En réponse à la journée insurrectionnelle du 10 août 1792, l’Assemblée législative décrète la suspension de Louis XVI et la convocation d’une "Convention", capable d’abolir la royauté et de rédiger une nouvelle constitution. Le suffrage universel est alors utilisé pour la première fois en France, bien que sous une forme restrictive : tout homme âgé de plus de 21 ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu ou du produit de son travail et qui n’est pas domestique, a le droit de vote. Les élections sont en outre à deux degrés : des assemblées primaires, tenues dans les chefs-lieux de cantons à la fin du mois d’août, désignent les électeurs chargés de nommer les députés.
Ces élections se déroulent dans une période de troubles et d’incertitudes, et l’abstention est en conséquence très élevée, avec près de 90 % des inscrits. L’une des principales causes en est probablement l’invasion des armées austro-prussiennes qui vont s’emparer de Verdun le 2 septembre, leur ouvrant la route de Paris. Le Nord n’est pas épargné, puisque dès le 5, les troupes autrichiennes prennent Roubaix. Mais l’abstention est également plus forte dans les campagnes, qui se détachent déjà d’une Révolution qui se radicalise. Cet état de fait a aussi une influence sur le recrutement socioprofessionnel des élus : sur les quinze députés du Pas-de-Calais à avoir siégé à la Convention nationale, près de la moitié sont des hommes de loi et seulement un cinquième sont des cultivateurs.
Du 2 au 10 septembre, les 775 électeurs désignés par les assemblées primaires se réunissent dans l’église de Calais. Ils doivent nommer onze députés et quatre suppléants pour représenter le Pas-de-Calais à la future Convention (composée de 749 membres au total). Ils votent pour chaque poste l’un à la suite de l’autre : les bureaux des districts (Arras, Bapaume, Béthune, Boulogne-sur-Mer, Calais, Montreuil, Saint-Pol et Saint-Omer) proposent séparément un candidat, et celui ayant obtenu la majorité après addition des résultats est proclamé par le bureau central. D’autres questions sont cependant traitées parallèlement, telles que le renouvellement des corps administratifs ou le siège du chef-lieu du département (dont on propose le transfert à Aire aux dépens d’Arras).
Journal de Jean-Baptiste Garnier d'Ardres, avocat (d'opinion royaliste)
Du 8 samedi [septembre 1792]
À Calais pour M. Palfart et à l’assemblée électorale à laquelle les Roberspierre et autres électeurs des environs se sont rendu à pied, le sac sur le dos, de gros bâtons à la main et marchant en vociférant contre la famille roiale, contre le clergé et la noblesse.
Cette assemblée est dans un délire continuel : elle a brisé les fleurs de lys - sur les édifices publics et même sur les maisons des particuliers.
Du 10 lundi
Clôture de l’assemblée électorale, qui a insulté les tombeaux et laisse des souvenirs ineffaçables de son esprit malfaisant. Je me félicite de ne pas en avoir été.
Archives départementales du Pas-de-Calais, 15 J 231.
Députés élus dès le premier tour de scrutin
Maximilien de Robespierre
Le premier élu dès le 6, par 412 voix sur 721 votants, est ce citoyen incorruptible
auquel tous les départements se disputeront la gloire de rendre hommage
, Maximilien de Robespierre (né à Arras le 6 mai 1758 et exécuté à Paris le 10 thermidor an II), ancien constituant et membre de la commune insurrectionnelle de Paris. Élu précédemment dans la capitale, celui-ci refuse toutefois le 10 et est remplacé par le premier suppléant, Varlet.
Lazare Carnot
Célèbre officier du génie, Lazare Carnot (né à Nolay, Côte-d’Or le 13 mai 1753, décédé à Magdebourg en Allemagne, 2 août 1823), est le deuxième député choisi par les électeurs du Pas-de-Calais, avec 677 voix sur 753 votants. Fréquentant Robespierre à Arras, il a déjà représenté le département à l’Assemblée législative et y a joué un rôle important au sein du comité militaire. Il siège d’abord avec les députés de la Plaine avant de se joindre aux Montagnards.
Ernest Duquesnoy
Ernest Duquesnoy (né à Bouvigny-Boyeffles le 7 mai 1749, suicidé à Paris le 29 prairial an III), est le troisième élu, avec 655 voix sur 734 votants. C’est un cultivateur, qui a siégé à la Législative sur les bancs de l’extrême-gauche.
Députés élus après plusieurs tours de scrutin
Les autres députés sont élus après plusieurs tours de scrutin, trois en général, en raison de l’opposition d’une partie de l’assemblée aux candidatures successives d’Armand Guffroy (repoussé trois fois), puis de Joseph Lebon.
Philippe Lebas
Philippe Lebas (né à Frévent le 4 novembre 1762) est ainsi le quatrième élu, avec 515 voix sur 782 votants. Avocat au Parlement, il est administrateur du district de Saint-Pol en 1791, puis du département en 1792. Fidèle ami de Robespierre, il en partage tous les principes et toutes les opinions jusque dans la mort (par suicide à Paris le 10 thermidor an II).
Thomas Paine
Thomas Paine (né à Thetford, comté de Norfolk, le 29 janvier 1737, mort le 8 juin 1809 à New-York) est élu le cinquième, par 418 voix sur 767 votants. Homme de lettres et philosophe anglais, il a soutenu la cause de l’indépendance américaine, puis a pris la défense de la Révolution, au point de recevoir le 24 août 1792 le titre et les droits de citoyen français. Trois autres départements (l’Aisne, l’Oise et le Puy-de-Dôme) l’élisent aussi, mais Paine opte pour le Pas-de-Calais, dont le messager a su le joindre à temps. Sa nomination doit être le moyen d’intéresser la nation anglaise à la révolution de l’empire français et d’unir irrévocablement les deux nations
. Il est ainsi le seul étranger à la Convention, où il siège parmi les modérés.
Jean-Baptiste Personne
Jean-Baptiste Personne (né à Fiefs le 10 avril 1749, mort à Saint-Omer, 2 juillet 1812) est choisi par 419 voix sur 772 votants, comme sixième représentant du Pas-de-Calais. Il exerce alors la charge d’avoué à Saint-Omer ; il siège sur les bancs du Marais.
Armand Guffroy
Armand Guffroy (né à Arras le 10 novembre 1742, décédé à Paris, 20 pluviôse an IX) est enfin élu le septième, par 458 voix sur 766 votants. Avocat, il a été membre de l’Assemblée provinciale d’Artois en 1787. Enthousiaste pour les idées nouvelles, il est devenu juge de paix à Arras en 1790, puis procureur syndic du district. Il siège parmi les plus ardents montagnards.
Nicolas Enlart
Deux scrutins, et 573 voix sur 764 votants, suffisent pour le huitième député, Nicolas Enlart (né et mort à Montreuil, 25 mars 1760-25 juillet 1842). Avocat, il est devenu à la Révolution président du district de Montreuil, mais a donné sa démission après le 10 août 1792, effrayé par la marche des événements. À la Convention nationale, il siège sur les bancs de la Plaine.
Philippe-Albert Bollet
Le neuvième conventionnel du Pas-de-Calais est Philippe-Albert Bollet (né à Oblinghem le 14 novembre 1753, décédé à Violaines, le 1er juillet 1811). Cultivateur et maire de Cuinchy, il est élu par 414 voix sur 764 votants, et siège parmi la Plaine.
Antoine Magniez
Lui aussi propriétaire-cultivateur, Antoine Magniez (Moislains, Somme, 14 décembre 1738-Bertincourt, 7 novembre 1823), a été nommé administrateur du district de Bapaume en 1790. Il est le dixième élu à la Convention par le Pas-de-Calais, avec 532 voix sur 750 votants, et est lié aux Girondins.
Pierre Daunou
Au matin du 9 septembre, au second tour, est élu onzième et dernier député, par 395 voix sur 731 votants, Pierre Daunou (Boulogne-sur-Mer, 18 août 1761-Paris, 20 juin 1840). Professeur aux collèges oratoriens de Boulogne puis de Montmorency, il a été ordonné prêtre en 1787. Favorable à la Constitution civile du clergé, auteur en 1790 d’un plan d’éducation novateur, il est appelé en 1791 au poste de vicaire épiscopal de Paris et de directeur du séminaire diocésain. À la Convention, il siège parmi les modérés.
Suppléants
L’assemblée décide de nommer en outre quatre suppléants :
Charles Varlet
Le premier (au troisième tour, par 402 voix sur 744) est Charles Varlet (né à Saint-Omer le 10 mai 1733, décédé le 19 mars 1811 à Hesdin), lieutenant-colonel du génie et maire d’Hesdin. Il est aussitôt appelé à siéger à la place de Maximilien Robespierre, mais est du côté des modérés.
Joseph Lebon
Trois fois battu, Joseph Lebon (Arras, 25 septembre 1765, exécuté à Amiens le 22 vendémiaire an IV) est finalement élu deuxième suppléant, par 400 voix sur 709 votants. Il a été professeur oratorien de rhétorique à Beaune puis curé constitutionnel de Neuville-Vitasse à partir de juin 1791. Il se fait proclamer maire d’Arras en septembre 1792, puis membre du directoire du département ; il sera admis à siéger à la Convention le 13 messidor an I, après l’arrestation d’Antoine-Guislain Magniez.
Jean-François Du Broeucq
Le troisième suppléant est Jean-François Du Broeucq (Audruicq, 15 août 1749-Douai, 25 octobre 1826), juge au tribunal du district de Saint-Omer, élu le 10 septembre par 371 suffrages sur 735 votants. Le 23 nivôse an II, il remplacera Thomas Paine, incarcéré comme étranger et proche des Girondins.
Charles Garnier
Après le refus du juge de paix du canton d’Ardres, Athanase Léguillon, l’administrateur du district de Calais Charles Garnier (né et mort à Ardres, 11 mars 1755-10 mars 1833) est élu le quatrième suppléant du Pas-de-Calais, par 351 voix sur 570 votants. Il succédera à Philippe Lebas le 14 vendémiaire an III.
Adrien-François Grenier de Violaines
Un cinquième suppléant est enfin choisi, par suite du désistement de Robespierre : administrateur du département, Adrien-François Grenier de Violaines est élu au troisième tour par 135 voix sur 253 votants. Il ne sera jamais appelé à siéger.