En 1914, l’armée, encore peu motorisée, ne peut envisager une guerre sans cavalerie. La force de traction reste encore majoritairement celle des animaux de trait, notamment pour la logistique. De plus, la cavalerie constitue aussi une force combattante qui reste un modèle des armées. En période de paix, les armées n’entretiennent qu’un nombre réduit de chevaux. En cas de guerre, il faut donc les réquisitionner auprès de la population.
Recensement des chevaux
Avant la guerre, il existait déjà un recensement militaire des équidés organisé par le service de la remonte militaire. Ce service était chargé de recenser, fournir et préparer les chevaux nécessaires pour les unités de l’armée. Les animaux étaient soumis à une phase d’adaptation et de dressage pour travailler en attelages ou pour subir, tout en restant calmes, le bruit et l’environnement d’une mise en service d’une batterie d’artillerie.
En vertu de la loi du 3 juillet 1877, un recensement annuel des chevaux, juments, mulets et mules est fait grâce à la déclaration obligatoire de leurs propriétaires auprès de leur mairie. Les registres des mairies sont ensuite envoyés au service régional des remontes, qui en assure le suivi. Il existe aussi un recensement des véhicules hippomobiles, qui a lieu tous les trois ans.
Le recensement annuel des chevaux dans les communes a laissé des traces dans nos archives : il s’agit précisément des "registres de déclaration des chevaux", conservés dans les archives communales (généralement déposées aux archives départementales, où elles constituent la série E-dépôt).
La réquisition en pratique
En cas de mobilisation, les réquisitions d’animaux sont soumises à un barème de prix fixé par une circulaire du ministère de la guerre. Elles sont faites par des comités d’achat qui font leur tournée dans les villes et villages avertis par voie d’affichage. Les chevaux sont ensuite "triés" lors d’exercices simples pour être classés selon leurs aptitudes et leur allure.
Pour chaque commune, il est établi par le service de la remonte, sous forme de tableau intitulé "Réquisitions militaires (chevaux et mulets)", un état des sommes dues aux habitants pour le paiement des chevaux, juments, mulets et mules qu’ils ont livrés à la Commission de réquisition. Dans ce cadre, il y est noté les noms et prénoms des propriétaires, la catégorie des animaux requis (indication du numéro de la catégorie suivi d’un O pour les chevaux d’officier et d’un T pour les chevaux de troupe et les mulets), le numéro matricule donné par la Commission et lettre indicative du corps d’armée, le prix des animaux requis, les sommes revenant à chaque propriétaire ainsi que leur émargement portant quittance.
Ce genre de document a été conservé pour certaines communes. C’est le cas, par exemple, du village de Cambligneul (canton d’Aubigny-en-Artois). En 1912, ce village, qui s’étendait sur 469 hectares (dont 417 hectares de terres labourables), comptait 37 chevaux (plus de trois ans), 16 poulains, 3 mulets et 3 ânes (M 1326 : statistique agricole annuelle). Dès le début de la guerre, les propriétaires durent fournir 9 chevaux à l’armée, soit le quart des animaux adultes disponibles. On le sait grâce à un "état des sommes dues", daté du 3 août 1914 et conservé sous la cote 2 O 1307.
Dans la longue liste des réquisitions, on trouve aussi celles d’autres animaux, comme les pigeons voyageurs, les ânes ou même les bœufs pour tirer les attelages ! À cela s’ajoutent naturellement celles du fourrage.
Conséquences
Ces réquisitions ne se sont pas faites sans résistance. En effet, les propriétaires des chevaux en avaient un grand besoin au quotidien, pour le transport et pour les travaux agricoles. Elles ont eu également des conséquences importantes sur l’économie dès l’été 1914. Moins de bras avec les jeunes hommes valides qui partent, moins de force de travail avec la réquisition des chevaux, tout cela au moment précis où la moisson réclame les uns et les autres. C’est toute l’organisation agricole qui s’en trouve désorganisée dès le début du conflit. Il faut également prendre en compte l’attachement sincère des propriétaires pour leurs animaux.
Tous pays confondus, on estime que huit millions de chevaux ont participé à la Grande Guerre et que un million d’entre eux y ont trouvé la mort, décimés par l’artillerie ou par les attaques chimiques, morts de faim ou de maladie. Après les hommes, ce sont bien les chevaux qui ont payé le plus lourd tribut à la guerre !