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L'uniforme militaire

Publié le 9 juillet 2014
Carte postale couleur montrant un soldat vêtu d'un pantalon rouge et d'une vareuse blau. À sa gauche, on lit les mots "Honneur" et "Patrie" entrelacés.

Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 Fi 3792.

La réorganisation de la défense nationale est sans aucun doute l’un des thèmes ayant engendré le plus de polémiques en France à partir du printemps 1913. L’origine en est le déséquilibre apparu avec l’Allemagne, lorsque celle-ci décide l’augmentation de son armée active, en juin 1912. Le projet d’allongement à trois ans du service militaire, déposé par le gouvernement Briand le 6 mars 1913, a été combattu en vain par les radicaux et les socialistes, dont au premier chef Jean Jaurès, et a été finalement adopté par la Chambre des députés le 19 juillet, et par le Sénat le 7 août.
Les conséquences politiques de ce débat ne cessent pas, toutefois, car les charges financières liées à son application, ainsi que celui d’un vaste programme de réarmement, entraînent une détérioration certaine des finances publiques– et vont rendre souhaitable la mise en place de l’impôt sur le revenu. Les élections législatives des 26 avril et 10 mai 1914, puis la constitution des gouvernements Ribot et Viviani, ont vu se maintenir le clivage entre soutiens et adversaires de la loi de trois ans ; mais, s’il n’a pu obtenir l’abrogation de la loi, Jean Jaurès n’en poursuit pas moins la dénonciation de ses conséquences.

Le 9 juillet, il participe ainsi à un débat, à la Chambre des députés, sur l’ouverture de crédits supplémentaires pour les ministères de la Guerre et de la Marine, destiné à moderniser les armées. Il s’y attache à démontrer le manque de profondeur stratégique du programme et dénonce les approximations budgétaires qui lui sont attachées. L’ensemble de son intervention rappelle sa maîtrise de l’organisation militaire française et sa volonté d’éclairer le peuple sur la réalité des dépenses militaires.

Il revient notamment sur le nouvel uniforme de l’armée française, à l’étoffe bleu horizon, qui doit remplacer le pantalon rouge garance. Bien que d’un montant anecdotique sur l’ensemble des crédits demandés, il y voit une question importante et déplore dans le projet la sous-estimation du nombre d’uniformes à commander et le délai de livraison (huit ans au minimum) :

Comment ! (s’adressant au ministre de la Guerre) Vous allez proclamer officiellement, comme vous l’avez fait à la commission de l’armée, à tort ou à raison je ne le discute pas, qu’il y a un drap qui rend les troupes deux fois plus vulnérables que l’autre drap – C’est ce que vous nous avez dit. Et alors pendant huit ans vous enverrez à la ligne de feu des troupes dont les unes seront habillées avec l’uniforme qui leur assurera une immunité relative, dont les autres continueront à porter le drap à propos duquel vous aurez proclamé officiellement qu’à raison de 100 pour 100, il appelle la mort plus largement que l’autre (applaudissements sur les bancs). Je suis convaincu que c’est là une opération impraticable.

Jaurès est alors convaincu que cet inconvénient obligera une production poussée pour réduire les délais, ce qui augmentera considérablement la dépense.

Les jours suivants, la presse locale du Pas-de-Calais se fait l’écho du débat sur ce point, parfois sur un mode ironique :

La nouvelle tenue

Cette fois-ci, il paraît que ça y est : l’armée française sera dotée d’une nouvelle tenue… en 1920 !
Il y a bien longtemps qu’on en parle ! Chaque année, on affuble quelques troupiers, - à titre d’essai – d’une livrée bizarre, couleur kaki, réséda ou caca d’oie. Tout le monde trouve cela très vilain, naturellement ; puis, on n’en entend plus parler, et quand on demande aux gens bien informés ce qu’il en est advenu, on vous répond invariablement : "La question est à l’étude" – admirable euphémisme qui permet de ne rien faire tout en ayant l’air de travailler, de donner satisfaction à tout le monde sans contenter personne !

Donc, à partir de 1920, les troupes d’infanterie porteront un uniforme gris bleu, avec capote à col rabattu, képi rigide rappelant l’ancien chako, avec dessus en toile cirée, analogue au képi espagnol. Deux rangées de boutons garniront la capote, en cuivre pour l’infanterie, en métal blanc pour les chasseurs à pied. Les épaulettes seront rouges pour la ligne, vertes pour les chasseurs.
Et la raison de tout ce chambardement ? – Parbleu, c’est toujours la même, le soldat français, avec son pantalon garance, se voit de trop loin, ce qui en temps de guerre pourrait lui valoir quelques balles de plus dans la peau. Alors, "ces Messieurs de la Commission compétente" se sont évertués à découvrir une teinte neutre qui serait à la fois de la couleur des prés verts, des forêts sombres, des terres crayeuses et des blés murs. Avouez que ce n’était pas commode !

Pitou lui-même, pour qui l’on se donne tant de mal, ne paraît pas enthousiaste de cette innovation. Il y tenait à son pantalon rouge, parce que, disait-il, "cela fait plus d’effet auprès des femmes". Chacun ses raisons, n’est-ce pas ? Et celle-là en vaut bien une autre.
Le général Bruneau [ 1] nous a aussi donné les siennes, – en vers, s’il vous plaît ! Oyez plutôt :

"Ah ! ne supprimez pas notre vieille capote,
Dont le drap, par l’azur de vingt cieux, fut bleui,
Laissez à l’étranger l’uniforme kaki,
Car il ne nous plaît pas d’être couleur de crotte.

Nous n’avons pas besoin de votre bourguignote,
Pour braver la mitraille et battre l’ennemi.
Le Coq gaulois préfère encore son vieux képi
Teint du sang de son cœur, à cette camelote !

Vous ne craignez donc pas, que les anciens là-bas,
Ceux de Metz et Strasbourg, quand nos petits soldats
Au jour de la revanche envahiront la plaine,
Disent, en les voyant vêtus en mardi-gras :
"Bon Dieu, ce ne sont pas ces faiseurs d’embarras
Qui reprendront jamais l’Alsace et la Lorraine !"

Eh ! qu’en savez-vous, mon général ? On s’y fera, allez ! On se fait à tout… Tout de même, j’imagine que nos petits soldats auraient été plus satisfaits si l’on avait employé les cinquante ou soixante millions que va coûter le nouvel uniforme, à faire fabriquer des chaussures de repos et des sacs un tantinet moins lourds.

Jacques ABEILLE
Le Journal d’Auchel, 19 juillet 1914.

[1] Le général Jean-Paul Bruneau (1848-1922), auteur de divers récits de guerre et de poèmes patriotiques.

Sources

  • Débats parlementaires
  • "Dernière heure. Chambre des députés", Le Mémorial artésien, samedi 11 juillet 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG75/25
  • "La nouvelle tenue", Journal de Montreuil et de l’arrondissement, 12 juillet 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 244/7

Bibliographie