Victor-Narcisse-Joseph Morel naît le 30 octobre 1869 à Campagne-lès-Hesdin, village où son père Narcisse-Joseph (né à Bouvigny-Boyeffles le 7 février 1836) est médecin, maire (de 1878 à 1894) et conseiller d’arrondissement ; sa mère Esther-Fanny Dupré est, quant à elle, fille de cultivateurs de Buire-le-Sec. Élève au collège d’Arras puis au lycée de Douai, Victor obtient les baccalauréats ès sciences et ès lettres puis intègre la faculté de médecine de Paris.
Après avoir soutenu une thèse sur la tuberculose de l’omoplate, il est diplômé comme chirurgien. Il s’installe à Campagne-lès-Hesdin et succède à son père, décédé le 24 février 1894. C’est le 4 août 1895, lors de l’inauguration du monument dédié à ce dernier, qu’Alfred Boucher-Cadart, président du conseil général, pousse Victor Morel à entrer en politique.
La politique au service des autres : un médecin engagé
Candidat aux élections municipales sur une liste républicaine, Victor Morel l’emporte le 17 mai 1896 face au maire sortant, Auguste Vélat. Il propose la construction à Campagne d’un hôpital où les pauvres et les vieillards seraient soignés. Ce projet, adopté en conseil municipal le 3 septembre, reçoit l’appui du député Louis Boudenoot par le biais d’un don de cinquante mille francs, puis ceux du conseiller général Charles Guyot et du préfet du Pas-de-Calais en vue d’obtenir une aide du Pari mutuel.
Le 2 octobre 1897, Victor Morel fait approuver la création de l’hôpital et d’un syndicat par ses collègues du canton, par vingt voix sur vingt-quatre, leur imposant néanmoins le libre choix du médecin et du pharmacien, et le fait que les soins ne soient prodigués que par des religieuses.
Alors que les subventions sollicitées auprès du Conseil général et du Ministère tardent à venir, Victor Morel annonce le 7 janvier 1898 qu’il a pu aménager, grâce à des dons privés, un hôpital provisoire dans une maison située route de Beaurainville à Campagne-lès-Hesdin. L’inauguration du "dispensaire ou hôpital cantonal provisoire" a lieu le 30 mars suivant.
Faute des aides promises, le conseil municipal est contraint d’assurer le fonctionnement de l’établissement sur son budget propre et d’organiser différentes quêtes. Victor Morel y opère gratuitement le plus souvent. Le 5 juillet 1907, l’association de l’hôpital cantonal peut enfin acheter l’hôpital.
Le 24 avril précédent, Victor Morel a annoncé vouloir transformer la chartreuse de Notre-Dame des Prés, à Neuville-sous-Montreuil, en un lieu de séjour pour les mineurs silicosés du Pas-de-Calais : dénommé sanatorium du Pas-de-Calais, il est inauguré le 10 novembre sous la présidence de Georges Clemenceau.
Un élu apprécié aux multiples combats
Le jeune maire s’intéresse également au sort des petits agriculteurs en achetant divers matériels, dont une bascule publique pour bestiaux et voitures, et entend mettre en place une société cantonale de secours et de retraite ; il charge une commission d’appliquer strictement la loi sur l’obligation de l’instruction primaire. Il est réélu maire le 6 mai 1900, puis est élu conseiller d’arrondissement le 21 juillet 1901.
Aux élections législatives d’avril 1902, il présente sa candidature au comité républicain d’arrondissement, élection qu’il ne remporte que le 10 mai 1903 après l’invalidation en mars 1903 de la victoire du député Albert Paul Truy, et le désistement de Boucher-Cadart.
Dès janvier 1904, il intervient pour les sinistrés d’Étaples auprès du ministre de la Marine, puis auprès de celui des Finances pour les planteurs de tabac. En 1905, on l’entend pour le maintien des écoles d’enfants de troupe, dont celle de Montreuil pour laquelle il obtient gain de cause. Il vote contre l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État. En février 1906, il discute les propositions de loi relatives aux caisses de retraite ouvrières, réclamant pour les ouvriers agricoles une retraite comparable à celles des ouvriers de l’industrie. En avril, il soutient la création d’une ligne de chemin de fer desservant Merlimont, Cucq et Paris-Plage.
Charge locale et nationale
Victor Morel est réélu maire le 15 mai 1904 ; il se voit opposer, aux législatives, René Cassagnade, républicain libéral et progressiste, rédacteur au ministère de la Guerre à Paris. L’élection est un triomphe pour l’enfant du pays qui gagne dans tous les cantons, sauf celui d’Étaples.
À la Chambre, il vote pour la réintégration du capitaine Dreyfus, le transfert des cendres d’Émile Zola au Panthéon et le projet de loi portant création d’un ministère du Travail. En novembre 1908, il est contre le projet de suppression de la peine de mort. Victor Morel est élu en 1909 au poste de secrétaire de la Chambre des députés.
En 1910, alors que les questions scolaires et religieuses déchirent encore la France, deux candidats s’affrontent à Campagne-lès-Hesdin : Victor Morel, qui se déclare pour une République réformatrice, et le libéral Léon Froissart, un républicain attaché aux valeurs traditionnelles. Morel l’emporte au deuxième tour, sauvé par le canton de Campagne avec 1 654 voix contre 760 à Froissart.
Le 10 mars 1912, il est élu vice-président de la commission de l’Agriculture, et réélu maire le 5 mai. Aux élections législatives du 26 avril 1914, on retrouve les mêmes candidats : Victor Morel est élu au premier tour avec la majorité dans tous les cantons.
Lors de la mobilisation générale du 2 août 1914, Victor Morel, père de six enfants, n’est pas mobilisable et est réformé à la suite d’une fracture du fémur. Restant à la disposition de l’autorité militaire, il est envoyé comme chirurgien-chef à l’hôpital militaire de Chenonceaux durant dix-huit mois. Il accompagne cependant, en 1916, des visites protocolaires aux hôpitaux de l’arrondissement, établissements réquisitionnés par l’armée anglaise ou occupés par l’armée belge et les réfugiés. Un décret, signé le 16 novembre 1917 par Raymond Poincaré, donne enfin l’existence officielle demandée depuis 1911 à l’hôpital-hospice de Campagne-lès-Hesdin. Une commission administrative dirige dorénavant l’établissement avec l’aide du Département.
La guerre terminée, Victor Morel retrouve un village meurtri. La réforme électorale ayant supprimé le scrutin d’arrondissement au profit du scrutin de liste, six députés représentent en 1919 les arrondissements de Boulogne, Montreuil et Saint-Omer. Après hésitation, Victor Morel s’inscrit sur la liste d’union républicaine nationale et sociale, opposée aux socialistes. Il est élu avec cinq de ses colistiers : Abrami, Berquet, Boulanger, Lefebvre du Prey et Lemoine. À la Chambre, il siège au sein de la gauche démocratique et est désigné comme rapporteur de la loi en faveur des chambres d’agriculture qu’il réclamait depuis six ans, loi votée le 25 octobre 1919.
Peu après les législatives, Morel est réélu maire de Campagne-lès-Hesdin, puis est élu conseiller général pour la première fois. Il est renouvelé dans ce dernier mandat en 1922, avec 90 % des voix. En 1923, Victor Morel se présente au Sénat comme républicain de gauche, mais il est battu, le 25 mars, par Amédée Petit, premier échec de sa carrière politique.
Lors des législatives du 11 mai 1924, sa liste d’union républicaine obtient la majorité absolue. Il s’inscrit au groupe de la Gauche radicale, favorable au gouvernement Herriot, et au Cartel des gauches. Réélu maire le 3 mai 1925, il laisse sa place de conseiller général le 19 juillet au maire de Buire-le-Sec, Louis Poupart. Il est toutefois de nouveau battu lors des élections sénatoriales de 1927, avec cinq sénateurs expérimentés sortants (Bachelet, Elby, Farjon, Jonnart et Théret).
Victor Morel meurt brutalement à Paris le dimanche 23 janvier 1927, succombant à une crise d’asthme avec des complications cardiaques. Le mardi 25, le président de la Chambre dit, dans son éloge funèbre, qu’ il était un homme loyal et bon, qui avait donné aux autres tant de lui-même...
.
Le 26, la cérémonie de la levée du corps a lieu en présence d’une délégation parlementaire et de nombreuses personnalités du milieu médical et politique ; son cercueil est transporté à la gare du Nord et arrive le jeudi à 8 heures 30 en gare de Beaurainville : une chapelle ardente est dressée dans la salle de la mairie de Campagne.
Le préfet va rappeler à son tour, lors de la séance du conseil général du 29 janvier, qu’il était un homme qui a consacré toute son existence, toute sa volonté, toute son intelligence et aussi toute sa science, pour servir les intérêts de ses compatriotes et soulager leurs misères physiques et morales…
.