Les archives départementales conservent dans leurs fonds un manuel insolite de jardinage datant de 1922 à destination des mineurs. L’objectif ? Détourner l’ouvrier du cabaret pour l’amener vers les bienfaits du potager.
À Lens, un square situé à proximité de la rue Lanoy porte le nom d’un certain Arthur Choquet. Ce nom ne vous évoque peut-être rien mais Arthur Choquet fait pourtant figure de référence pour le mineur jardinier. Employé comme ingénieur agronome au sein de la compagnie des Mines de Lens, ce fervent défenseur du jardinage auprès des ouvriers est à la tête des parcs et plantations de la compagnie. Dans le cadre de ses activités, il rédige Le Jardin du Mineur, un guide de jardinage à destination des ouvriers. Publié par la compagnie une première fois dans les années 1910, il est réédité en 1922.
Arthur Choquet et les jardins de Lens
Les corons se composent d’un nombre de maisons d’aspect assez semblable : la perspective est toujours à peu près la même. Elle est loin d’être monotone cependant, car la Société des Mines de Lens a tout fait pour la rendre le plus agréable possible, par la décoration variée des façades des maisons, par la disposition même des Cités, et surtout par les nombreuses plantations d’arbres et d’arbustes fruitiers et d’ornement qui modifient heureusement l’aspect des rues et avenues, et embellissent les jardins. Supprimez par la pensée tous ces arbres, supprimez les jardins d’agrément, remplacez les haies d’arbustes variés par des palissades, et voyez combien l’aspect des corons sera changé, et peu engageant. Cette pensée seule suffit à nous donner une idée du rôle important que jouent les végétaux dans l’embellissement des choses qui nous entourent.
Comme d’autres entreprises minières, la compagnie des mines de Lens s’investit dans la question sociale dès la deuxième moitié du XIXe siècle, notamment via l’aménagement du cadre de vie. C’est dans cette optique qu’est recruté Arthur Choquet, en tant architecte paysagiste. Il s’installe à Lens en 1898.
Né à Arras en 1875, Arthur Choquet est ingénieur agricole, diplômé de l’école nationale d’horticulture de Versailles. Après la Première Guerre mondiale, il est nommé directeur des jardins et des plantations. Ardent défenseur des jardins ouvriers au sein de sa compagnie, il met en place des méthodes d’éducation au jardinage, comme les jardins scolaires et publie un manuel plusieurs fois réédité. Il participe à la valorisation des œuvres des jardins lensois auprès des congrès nationaux, notamment auprès de la Ligue du coin de terre et du Foyer et de la Fédération des jardins ouvriers du Nord. Il est également un membre actif de l’Académie des Lettres, Sciences et Arts d’Arras.
Comment sont nés les jardins ouvriers ?
L’industrialisation du XIXe siècle crée un paupérisme des ouvriers urbains. Certains réformateurs sociaux, comme Jules-Auguste Lemire (1853-1928), député et maire d’Hazebrouck et Félicie Hervieu (1840-1917) à Sedan, cherchent à lutter contre cette pauvreté et la dégradation de la santé des ouvriers.
Des petites parcelles de terre, réservoirs de bon air qui permettent de mieux résister aux maladies liées à la misère, sont mises à leur disposition à la périphérie des villes ou à proximité de l’usine. Des associations à visée moralisatrice, comme la Ligue du Coin de Terre et du Foyer fondée en 1896, aident à leur création. En 1905, le Pas-de-Calais compte 377 jardins ouvriers répartis entre les villes de Boulogne-sur-Mer, Calais, Montreuil-sur-Mer, Saint-Omer et Arras et le bassin minier.
Née du catholicisme social, l’idée des jardins ouvriers est reprise notamment par les compagnies des mines. Le jardin "industriel" est aussi un dérivatif au cabaret ; autre lieu de sociabilité, foyer de mouvements revendicatifs et du syndicalisme. Il est le garant d’une certaine paix sociale.
Pour les industriels, améliorer la qualité de vie des employés renforce leur productivité et leur fidélité ; ils contrôlent ainsi l’attribution des ressources, terrains, graines, engrais et outils.
Les jardins permettent aux ouvriers souvent venus du monde agricole pour travailler dans les villes de renouer avec la terre et de sédentariser ces familles rurales déracinées.
En 1952, les jardins ouvriers deviennent familiaux. Ils bénéficient d’un cadre juridique et s’ouvrent aux classes moyennes. Tombés en désuétude après la Seconde Guerre mondiale et l’avènement des supermarchés, les jardins collectifs se réinventent dans les années 1980. De nouveaux types émergent avec les crises économique, sociale et écologique. Ils s’orientent vers l’entraide, l’accès à de meilleurs produits ou la protection de l’environnement.
Que planter au jardin ?
Arthur Choquet recommande d’éviter les légumes de fantaisie
et de ne planter que ceux nécessaires aux besoins de la famille
: céleri, choux, courges, potirons et citrouilles, pommes de terre, poireaux et haricots. On produit aussi l’endive, en pleine terre ou en cave.
Le chou est un légume d’un maintien peu représentatif et pourtant ce nom éveille toujours une idée de gentillesse. "Mon petit chou" dit une maman à son chérubin, "Mon gros chou" dit-elle en s’adressant à son mari. C’est que le chou, s’il manque d’élégance, n’en a pas moins de grandes qualités : le chou-fleur renferme une notable quantité de soufre, tous sont pectoraux, émollients et rafraichissants.
Les plantes médicinales trouvent de même leur place dans les potagers, notamment avant la diffusion des médicaments de synthèse à partir des années 1950. Les fleurs, quant à elles, repoussent certains nuisibles en plus d’égayer les terrains, particulièrement en vue des concours.
Pour conserver un bouquet, il faut d’abord asperger les fleurs avec de l’eau bien fraîche, puis le placer dans un vase contenant de l’eau de savon. Chaque matin, on les retirera pour tremper les tiges pendant environ deux minutes dans de l’eau claire, les fleurs seront aspergées à l’eau fraîche, puis le bouquet sera replacé dans l’eau de savon. Cette dernière sera changée tous les trois jours.
À découvrir prochainement, la nouvelle exposition des archives : Petits coins de terre
Du 27 février au 30 mars 2023, à la Maison pour Tous de Saint-Pol-sur-Ternoise