Archives - Pas-de-Calais le Département
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2. L’engagement politique : la Seconde République

Document imprimé retranscrit dans l'article.

Hippolyte Castille, Dernier avis aux délégués, Aire, imprimerie de Poulain, rue d’Arras, 1848 : reproduit dans Les murailles révolutionnaires, Paris, 1856, p. 610, Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 1717/2.

Le surlendemain de la proclamation de la République, le 26 février, en association avec Bastiat et Molinari, Castille lance en effet un quotidien La République française, qui s’interrompt cependant dès le 28 mars, face aux difficultés économiques et aux divergences d’opinion entre Castille et Molinari : L’un tournait au rouge, et l’autre passait au bleu  [ note 1].

Hippolyte Castille présente parallèlement sa candidature à l’Assemblée Constituante, en tentant de se faire élire dans le Pas-de-Calais. Il intervient à Aire-sur-la-Lys lors de l’assemblée départementale des comités électoraux, le 25 mars, puis à l’occasion de réunions des clubs républicains d’Arras (17 avril) et de Saint-Pol-sur-Ternoise (19 avril).
Il s’affiche comme un "républicain montagnard", assez proche du commissaire du gouvernement provisoire et ancien journaliste d’opposition Frédéric Degeorge, mais opposé aux théories sur l’organisation du travail, tant prônées par certains socialistes .

On connaît de lui au moins deux tracts, imprimés peu avant le 25 mars : 

Aux électeurs du Pas-de-Calais

Citoyens,

Je m’offre à vos suffrages, pur de toute complicité avec le passé. J’ai vécu dans la carrière indépendante des lettres ; mais en ces temps de lutte, de même que le Travailleur quitte pour le fusil les instruments du travail, j’ai déposé la plume du Littérateur pour m’armer de celle du Publiciste.

Je me suis depuis longtemps préparé par l’étude et la méditation à notre régénération sociale. Mon programme politique est irrévocablement arrêté. – Ma profession de foi sera ce qu’elle doit être dans un temps où les longues phrases ne servent souvent qu’à voiler la pensée : elle sera brève et lucide.

Je crois à la République comme je crois en Dieu !

Je prends devant vous l’engagement de la servir quand même, de toute ma force, de tout mon courage !

Quant aux questions sociales qui surgissent de toutes parts, leur solution gît tout entière, j’en ai la ferme conviction,

  1. Dans l’exercice de toutes les Libertés ;
  2. Dans le renversement des monopoles et des privilèges ;
  3. Dans la réduction graduelle des charges de l’État, et conséquemment dans la diminution des impôts.

Pour la politique extérieure, je me range entièrement aux avis exprimés dans la circulaire de l’un des plus grands citoyens de notre jeune République, de Lamartine : prosélytisme du bon exemple, propagande armée, s’il le faut, en faveur des peuples qui voudraient comme nous combattre pour leur indépendance.

Que vous me jugiez ou non digne de vos suffrages, voilà, Citoyens, quelle sera la règle invariable de ma vie politique.

Citoyens des campagnes, je ne terminerai point cette circulaire sans vous adresser quelques mots. Je suis né dans le département du Pas-de-Calais, j’ai passé parmi vous plusieurs années de ma vie, je connais vos souffrances, et j’ai la certitude que la République saura les adoucir.

Il ne faut pas que le peuple des campagnes se défie de ce qu’a fait le peuple des villes. Il n’y a plus aujourd’hui de distinction de caste possible entre les Citoyens ; il n’y a plus ni bourgeois ni paysans ; de quelque outil qu’ils piochent, tous les travailleurs sont frères. La différence d’habits et de langage ne doit plus séparer les hommes ; l’amour du bien public établit entre eux une communion de sentiments et d’idées qui leur fait une langue nouvelle comprise de tous, parce que tous la parlent. Si le peuple des campagnes s’isolait dans ce grand mouvement révolutionnaire, s’il se montrait moins dévoué, moins courageux, moins intelligent que le peuple des villes, il ne mériterait pas les bienfaits que la République lui prépare.

Que vous votiez pour moi ou pour de plus dignes, Électeurs ruraux, ne manquez pas à l’appel, vous manqueriez à la Nation et à vous-mêmes ! il s’agit d’intérêts incalculables ; il s’agit du salut de la France !

C. Hippolyte CASTILLE, de Montreuil, rédacteur en chef de la République française.

Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 798.

Dernier avis aux délégués

Citoyens,

Parmi les nombreux Candidats qui s’offrent à vos suffrages, vous allez en choisir dix-sept. – Avant d’accomplir cet acte solennel, pénétrez-vous bien de cette vérité : C’est moins l’expression des vœux de la propriété qu’il faut pour représenter le Peuple à l’Assemblée constituante que l’expression de la pensée républicaine. Sacrifiez, en bons Citoyens, les intérêts et les amours-propres de clocher aux nécessités du moment ; souvenez-vous qu’il s’agit uniquement d’une constitution.

C’est au nom de la Nation que je vous adresse ce dernier avis, au nom de votre intérêt à tous et non dans celui de ma candidature. Je souhaite, vous le savez par ma profession de foi, l’application la plus prochaine possible des principes économiques ; mais, à l’heure qu’il est, les sentiments républicains dominent, de toute la hauteur du patriotisme, les questions d’économie politique. Je voudrais que vous puissiez lire dans le fond de mon âme et de ma raison pour bien vous pénétrer de la nécessité du radicalisme qui doit présider au choix que vous allez faire.

Les Républicains avancés vont comprendre ma pensée toute entière : s’il m’était permis d’articuler deux mots qui rappellent de cruels souvenirs ; s’il m’était permis de nommer la Gironde et la Montagne, si la Gironde est, comme je le crois, l’expression du Républicanisme efféminé ; si la Montagne est, au contraire, comme je vous le certifie, la signification du Républicanisme le plus pur et le plus radical, - eh bien ! dût ma voix rester sans écho parmi vous, je me déclare Montagnard !

Vous n’avez plus à craindre ni l’odieuse machine du bourreau, ni l’atteinte à la propriété ; soyez donc aussi radicaux que possible ! c’est le seul moyen d’assurer à jamais la sécurité de l’existence des Citoyens et de leur fortune ! – Car si vous envoyiez à la Chambre une majorité molle, qui viendrait arrêter l’essor de la minorité progressive, le Peuple briserait d’un coup de crosse de fusil l’urne équivoque de l’Assemblée nationale et jetterait par les fenêtres du Palais-Bourbon ces hommes indignes de le représenter !

Si vous redoutez une seconde Révolution, si vous ne voulez pas que le sang français rougisse encore une fois le pavé des rues, choisissez parmi les Candidats, non les plus riches, non les plus modérés, mais au contraire ceux qui feront preuve du Républicanisme le plus avancé.

Dernier avis aux délégués, Aire, imprimerie de Poulain, rue d’Arras : publié dans Les murailles révolutionnaires, Paris, 1856, p. 610, Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 1717/2.

Sans soutien local, Hippolyte Castille n’est toutefois pas élu.

Rentré à Paris, il collabore à La Révolution démocratique et sociale de Charles Delescluze (sous le pseudonyme de "Job, le socialiste"), à La Tribune des peuples du poète polonais Adam Mickiewicz, mais aussi à divers hebdomadaires tels que La Semaine où paraît en feuilleton Les Ambitieux, un roman réuni ensuite en volumes (1852-1854).

Il participe aussi activement aux réunions socialistes du VIe arrondissement, qu’il représente au sein du comité central démocratique chargé de préparer les élections à la Législative de mai 1849, puis à celui préparatoire aux élections complémentaires du 10 mars 1850, qui voient la victoire des démocs-socs.

Accusé d’en avoir dévoilé les secrets dans la presse réactionnaire, il doit prendre de la distance et se retire près du bois de Boulogne au hameau de Saint-James.

Notes

[ note 1] Nécrologie d’Hippolyte Castille par Gustave de Molinari, dans la séance du 5 octobre 1886, Annales de la société d’économie politique, t. XV, 1885-1887, Paris, 1896, p. 379-381.