dans le passé l’enjeu de nombreux combats. Elle subit des sièges des Flamands, des Bourguignons, des Français et des Espagnols.

Sans remonter très loin dans l’histoire mentionnons que la place fut prise par les Français en 1647 et assiégée l’année suivante par l’archiduc Léopold auquel elle se rendit le 19 août. Condé arriva sous ses murs le lendemain, remporta sur les Espagnols une victoire complète et reprit la ville. Lens fut laissée à la France par le traité des Pyrénées qui, en novembre 1659 mit fin à la guerre qui existait depuis 1635 entre la France et l’Espagne. On sait que c’est la victoire des Dunes qui, remportée en 1658 obligea l’Espagne à se soumettre.

Les évènements qui sont en cours dans cette même région, auront peut-être sur la fin de la guerre actuelle, une action aussi décisive que ceux du dix-septième siècle en eurent sur la grande guerre hispano-française. Mais combien sont différents les combats d’aujourd’hui avec ceux d’alors ! Nous venons de voir qu’en un jour, Condé reprit la ville. Actuellement il faut des semaines pour s’en emparer. Et ce n’est que par des étapes sanglantes que nos courageux alliés arrivent à leur objectif.

Les régiments canadiens qui auront pris Lens, auront doté d’une splendide auréole la jeune armée du Dominion et le Canada qui s’est jeté résolument dans le conflit pour soutenir sa métropole et aussi pour secourir le pays qui le premier l’a colonisé, peut être fier des enfants qu’il a envoyés sur la vieille et noble terre de France. Dans toutes ces cités qui sont autour de Lens, qui s’appellent Saint-Auguste, Sainte-Élisabeth, Saint-Émile et dont l’une porte le nom du grand Condé, le conquérant de la ville au dix-septième siècle, les Canadiens se sont couverts de gloire.

Le brillant chroniqueur militaire du "Journal des Débats" a raconté un des épisodes de cette lutte. Les lignes canadiennes, entre la cité Sainte-Élisabeth au nord de Lens et la cité du grand Condé au nord-est, avaient devant elles un terrain non bâti, une zone neutre. Or, au moment où les Canadiens préparaient leur attaque, les Allemands préparaient un retour offensif. Les deux artilleries se déchaînèrent à la fois, chacune pendant que l’autre ne faisait que lui répondre et les deux infanteries sortant à la fois des tranchées se rencontrèrent en champ clos. Les Allemands, sortant en formations plus denses, se trouvèrent plus nombreux que les Canadiens qui s’avançaient en lignes très minces. Les Canadiens tinrent bon. D’autres lignes vinrent les soutenir "Un combat d’une violence extrême s’engagea, dit M. Henry Bidou. Les canons se taisaient, n’osant intervenir dans cette mêlée. Cependant, peu à peu les Allemands étaient refoulés sur leurs tranchées, comme les Grecs de l’Iliade vers leurs vaisseaux. On arriva à ces tranchées qui étaient fortement garnies par les soutiens. Les Canadiens y culbutant les Allemands défaits s’y jetèrent à leur suite et s’y heurtèrent aux troupes fraîches. Quand le tumulte et la fumée se dissipèrent, les tranchées étaient au pouvoir des Canadiens et pleines de morts." Cet épisode n’est pas isolé et la prise de Lens comportera d’autres belles pages de ce genre.

Dans cette cité de Lens, les zones non bâties ne sont pas nombreuses. Les constructions se sont multipliées pour fournir des habitations à la nombreuse population qu’à fixée dans le pays l’exploitation des mines. Ce gros canton de Lens contient près de 70.000 habitants, dont les souffrances ont été grandes durant l’occupation allemande. Nous en avons eu un récent témoignage. M. Basly, député et maire de Lens, a été rapatrié il y a quelques semaines, et lui, qui a partagé de longs mois les souffrances de ses administrés, a dit que le courage avec lequel ces malheureux résistaient aux exigences allemandes et la foi qu’ils conservaient en la victoire finale de leur patrie et de ses Alliés.

À quelqu’un qui l’interrogeait, le député de Lens disait : "Je ne sais vraiment que vous raconter parmi tant de choses dont j’ai été témoin pendant ces terribles années. Je veux cependant affirmer que le moral de nos populations n’a jamais cessé d’être merveilleux ; cependant que de pertes parmi nous !" Il a ajouté que, le 11 avril dernier, les Allemands avaient fait sauter dans Lens les caves voûtées qui leur servaient d’abri, la Banque de France, l’église, la mairie et tous les points culminants. Dès 1915, ils avaient fait sauter les mines.

La prise de Lens va nous remettre en possession de l’un des grands charbonnages de ce bassin du Pas-de-Calais qui fournissait une grande partie de la houille extraite du sol français. On sait combien nous avons été gênés par l’absence de cette production. Malheureusement, avec la prise de Lens ne coïncidera pas la reprise de la production de cette importance houillère. Le directeur général des mines de Lens, M. Reumeaux, est rentré quelques mois avant M. Basly et il a dit l’étendue des dégâts causés par les Allemands aux mines. Lors d’une des nombreuses discussions qui ont eu lieu au Palais-Bourbon sur la question du charbon, le ministre des travaux publics, M. Desplas, a, lui aussi, fourni des renseignements sur l’importance du mal. Il faudra assez longtemps avant qu’on puisse recommencer l’extraction dans les fosses de Lens ; mais tout sera fait, nous en sommes sûrs, pour hâter ce moment ; l’intérêt général y est trop intéressé, et aussitôt que Lens sera hors de la ligne de feu, les travaux de réfection seront entrepris, avec énergie.

Il faudra, en effet, montrer autant d’énergie dans l’œuvre de réparation qu’on en aura montré dans l’œuvre de libération, si on veut que la victoire produise ses pleins effets. Ce sera là une façon de remercier les libérateurs de ce coin de terre française, qui auront bien mérité qu’une cité du Lens nouveau, soit dénommée cité Canadienne, à l’imitation de ce qui a été fait naguère pour un des libérateurs de cette ville, le grand Condé.

La France du Nord, jeudi 6 septembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.