Le plan Schlieffen
Le 1er août 1914, jour de la déclaration de guerre allemande, le Kaiser Guillaume II confie le commandement de la Ve armée à son fils Guillaume de Prusse, aussi connu sous son titre de Kronprinz (désignant le prince héritier en Allemagne et en Autriche).
L’entrée en guerre de l’Allemagne a été mûrement réfléchie, tout comme le plan supposé régler le problème du combat sur les deux fronts. Car la France et la Russie sont alliées et le Reich ne peut espérer mener victorieusement une guerre simultanée contre ces deux puissances. Il est donc indispensable de vaincre les deux armées l’une après l’autre.
Pour les stratèges de Guillaume II, la lenteur de la mobilisation russe offre un répit de six semaines sur le front est, qu’il faut mettre à profit pour régler définitivement la question française. Le plan Schlieffen prévoit donc de surprendre la France et de la vaincre vite. Pour ce faire, l’état-major allemand compte traverser la Belgique (quitte à violer sa neutralité) pour former une gigantesque manœuvre d’encerclement de l’armée française par le nord et l’ouest.
Le 4 août, les Allemands pénètrent en Belgique. Dans un premier temps, la Ve armée stationne en Moselle. Le 17 août, elle reçoit l’ordre de se mettre en marche. Se dirigeant vers l’ouest, elle participe aux combats de Longwy les 22 et 23 août 1914 et parvient début septembre à Verdun. Elle prend part à la bataille de la Marne (du 5 au 9 septembre) et poursuit son chemin en direction du nord.
La course à la mer et ses conséquences sur le Pas-de-Calais
Ce mouvement coïncide, au nord-ouest du front, avec le début de la " course à la mer". Rapidement, le Pas-de-Calais devient le théâtre de sanglants affrontements. Car si les troupes du Reich avaient déjà traversé le département au moment de l’invasion, elles n’avaient fait qu’y passer, leur objectif se trouvant plus au sud.
Or, la course à la mer qui les y ramène revêt une toute autre importance, et elles se heurtent, cette fois-ci, à la résistance farouche des armées françaises qui ralentissent leur progression.
Fin septembre, de violents combats se déroulent, entre autres, dans les cantons de Bapaume et de Croisilles. Quelques membres de la famille impériale de Prusse séjournent alors dans les environs : passage à Bapaume du prince Eitel-Frédéric le 1er octobre et du Kaiser le 4, et installation provisoire du Kronprinz dans une ferme de Gomiécourt, village en arrière du front, comme en atteste le document présenté ci-dessous.
Après cette première série d’attaques, le front se stabilise à la fin d’octobre 1914, dessinant une ligne continue qui passe à l’est d’Arras et de Béthune d’une part, et à l’ouest de Bapaume et de Lens d’autre part. Cette stabilisation apporte une certaine accalmie à la population, hélas de courte durée (les offensives recommencent dès 1915). Les Alliés ne reprendront définitivement possession de ce territoire qu’à la fin du conflit (libération de Bapaume le 29 août 1918), laissant la population panser les plaies de son traumatisme sur un champ de ruines.
Notes rédigées par Madame Charles Copin en septembre 1914 à Gomiécourt
- 14 septembre : Passage de six hussards allemands.
- 15 septembre : Passage de neuf autos allemandes.
- 16 septembre : Passage de quatre autos allemandes.
- 22 septembre : [Passage] d’une auto allemande armée.
- 23 septembre : Très forte canonnade et fusillade au-dessus de Bapaume et, vers le soir, passage de cyclistes et cavaliers allemands.
- 24 septembre : Encore la canonnade, mais moins forte qu’hier. 25 septembre : Passage d’allemands autour du village. Dans la plaine, cyclistes et hussards français à leur poursuite. Vers cinq heures et demi, arrivée de mille fantassins et nombreux dragons français. Logés une centaine, pour les deux cours, et trois officiers.
- 26 septembre : Départ des soldats à 7 heures du matin, immédiatement passage de nombreuses troupes françaises se dirigeant sur Bapaume. 27 septembre : Arrivée [de] canons français, fond de Lattre [note1]. Après dîner (vers 2 h), vive canonnade, descente à la cave.
- 28 septembre : Canonnade autour de Gomiécourt commencée après le déjeuner (vers 9 heures).
- 29 septembre : Fusillade dans le village et alentour dès le matin et toute la nuit. Après le déjeuner, descente à la cave, jusqu’au soir.
- 30 septembre : Toujours bataille autour de Gomiécourt, pillage de la maison. Séjour à la cave. Toutes les vaches sauvées, course après, le soir, pour avoir du lait.
- 1er octobre : Très forte canonnade sur le village, très tard le soir, toujours à la cave très tard le soir, toujours pillage.
- 2 octobre : Château brûlé [note 2] et maison de Louis Grossemy [note 3] par obus incendiaires français. Canonnade effrayante. Toujours pillage (les français se trouvaient entre la ligne de chemin de fer et le village [note 4]).
- 3 octobre : Canonnade effrayante, séjour affreux à la cave.
- 4 octobre : Remontée de la cave, canons à Bucquoy.
- 5 octobre : Arrivée des troupes combattantes allemandes. Spectacle imposant dans la cour. Tentes dressées avec les draps de la maison pour les chevaux. Feux de bivouac dans tous les coins, nombreuses autos d’officiers.
- 6 octobre : Le matin, départ de ces troupes avec le même retour le soir. Les maisons sont combles.
- 7 octobre : Toujours troupes, arrivée retour.
Occupation par le K[r]onprinz d’une partie de la maison de la ferme Copin
À partir de cette date, ce fut l’occupation régulière, les troupes venaient au repos à Gomiécourt. C’est alors que la maison d’habitation de la ferme COPIN fut visitée par l’État-major du K[r]onprinz. On regroupa les
membres de la famille : Mme Copin et ses deux filles, Mlles Cécile et Félicité Copin, sa belle-fille Mme Charles Copin et ses deux enfants, Paul et Pierre.
La grande salle, à gauche et les deux chambres de gauche, furent réservées pour le K[r]onprinz qui y a passé plusieurs nuits après les orgies qui se faisaient dans la maison d’habitation de M. Charles Copin qui avait été pillée plusieurs fois.
[note 1] Lieu ainsi nommé, et qui correspond à la source de la Sensée figurant sur les cartes d'État-major de 1914.
[note 2] Ancienne propriété de M. et Mme Charageat.
[note 3] Cette maison se trouvait en face de la maison d'habitation de la ferme de l'Ermitage, propriété de M. et Mme Cardon-Dauchez.
[note 4] La ligne de chemin de fer entre Achiet et Courselles-le-Comte.